A Djerba, au sud-est de la Tunisie, face un ciel parcimonieux, les habitants continuent de perpétuer une ancienne tradition qui consiste à construire des citernes souterraines, communément appelées «fasqia» ou «majel», pour la collecte des eaux de pluie. (Illustration : aménagements hydrauliques traditionnels dans le sud tunisien).
Ces citernes collectent l’eau pluviale qui ruisselle des toits des habitations, souvent entretenus à la chaux vive avant la saison des précipitations. Une tradition qui semble être empruntée de l’époque romaine puisque de grandes citernes ont été découvertes à Meninx, capitale de l’île du temps des Romains.
En effet, le peuple tunisien doté de ressources en eau très modestes, avec une part moyenne d’eau par habitant estimée actuellement à 430 m3/an, s’en est souvent tiré grâce à des techniques empiriques héritées du passé.
Puits, majels (citernes enterrées de stockage d’eaux pluviales), barrages, terrasses et banquettes, jessours, meskats, mgouds, tabias… ces ouvrages hydrauliques inspirés des traditions berbères, romaines ou byzantines et répartis sur tout le territoire, sont les témoins d’une prise de conscience des populations successives habitant ce territoire du nord de l’Afrique de la nécessité de faire face à l’irrégularité des ressources hydriques.
Raviver les anciennes traditions
Selon le coordinateur de l’Observatoire tunisien de l’eau (OTE), Ala Marzougui, «l’implication citoyenne dans la gestion et la préservation de l’eau est devenue indispensable, aujourd’hui, alors que le pays souffre d’une situation hydrique très difficile, suite à la succession de quatre années de déficit pluviométrique».
Marzougui pense qu’il faut rompre avec la perception commune de l’eau comme étant une ressource inépuisable qui coule à flots à chaque fois qu’on ouvre le robinet.
Le déficit pluviométrique des dernières années a, selon lui, «ravivé l’intérêt chez certains citoyens, notamment dans les régions du sud comme Matmata, Tataouine, et Djerba, pour les techniques jadis utilisées pour collecter les eaux pluviales à l’instar des majels.» «Des initiatives de réhabilitation et de maintenance des anciens majels ont aussi eu lieu, même si les mesures prises par l’Etat pour encourager de telles pratiques restent très modestes», a-t-il ajouté.
En effet, hormis l’article 28 de la loi de finances 2023, instituant l’octroi de crédits sans intérêts (ne dépassant pas les 20 000 dinars par crédit), pour la construction de majels, rien n’a été fait par l’Etat pour encourager les initiatives citoyennes visant à préserver l’eau, a déploré l’activiste. «Or de telles initiatives doivent être généralisées du nord au sud, pour faire face à l’irrégularité des apports pluviométriques. Cela doit être un chantier national auquel doivent participer toutes les parties prenantes (ministères de l’Agriculture, de l’Equipement, de l’Intérieur, de la Défense… municipalités, autorités locales…). Les expériences pilotes ne suffisent pas pour résoudre le problème du déficit hydrique», souligne le coordinateur de l’OTE.
Les récupérateurs d’eau de pluie
A défaut de pouvoir construire des majels (espace limité, résidence collective…), le citoyen pourrait également, selon notre interlocuteur, recourir aux récupérateurs temporaires des eaux pluviales qui servent à capter et stocker l’eau de pluie pour des utilisations non potables.
Selon le site Sm-devis.tn (prestataire en ligne qui aide les particuliers à trouver des devis gratuits pour tous travaux du bâtiment, services aux personnes et services aux entreprises, assurance et finance), le prix d’un récupérateur d’eau de pluie en Tunisie varie entre 50 et 9000 dinars et dépend de sa matière, de sa contenance, des travaux nécessaires à sa mise place…
Selon la même source, le fonctionnement de la cuve de récupération des eaux de pluie reste simple. Les gouttières apportent l’eau et un robinet ou un système de pompage (si la cuve est enterrée) permet de la récupérer dès que nécessaire. Un filtre est disposé avant la cuve pour arrêter les végétaux. Le bac de récupération d’eau de grande contenance de 5 000 à 10 000 litres est idéal pour une utilisation au quotidien (machine à laver, wc, lavabo du garage). Les bacs de 1 600 à 6 000 litres contiennent suffisamment d’eau pour arroser le gazon, irriguer le jardin ou encore laver les véhicules.
Revoir les modes de consommation
Le citoyen est également appelé à revoir ses manières de vivre et de consommer, afin de rationaliser ses usages de l’eau. «Il devient impératif d’éviter les gaspillages de l’eau, en utilisant les robinets intelligents, en évitant, autant que possible, l’usage de la baignoire et le lavage des voitures à grande eau et en privilégiant les stations de lavage disposant de systèmes d’économies d’eau», explique Marzougui.
Il met, par ailleurs, l’accent sur la nécessité pour le citoyen de revoir ses modes de consommation et de réduire son empreinte eau, en évitant les gaspillages alimentaires et la consommation de fruits et légumes proposés hors saison ainsi que les fruits et légumes les plus gourmands en eau, notamment ceux cultivés massivement en période de sécheresse et en réduisant sa consommation de viande… «Le citoyen doit également avoir une culture de consommation privilégiant les produits issus de firmes adoptant une démarche responsable envers la société et l’environnement», souligne-t-il.
Quel rôle pour l’État ?
Déplorant le laisser-aller de l’Etat face à la situation hydrique alarmante, Marzougui plaide pour la déclaration immédiate de l’état d’urgence hydrique et l’adoption d’une politique cohérente de préservation de cette ressource vitale, loin des mesures conjoncturelles et insuffisantes.
Cette politique doit être suffisamment engageante pour mobiliser toutes les parties prenantes (entreprises, industriels, citoyens, administration…) et clairement communiquée afin d’optimiser sa mise en œuvre. Une plateforme numérique publiant, instantanément, toutes les données relatives à la gestion de l’eau (situation des réserves disponibles, coupures programmées, programmes de maintenance et de réparation…) doit également être mise en place.
A court terme, il va falloir former des cellules de crise pour gérer les pannes et intervenir rapidement en cas de fuites, car c’est inconcevable de laisser l’eau couler des jours durant, alors que le pays est menacé de sécheresse. Il faut aussi, interdire les cultures agricoles grandes consommatrices d’eau destinées à l’exportation (tomate, fraise…), ainsi que l’utilisation de l’eau à des fins industrielles (lavage des phosphates, extraction de pétrole, textile) et imposer aux industriels le recours aux solutions alternatives.
A moyen et long termes, une nouvelle carte agricole s’impose, le secteur agricole consommant à lui seul 80% des ressources en eau en Tunisie. Cette carte doit prendre en considération les spécificités de chaque région et ses ressources en eau disponibles.
Parmi les chantiers à engager, Marzougui cite aussi la résolution du problème du forage anarchique des puits, ayant dépassé 22 000 unités en 2021, et le recours aux eaux traitées pour couvrir les besoins des zones irriguées, d’autant plus que le potentiel en eaux traitées en Tunisie s’élève à 300 millions de m3/an.
A long terme, il est également impératif d’entretenir les bassins versants des oueds pour préserver la pérennité des barrages, mobiliser des financements pour l’investissement dans le secteur de l’eau, procéder au renouvellement des réseaux hydrauliques et en faire une priorité nationale et répandre la culture citoyenne de préservation de l’eau dès l’école.
D’après Tap.
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