Alors que des organisations non gouvernementales dénoncent les agressions dont sont victimes les migrants subsahariens à Sfax et dans d’autres villes tunisiennes, les autorités régionales et centrales observent un silence gêné sur ces agressions, tout en participant activement à la déportation d’un grand nombre de migrants vers les zones frontalières avec la Libye et l’Algérie, afin de desserrer la pression migratoire sur les villes concernées : notamment Sfax et Mahdia. (Illustration : migrants fuyant Sfax vers d’autres villes tunisiennes).
Par Imed Bahri
C’est une véritable chasse à l’homme qui s’est déroulée ces derniers jours à Sfax, la ville côtière du centre-est de la Tunisie, contre les Africains subsahariens dont un grand nombre s’est enfui pour éviter la vague de répression impunément menée par des citoyens en colère, parfois sous le regard complice ou vaguement embarrassé des autorités.
La réponse des autorités et des habitants, après le meurtre d’un Tunisien par un groupe de migrants, est très dure : plusieurs vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des coups, des agressions et des expulsions avec des habitants qui, sous les applaudissements, incitent la police à expulser les irréguliers au cri de «Vive la Tunisie ! Sfax n’est pas une colonie» ou encore «Dehors! Rentrer chez vous!».
Un meurtre met le feu aux poudres
Ce mouvement d’hostilité aux migrants subsahariens a pris prétexte des propos jugés xénophobes du président Kaïs Saïed selon lesquelles «la Tunisie est un pays qui n’accepte que ceux qui respectent ses lois sur son territoire. Elle ne tolère pas d’être utilisée comme zone de transit ou d’installation pour des personnes de plusieurs pays africains, ni d’être la gardienne des frontières autres que les siennes». Le président tunisien parlait à la suite du meurtre d’un habitant de Sfax, pour lequel trois Camerounais sont actuellement en garde à vue et une autre personne est toujours en fuite.
Des centaines de migrants africains, chassés de Sfax, ont été emmenés – selon des témoignages recueillis sur place par l’AFP et des ONG – dans des zones désertiques du sud du pays, à la frontière avec la Libye.
La vague de violence alimentée par des appels à la vengeance a éclaté après qu’un migrant a tué un habitant de Sfax lors d’une bagarre plus tôt cette semaine. C’était une étincelle qui a déclenché à mouvement d’hostilité aux migrants subsahariens de la part de la population et une série d’arrestations effectuées par les forces de sécurité parmi les migrants. Selon les ONG, des centaines d’entre eux ont été emmenés en bus dans des zones désertiques du sud tunisien, certains près de la frontière avec la Libye et d’autres avec l’Algérie, d’où étaient arrivés de nombreux migrants.
«Nous n’avons rien à manger ni à boire. Nous sommes dans le désert», a déclaré à l’AFP par téléphone Issa Koné, un Malien de 27 ans, racontant avoir été emmené en bus près de la frontière algérienne avec une dizaine d’autres migrants.
Les migrants tentent désormais de s’enfuir : avant-hier, deux trains en provenance de Gafsa et de Sfax sont arrivés à Tunis avec à leur bord environ soixante-dix Subsahariens, ont rapporté divers médias, affirmant que des centaines avaient envahi la gare pour s’enfuir.
Selon des sources à Sfax, 1 200 migrants ont été expulsés, de fin juin à aujourd’hui, à partir de cette ville du sud-est tunisien vers les régions frontalières de Libye et d’Algérie : les migrants illégaux sont transportés par groupe de 200 et des navettes continuent de partir de Sfax pour les transporter vers les frontières, le but étant d’expulser de 3000 à 4 000 d’entre eux d’ici la fin de la semaine et de calmer momentanément la colère des riverains qui commencent à protester contre le manque de réaction des autorités face à la massification des flux migratoires au départ de la seconde ville du pays.
L’Union européenne s’en lave les mains
Ce tableau aggrave encore la pression migratoire sur l’Europe en provenance de Tunisie, les débarquements sur les côtes italiennes se poursuivant sans relâche.
Selon Nabila Massrali, porte-parole de l’Union européenne (UE) pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, citée par l’agence italienne Ansamed «l’UE continue de suivre les manifestations à Sfax contre les migrants en situation irrégulière». «Comme on le sait, le partenariat avec la Tunisie est basé sur le respect des droits des migrants. Notre message aux autorités tunisiennes est de porter une attention maximale à la population et à ses conditions économiques», a-t-elle aussi déclaré.
Le porte-parole de la Commission européenne, Eric Mamer, a, de son côté, rappelé aux autorités tunisiennes que «les discussions sont toujours en cours pour le protocole d’accord» (sur la migration), récemment convenu avec le président Kaïs Saïed, soulignant qu’il n’y a pour le moment aucune mise à jour sur la date à laquelle le commissaire à l’élargissement Olivier Varhelyi sera à Tunis pour sa signature.
Ce dernier devait se rendre à Tunis au cours de la semaine précédente, mais sa visite a été reportée à la demande de la partie tunisienne sans qu’une nouvelle date n’ait été fixée, ce qui traduit la gêne et l’hésitation de la partie tunisienne à s’engager dans un accord qui risque d’aggraver la pression migratoire sur le pays, alors qu’il traverse une grave crise politique, économique et sociale.
La manière avec laquelle l’UE maintient la pression sur la Tunisie, lui demandant de contenir la pression migratoire tout en lui enjoignant de respecter les droits humains, participe d’une hypocrisie qui ne dit pas son nom, Bruxelles se lavant clairement les mains des abus qui seraient commis contre les migrants subsahariens et se défaussant de toutes ses responsabilités dans ce domaine sur la petite Tunisie, dont les relations avec les autres pays africains n’ont jamais été aussi compliquées.
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