La Tunisie de la transe révolutionnaire au délire messianique

«Avant de s’engager dans la mission titanesque de changer le monde, il serait plus judicieux et dans les moyens d’une Tunisie en pleine crise de remettre les pieds sur terre en commençant par mettre de l’ordre chez soi et balayer devant sa porte», écrit Elyes Kasri.

Par Imed Bahri

Dans un post Facebook publié ce matin, samedi 24 juin 2023, joliment intitulé «L’exception tunisienne, de la transe révolutionnaire au délire messianique?», le diplomate commente à sa manière les envolées lyriques du président de la république Kaïs Saïed lors d’une table-ronde sur le thème «Démonstration de solidarité pour sortir du piège de la dette», organisée dans le cadre du Sommet de Paris «Pour un nouveau pacte financier mondial», tenu les 22 et 23 juin 2023 dans la capitale française.   

En inscrivant l’intervention du chef d’Etat tunisien dans le programme d’une table-ronde portant sur le «piège de la dette» (sic!), les organisateurs ne l’ont sans doute pas fait par ironie et encore moins par dérision, loin de là ! De toute façon, les Tunisiens n’y ont vu que du feu…

«Le fait que le président ait pu interpeller la communauté internationale sur la nécessité de revoir les fondements du système financier international en vigueur depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et qui a largement montré ses limites, est excellent en soi, mais on ne peut s’empêcher de constater que Saïed s’est contenté, comme souvent, de défendre des principes généraux, humanistes et égalitaires, voire altermondialistes sur les bords, ce qui est louable en soi, mais demeure insuffisant», avons-nous écrit, hier, dans ce journal. «On aurait aimé entendre des propositions concrètes pour réorienter ce système et le rééquilibrer», avons-nous ajouté.

Envolées lyriques

Diplomate au long parcours, ancien ambassadeur de Tunisie à Tokyo et Berlin, entre autres grandes capitales, et qui est surtout doté d’une belle plume, ayant le sens de la formule qui fait mouche, Elyes Kasri semble partager nos impressions plutôt mitigées sur la «prouesse» présidentielle qui a pourtant été louée par plusieurs commentateurs, plus sensibles aux envolées lyriques qu’aux propositions concrètes, réalistes et réalisables à court terme, ce qui a d’ailleurs le plus manqué au discours présidentiel.

«La Tunisie est depuis 2011 dans un état second qui vire de la transe démocratique au délire universaliste et messianique», constate le diplomate dans son post Facebook. Il ajoute : «Après les leçons de démocratie qui ont donné les résultats qui n’échappent à aucun esprit sain, la Tunisie semble vouloir s’arroger le rôle de porte fanion de l’anti-impérialisme et de l’alter-mondialisme en vue de l’avènement d’un monde nouveau.»

L’allusion ici à la posture vaguement révolutionnaire qu’affectionne le président Saïed et qui semble plaire à nombre de ses compatriotes (ce dont témoigne sa solide première place dans tous les sondages d’opinion malgré son très maigre bilan), est on ne peut plus limpide, posture qu’il a d’ailleurs prise, encore une fois, lors du Sommet de Paris, dans le pur style des dirigeants tiers-mondistes des années 1960 du siècle dernier, de Nasser à Kadhafi.

Balayer devant sa porte

Sceptique, Elyes Kasri prend une distance critique vis-à-vis du discours présidentiel qui fait porter au monde occidental la responsabilité des crises sévissant dans nos pays du sud. Il y voit même une tentative de se défausser sur les autres de nos propres manquements, carences et turpitudes. «Certains esprits mal tournés y verraient une diversion pour faire oublier l’étreinte insoutenable de la dette, les queues pour l’essence et les produits de première nécessité ainsi que la pénurie chronique de médicaments et de l’effondrement progressif et perceptible des services publics dans tous les secteurs», écrit le diplomate avec une mordante ironie. «Certains pourraient pointer que la principale performance de l’État consiste, après maintes contorsions chaque mois, à payer les salaires, même si c’est de plus en plus en monnaie de singe, et à subvenir au déficit chronique d’un secteur public dont la principale performance semble d’enfoncer le pays vers l’abîme», ajoute-t-il, brossant ainsi en quelques traits cinglants le tableau de la situation actuelle dans notre pays qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise, tout en continuant à se bercer d’illusions, d’utopies et de chimères révolutionnaires.

Appelant ses compatriotes à plus de raison, de réalisme et de pragmatisme, le diplomate conclut dans la même veine : «Partant du vieux dicton qui dit ‘‘Charité bien ordonnée commence par soi-même’’ et avant de s’engager dans la mission titanesque de changer le monde, il serait plus judicieux et dans les moyens d’une Tunisie en pleine crise de remettre les pieds sur terre en commençant par mettre de l’ordre chez soi et balayer devant sa porte.»

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