La Tunisie a-t-elle tourné le dos à l’Afrique subsaharienne ?

Le sort réservé aux migrants subsahariens depuis quelques jours à Sfax risque de détériorer davantage les relations de notre pays avec le continent auquel il s’énorgueillit jusque-là d’avoir donné son nom antique : Africa, Ifriqiya. La haine raciste alimentée par certaines têtes brûlées parmi nous sont en train de provoquer de très graves dégâts, dont, le comble !, beaucoup ne semblent pas réellement conscients.

Par Imed Bahri

Les migrants subsahariens à Sfax ont été ces derniers jours victimes de plusieurs crimes odieux, notamment des vols, des viols, des violences physiques et des traumatismes psychologiques, affirment des groupes de défense des droits de l’homme et que confirment plusieurs vidéos largement partagées sur les réseaux sociaux. Certains des migrants ont même été admis en urgence dans les hôpitaux régionaux suite à des blessures subies lors d’affrontements avec des groupes de riverains. S’ils survivent, ils doivent vivre dans des conditions extrêmement difficiles, devoir dormir par terre dans le désert et passer de longues périodes sans nourriture, eau et médicaments, notamment pour les 1000 à 1200 renvoyés de Sfax et lâchés aux frontières avec la Libye et l’Algérie.

«Jetés» dans le désert pour se débrouiller seuls

Le traitement des migrants subsahariens par les autorités tunisiennes a fait l’objet de vives critiques de la part de divers groupes de défense des droits de l’homme. Le compte Twitter de l’Onu pour les réfugiés en Libye s’est dit préoccupé par l’expulsion massive de migrants de Tunisie vers la Libye sans leur fournir ni nourriture ni eau. Les migrants ne sont même pas assurés d’un lieu de séjour et seraient simplement «jetés» dans le désert pour se débrouiller seuls. De quoi faire plaisir à la Première ministre italienne Giorgia Meloni et aux autres leaders de l’extrême-droite européenne qui n’espéraient pas tant de la part de la Tunisie.

Romdhane Ben Amor, du Forum pour les droits économiques et sociaux (FTDES), a évoqué les propos incendiaires et racistes du président tunisien Kaïs Saïed contre les migrants subsahariens le 21 février dernier, accusant ces derniers d’une «invasion» et de tentative de changement la démographie du pays. Il a indiqué que le FTDES avait alors prévenu que «la situation tragique et inhumaine des migrants» serait aggravée par de tels discours de haine, ce qui explique aussi l’augmentation constante des violences à leur encontre.

Evoquant la situation sécuritaire des Subsahariens à Sfax, le président Umaro Embaló de la Guinée-Bissau a appelé, hier, les autorités tunisiennes à prendre des mesures qui garantissent la sécurité et la dignité des migrants. «En tant que président en exercice de la Cedeao, nous sommes préoccupés et suivons de près la situation des migrants à Sfax en Tunisie. Nous espérons que les autorités tunisiennes, en tant que pays partageant le même continent, mettront un terme à ces violences envers des frères africains», a-t-il souligné.

‘’On est en Tunisie ici : TA GUEULE’’

Pour ne rien arranger, l’aventure d’Ange Freddy avec la police de l’aéroport de Tunis-Carthage, hier, fait des gorges chaudes dans les réseaux sociaux en Afrique. Cet humoriste très célèbre en Côte d’Ivoire était étudiant en Tunisie entre 2014 et 2016. A ce titre, il a été invité par une école tunisienne dans le but de réaliser une publicité afin d’attirer des étudiants subsahariens vers cette école, mais il a été refoulé à l’aéroport de Tunis-Carthage alors qu’il remplissait toutes les conditions pour séjourner légalement dans notre pays. Il a rendu compte de sa mésaventure sur les réseaux sociaux.

«L’officier de police tunisien à l’aéroport vient me dire ‘‘On est en Tunisie ici : TA GUEULE’’, parce que je me suis plaint des 10 heures d’attente (6h-16h) depuis mon arrivée à l’aéroport de Tunis-Carthage pour finalement comprendre que je ne peux pas rentrer sur le territoire tunisien (malgré l’hôtel et l’invitation de l’école pour laquelle je dois faire la pub). Et en plus de ça, ils disent que je dois encore payer mon billet retour si je veux retourner sur Abidjan. Or, j’ai déjà un billet aller-retour», a-t-il écrit sur son compte Twitter.

Ange Freddy a passé la nuit d’hier sur un banc de l’aéroport/Son post Twitter.

On apprend aujourd’hui que l’ambassade de Côte d’Ivoire est intervenue et que l’humoriste va enfin prendre l’avion pour Abidjan cet après-midi vers 17 heures, sans devoir payer un autre billet. Mais le problème a-t-il été réglé pour autant ?

En réalité, avec l’Afrique sub-saharienne, les problèmes, commencés le 21 février dernier, avec les déclarations du président Saïed sur les migrants subsahariens, dénoncées par l’Union africaine et les Nations-Unies, entre autres instances internationales, ne font que commencer. Pour preuve : des Tunisiens opérant dans certains pays subsahariens pour le compte de groupes privés tunisiens et internationaux ou dans le cadre de la coopération internationale parlent d’un grand changement dans l’attitude de leurs collègues autochtones à leur égard. Certains d’entre eux pensent même sérieusement mettre fin à leur mission et rentrer au pays, tant les informations en provenance de la Tunisie sont en train de donner une image peu reluisante des Tunisiens.

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