‘‘They must go’’: les Arabes d’Israël entre apartheid et déportation

Tout compte fait, en Israël, les extrémistes sont ceux qui veulent déporter les Arabes hors du territoire, et les modérés sont ceux qui les y enferment dans des ghettos.

Par Dr Mounir Hanablia *

Meïr Kahane est le chef de ce parti Kach ** qualifié dans les années 80 de raciste et d’extrémiste, et cela, dans le contexte d’un pays se considérant comme celui du peuple élu, nécessite d’autant plus de précisions, que quelques-uns de ses disciples occupent 40 ans après des responsabilités importantes dans l’actuel gouvernement israélien.

Les thèses que Meïr Kahane rapporte dans ce livre écrit en prison (pour rébellion) ont pour sujet ce qu’il qualifie de danger arabe, autrement dit les 150.000 palestiniens et leurs descendants résidant essentiellement en Galilée qui en 1948 n’ont pas fui leur pays et ont acquis plus tard la nationalité israélienne. A partir de 1976, ils se sont rangés dans le camp des Palestiniens des territoires occupés en 1967, en réclamant la création d’un Etat palestinien sous l’égide de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), trahissant selon les sionistes le pays dont ils portent la nationalité, Israël.

Cette prise de position serait  selon l’auteur «normale», les Arabes n’ayant cessé de s’opposer depuis 1891 à l’entreprise sioniste d’achats de terres, au besoin les armes à la main, parfois en commettant des massacres contre la population juive comme en 1929, puis entre 1936 et 1939, date de ce que l’on a nommé la grande révolte arabe.

Après 1948 et la «fuite» des 4/5 de la population palestinienne, les rescapés auraient entériné la réalité du fait israélien en se soumettant, ce dont ils n’auraient retiré que des avantages sur le plan social, économique et surtout démographique, leur nombre ne cessant de croître comparativement à celui de la population juive, menaçant d’inverser le rapport démographique établi au bénéfice de cette dernière, et donc le caractère juif de l’Etat.

De la soumission au soulèvement

Le maintien d’un système politique démocratique libéral aurait ainsi menacé de transformer un Israël juif en une Palestine arabe, et l’annexion des territoires palestiniens en 1967 en aurait accru le danger.

Le changement d’attitude de la population arabe israélienne passant de la soumission au soulèvement aurait eu pour origine les accords en 1977 de Camp David entre l’Egypte et l’Etat hébreu, cautionnés par les Etats-Unis, avec le projet d’autonomie du peuple palestinien dans lequel beaucoup avaient vu la reconnaissance de leur futur Etat.

La teneur du livre est donc qu’Israël pour survivre se débarrasse des populations arabes des territoires qu’il contrôle, en les transférant, un gérondif de déportation, vers les pays limitrophes, et en prenant exemple sur les précédents hongrois, polonais et tchèques, renvoyant les populations allemandes après la seconde guerre mondiale. Pour peu, on citerait même pour s’en inspirer les thèses de ‘‘Mein Kampf’’ d’Adolf Hitler et du danger racial exercé à l’encontre des populations germaniques, dont on sait comment les nazis l’ont résolu en transférant les indésirables vers les camps en Pologne et en Biélorussie.

L’évocation par l’auteur des relations sexuelles entre des hommes arabes et des femmes juives, qu’elles soient orientales poussées par d’impérieuses nécessités pécuniaires, ou occidentales émancipées de toute norme ou en mal d’expériences nouvelles, est humiliante d’abord pour les Israéliennes, et aborde bien la question sous l’angle racial, en mettant en exergue le stéréotype de l’Arabe, un être avant tout lubrique qui tire profit de la liberté de la société israélienne pour lui nuire tout en satisfaisant ses propres fantasmes. Quant à sa supposée nature meurtrière et perfide, rien ne la détaille mieux que le récit des massacres de Hébron en 1929, et qui, si tant est que les faits puissent être véridiques, ne prouverait que la responsabilité britannique, la puissance mandataire en charge de la Palestine à l’époque en vue de la création d’un foyer national juif selon les termes de la déclaration Balfour de 1917, dont la politique a conduit inévitablement à ces heurts inter communautaires.

Un pays physiquement vide d’Arabes

Par ailleurs, la révolte de 1936 a été réprimée d’une main de fer par la puissance mandataire, faisant bien plus de victimes innocentes arabes. Enfin le départ de la majeure partie de la population palestinienne dénuée de tout moyen de défense en 1947 n’a pas été un miracle, mais le seul choix possible laissé par les milices juives bien armées dans une stratégie clairement établie d’épuration ethnique.

Cela dit, il s’avère que les préoccupations évoquées dans ce livre, l’alignement de la population arabe palestinienne sur les thèses de l’OLP en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, ont été à l’origine de l’invasion du Liban en 1982 avec pour objectif la destruction de l’infrastructure militaire palestinienne, et la dispersion de ses combattants. Dès lors, il devient intéressant de comparer le point de vue considéré comme extrémiste sur les relations judéo-arabes par rapport à celui politiquement correct.

En vérité, mis à part les professions de foi messianiques de l’auteur contre les Arabes dont le refus équivaut selon lui à une opposition à la volonté divine, si l’extrémiste vise à un pays «arabenrein», physiquement vide d’Arabes, l’officiel, celui de l’état,  entend que ce vide soit avant tout politique, ce qui reviendrait au même avec des étrangers sujets mais non citoyens de l’état dénués de toute perspective de le devenir, ou de vivre dans un Etat palestinien indépendant.

Un Etat d’apartheid dans les faits

Aujourd’hui, 40 ans après, toute la Cisjordanie a été morcelée, les agglomérations arabes quand elles ne sont pas la cible d’«incursions» de l’armée israélienne, la dernière à Jénine, sont enfermées derrière des murs et la circulation des biens et des personnes y est étroitement contrôlée, des implantations juives ont été créées sur tout le territoire, la majeure partie des terres expropriées l’ont été en faveur des colons, et Jérusalem est encerclée par les nouvelles cités juives.

En fait cette politique a instauré dans les faits un Etat d’apartheid qui ne semble pas prêt de disparaître à court terme. Quant à la souveraineté juive, c’est désormais par la destruction des mosquées de Jérusalem qu’on entend en apporter la confirmation éclatante.

Si le rabbin Meïr Kahane est mort assassiné, Itamar Ben Gvir, actuel ministre israélien de la Sécurité nationale, est lui bien vivant.

Tout compte fait, en Israël, les extrémistes sont ceux qui veulent déporter les Arabes hors du territoire, et les modérés sont ceux qui les y enferment dans des ghettos. Toute ressemblance ne saurait être que fortuite.

‘‘They must go’’, de Rabbi Meir Kahane, éd. Grosset & Dunlap, 288 pages, 1er octobre 1981.

* Médecin de libre pratique.

** Le parti Kach incarne, aux yeux de la sociologue franco-israélienne Eva Illouz, le fascisme juif.

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