Tunisie : l’Etat à l’épreuve de la migration illégale

Alors qu’elle fait face à de graves difficultés économiques et sociales, la Tunisie doit également gérer le problème migratoire qui est en passe d’occuper les devants de scène avec des affrontements violents entre la population locale et les migrants illégaux et des remous au sein de l’Etat et de la société civile.

Par Imed Bahri   

Le président de la république Kaïs Saïed s’est réuni mardi 4 juillet 2023, au siège du ministère de l’Intérieur, avec le ministre Kamel Feki et plusieurs cadres sécuritaires.

La rencontre s’est focalisée sur la situation sécuritaire à Sfax suite aux «actes criminels» survenus la veille dans la ville, indique un communiqué de la présidence de la république, faisant allusion au meurtre en pleine rue à Sakiet Eddaier, la veille, du jeune Nizar Amri.

A cette occasion, Kaïs Saïed a réaffirmé sa doctrine sur l’immigration selon laquelle la Tunisie n’accepte le séjour sur son territoire que selon ses propres lois, refuse d’être une terre de transit ou d’installation des ressortissants subsahariens et est déterminée à ne surveiller que ses propres frontières (sic !), répondant ainsi à ceux qui critiquent le projet d’accord sur la migration avec l’Union européenne (UE) en vertu duquel la Tunisie va jouer un rôle déterminant dans la lutte contre la migration illégale vers l’Italie.

Une situation «anormale»

Le chef de l’Etat a une fois de plus évoqué l’existence de «réseaux criminels qu’il incombe à l’Etat de démanteler», soulignant la présence de nombreuses preuves qui confirment que cette situation est «anormale».

Le président Saïed s’est, en outre, demandé comment ces migrants, qui viennent en Tunisie après avoir parcouru des milliers de kilomètres, se dirigent-ils vers une ville ou un quartier en question. Est-ce qu’ils connaissent déjà ces villes et ces quartiers lorsqu’ils sont encore dans leurs pays respectifs ? Sont-ils des migrants ou des déplacés manipulés par des groupes criminels qui exploitent leur misère et visent la paix civile en Tunisie ?

Le président de la république reprend ici, à demi-mot, sa fameuse thèse sur le complot international dont la Tunisie serait l’objet, déjà évoqué le 21 février dernier, et qui viserait à changer la composition démographique du pays et son identité culturelle arabo-musulmane.

Pour faire face à ce complot, Saïed a rappelé la nécessité d’imposer le respect de la loi à ceux qui exploitent ces personnes vulnérables en Tunisie, soulignant que «la location de logements aux étrangers exige d’en informer les autorités policières» et que «l’emploi des étrangers est également soumis à la législation tunisienne», sachant que nombre de migrants sont employés dans des tâches qui sont souvent délaissées par les Tunisiens, ce qui a d’ailleurs amené récemment les milieux d’affaires à demander à l’Etat d’organiser ce secteur afin de permettre aux Subsahariens présents dans le pays de travailler en toute légalité et de répondre ainsi aux besoins des opérateurs économiques.  

Sur un autre plan, et sacrifiant une nouvelle fois à sa théorie complotiste, censée justifier tous les dysfonctionnements au sein de l’Etat, le président Saïed a rappelé qu’il n’y a pas de place dans les institutions de l’Etat pour ceux qui cherchent à les démanteler et à porter atteinte à la sécurité nationale. Il n’y a pas non plus lieu d’être indulgents envers ceux qui fomentent les tensions et agissent dans l’ombre. Les lobbies n’ont pas de place dans les institutions de l’Etat, et ceux qui les servent n’y ont pas leur place non plus.

Concertation régionale  

Prenant à bras-le-corps la question migratoire, qui occupe les devants de l’actualité suite aux affrontements dont Sfax et Mahdia sont le théâtre depuis quelques jours, le président Saïed a eu un entretien téléphonique, hier après-midi, avec le chef du gouvernement d’unité nationale libyen, Abdelhamid Dbeibah.

L’entretien a été l’occasion d’évoquer bon nombre de questions dont notamment le phénomène de la migration irrégulière et l’impératif qu’il y a à conjuguer les efforts en vue de trouver des solutions urgentes, lit-on dans un communiqué de la présidence de la république publié mardi soir.

Le chef de l’Etat a saisi l’occasion pour souligner au responsable libyen que pour faire face à la montée en puissance du phénomène de migration irrégulière, il importe de prévoir une «solution collective» impliquant tous les pays concernés, qu’ils soient du sud ou du nord de la Méditerranée.

A ce titre, le président Saïed a rappelé l’initiative qu’il avait annoncée et qui consiste à tenir un sommet de haut niveau associant les différentes parties prenantes pour s’attaquer aux origines du phénomène avant de se pencher sur ses potentielles incidences et retombées.

Il reste à se demander si le président Saïed va s’entretenir également à ce sujet avec le président algérien Abdelmadjid Tebboune, sachant que l’essentiel des migrants illégaux viennent de l’Algérie voisine, ainsi qu’avec ses autres homologues africains concernés par la migration clandestine.    

Réunion sécuritaire hier à Sfax.

Dans le même contexte, le directeur général de la Sûreté nationale et le directeur général, commandant de la Garde nationale se sont rendus dans la journée d’hier à Sfax accompagnés de hauts responsables de la sécurité pour suivre de près l’évolution de la région suite au meurtre de Nizar Amri lors d’affrontements avec des migrants subsahariens près de la route Mahdia km10 à Sakiet Eddaier.

Plus tôt dans la journée, le parquet près le tribunal de première instance de Sfax 1 avait ordonné l’arrestation de trois migrants subsahariens soupçonnés d’être impliqués dans l’assassinat, survenu lundi soir. Et un quatrième suspect est recherché dans le cadre de la même affaire.

Sfax sur un toit brûlant  

Dans la soirée, les affrontements se sont poursuivis et des vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux où l’on voyait des habitants s’attaquer aux migrants subsahariens, saccager leurs biens et les chasser des maisons qu’ils louaient dans une ambiance explosive que les derniers propos présidentiels ne vont sans doute pas aider à calmer.

Dans le même temps, les migrants illégaux continuent de débarquer sur les côtes italiennes, dont des milliers de Tunisiens qui ne manqueront pas de subir le même sort que leurs semblables subsahariens en Tunisie. Pour dire la complexité de ce problème qui ne saurait être géré par des déclarations intempestives mais par des politiques concertées entre toutes les parties-prenantes : pays d’origine des migrants, pays de transit et pays d’installation.

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