Tunisie : un nouveau chef de gouvernement pour quelle mission ?

Le choix des chefs de gouvernement par le président de la république en dit long sur le rôle qu’il leur assigne dans «sa» nouvelle république : celui de simple exécutant en charge de donner sens à ses paroles et d’appliquer ses décisions. La nomination d’Ahmed Hachani, mardi 1er août 2023, à une heure tardive de la nuit, à ce poste, en remplacement de Najla Bouden, le confirme amplement.

Par Ridha Kefi

Pour le peu qu’on connaît d’eux, les deux chefs de gouvernement, la sortante et l’entrant, ont beaucoup de points en commun. Jusqu’à leur nomination à ce poste important, ils étaient quasiment inconnus au régiment, et évoluaient cahin-caha dans la hiérarchie de l’Etat sans faire des étincelles.

Ce sont, aussi, des technocrates, sans doute compétents dans leurs domaines respectifs, la géologie pour la première et le droit et l’économie pour le second, mais ils n’ont pas de passé politique ni d’appartenance idéologique connus.

Last but not least, ils ne sont pas du genre à avoir des idées personnelles arrêtées sur tel ou tel sujet et encore moins des états d’âme ou des scrupules susceptibles de leur inspirer des actes de désobéissance. Dire «non» ou encore «oui mais…» serait la chose la plus insupportable qu’on puisse leur demander.   

D’un fusible l’autre

Ce côté lisse et sans aspérité semble avoir beaucoup pesé dans leur nomination à ce poste où ils sont censés faire preuve d’obéissance, d’abnégation, de reniement de soi voire d’auto-effacement, quitte à assumer au final un bilan calamiteux qui n’est finalement pas le leur. Bref, ce sont des fusibles, commodes et consentants, bons à sauter le moment voulu. Et la cheffe de gouvernement sortante nous en a déjà donné la parfaite illustration.

Durant son mandat de 22 mois à la Kasbah, Najla Bouden a très peu parlé, ne donnant presque jamais des déclarations à la presse, et encore moins des interviews. Quand elle ouvrait la bouche, c’était pour lire – laborieusement et dans un arabe hésitant – des discours préparés par ses collaborateurs. Elle ne risquait donc pas de faire entendre le moindre son de cloche personnel, si tant est qu’elle ait la moindre différence à faire entendre ou à faire valoir dans un système de gouvernement qui supporte de moins en moins l’originalité, la diversité ou la divergence.

Si donc le président a décidé de limoger Mme Bouden, ce n’est pas parce qu’elle a démérité pour le peu qui lui était demandé au départ. Et encore moins pour le bilan maigre de «son» gouvernement qui n’était d’ailleurs pas vraiment le «sien», puisqu’elle n’a choisi aucun de ses membres, lesquels dépendaient tous directement du chef de l’Etat.

En fait, l’ex-cheffe du gouvernement a largement dépassé sa date de péremption et devait «sauter», comme on le dit d’un fusible qu’on remplace pour que le courant puisse passer de nouveau dans un circuit qui commençait à ronronner, à tourner en rond et à sommeiller grave, qui plus est, dans un pays en crise où tout semble bloqué.

Un commis de l’Etat

Il reste cependant à savoir si le nouveau promu, Ahmed Hachani en l’occurrence, dont nous ne savons pas grand-chose, sauf qu’il est diplômé en droit public et sciences économiques et qu’il était directeur général des ressources humaines à la Banque centrale de Tunisie – ce qui en dit long sur son profil de commis de l’Etat –, saura impulser les changements nécessaires à la tête d’un gouvernement qu’il n’a pas choisi, dont il a hérité et qu’il va devoir d’abord apprendre à connaître. Aura-t-il d’ailleurs les coudées franches pour appliquer son programme, s’il en a vraiment un ? Ou va-t-il se contenter de «faire du Najla Bouden», en appliquant – autant que faire se peut – les décisions du chef de l’Etat, quitte à continuer à broyer du vent ?

Pour le moment, tout jugement ne peut qu’être prématuré. Attendons donc voir si l’homme a une vision claire de ce qu’on attend de lui, s’il a des idées pour sortir le pays de la crise et s’il a suffisamment de détermination pour les mettre en œuvre, dans le contexte des pressions de toutes sortes auxquelles il sera soumis, et d’abord celles du président de la république, qui n’acceptera aucun écart par rapport à la ligne qu’il aura tracé.

Dans une réaction à chaud à la nomination de Ahmed Hachani, l’ancien ambassadeur Elyes Kasri a publié un poste Facebook où il appelé le nouveau chef de gouvernement à entamer son mandat par un discours sur son programme politique et le calendrier envisagé pour la relance économique. «Une plus grande transparence et des rencontres régulières avec la presse permettraient de couper avec l’opacité qui ne fait qu’alimenter la rumeur et l’impression d’une dualité du discours politique frisant la schizophrénie», a écrit le diplomate.

«En plus de la gestion des affaires publiques, un gouvernement, surtout en temps de crise, a une obligation de transparence et de communication et surtout de pédagogie de l’effort collectif pour réussir la sortie de crise et l’entame de la relance», a-t-il aussi rappelé à juste titre.

Le rêve est permis…

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.