La censure des livres : une tentation tunisienne

Est-ce que l’autorité actuelle en Tunisie cherche à restreindre la liberté d’expression, de publication et de réflexion, ou les cas de censure observés s’expliquent-ils par un excès de zèle de la part de l’administration qui la pousse à adopter ces pratiques d’elle-même ? Le débat est loin d’être clos…

Par Hssan Briki  

‘‘Le pouvoir d’un seul’’, livre publié la semaine dernière et présenté à la librairie Dar El Kitab à Mutuelleville, le mardi 11 juillet, est composé de 17 articles rédigés par autant d’auteurs, juristes, politistes, économistes et journalistes tunisiens, dont Hamadi Redissi, Sana Ben Achour, Salsabil Klibi, Hafidha Chekir et Zyed Krichen.

Le sociologue Mohamed Sahbi Khalfaoui a récemment abordé la publication du livre lors de l’émission radiophonique ‘Houna Tounes’’ sur Diwan FM et a laissé entendre qu’elle avait fait l’objet de tentatives de censure, affirmant que les textes du livre étaient prêts depuis décembre et janvier derniers, mais qu’ils n’ont pu être publiés que la semaine écoulée. Lorsque l’animateur lui a demandé la raison de ce retard, il a visiblement évité d’expliquer en détail les raisons, se contentant d’une phrase laconique: «Le pire de la censure c’est l’autocensure». Puis il a précisé : «Je ne vise pas les collègues et les contributeurs du livre qui ne craignent que Dieu, mais nous avons rencontré quelques problèmes dans la publication du livre, et il semble qu’il y ait des signes indiquant que nous pourrions rencontrer d’autres problèmes lors de sa distribution.»

Inquiétudes persistantes

Il s’agit clairement d’une allusion à des obstacles administratifs apparemment orchestrés par des responsables, par crainte de la colère de l’autorité actuelle ou par volonté de la satisfaire, ce que l’on appelle l’autocensure. Cela renforce les inquiétudes persistantes dans le pays depuis la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021, et les craintes quant au retour d’un pouvoir absolu et de pratiques que l’on croyait révolues, y compris la restriction de la liberté d’expression et de publication.

Il convient de mentionner ici que ce n’est pas la première fois que cette question est soulevée. L’incident célèbre de la Foire du Livre, au cours duquel les livres Frankenstein Tunis’’ de l’écrivain Kamel Riahi et ‘‘Kais 1er, président d’un bateau ivre’’ du journaliste Nizar Bahloul ont été retirés des stands, avant d’être remis en circulation après l’éclatement du scandale, constitue un précédent grave. Malgré l’affirmation du président à l’époque lors de sa visite à la librairie Al-Kitab, le 2 mai, selon laquelle «il n’est pas question de parler d’interdiction d’un quelconque livre en Tunisie», ajoutant que «celui qui continue de parler d’interdiction est en dehors de l’histoire», les faits et les enquêtes journalistiques menées confirment qu’il y a bien eu une interdiction et une restriction de la liberté d’expression. De nombreux témoignages documentés dans l’enquête réalisée par le site Inkyfada, par exemple, confirment l’intervention de policiers et d’employés du ministère des Affaires culturelles pour empêcher la diffusion de ces livres.

Excès de zèle de l’administration   Les tensions et les incidents mettant en évidence les pressions exercées sur la liberté d’opinion et d’expression en Tunisie depuis le 25-Juillet, ainsi que la déclaration récente de Mohamed Sahbi Khalfaoui, ajoutent une nouvelle preuve et un nouveau témoignage à ce dossier. Cela invite à reconsidérer la question des libertés en Tunisie aujourd’hui, en particulier la liberté d’expression, de publication et de réflexion, comme l’a exprimé le président. Est-ce que l’autorité actuelle cherche à les restreindre, ou excès de zèle de la part de l’administration qui la pousse à adopter ces pratiques d’elle-même ? Quelles mesures l’autorité doit-elle prendre, si c’était le cas ?


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