Alors que les images de migrants abandonnés dans le désert à la frontière entre la Tunisie et la Libye sont relayées par les médias internationaux, l’image de notre pays à l’étranger se trouve de plus en plus entachée. Des artistes, des organisations, des associations et des parlementaires étrangers critiquent le sort réservé aux migrants et aux demandeurs d’asile et expriment leur solidarité avec ces derniers.
Par Hssan Briki
Ces derniers temps, plusieurs spectacles d’artistes étrangers en Tunisie ont été annulés en raison de la situation des migrants africains. Tout a commencé par l’annulation du spectacle de Gims, qui était prévu pour le 11 août 2023 à Djerba. Le rappeur français a affirmé avoir pris cette décision en signe de protestation contre le sort réservé aux migrants. Il a clairement exprimé sa position dans une story Instagram, publiée le dimanche 30 juillet. «Des enfants, des femmes, des hommes, expulsés de la Tunisie vers la Libye, vivent dans des conditions inhumaines. Je ne peux maintenir ma venue», a-t-il écrit. Et d’ajouter: «Je ne sais pas où sont les solutions. Mais cette détresse extrême est insoutenable… , en partageant deux photos de réfugiés appelant à l’aide.
Trois jours plus tard, deux autres rappeurs français BigFlo & Oli ont également annoncé le «report» d’un concert prévu pour le 2 août au Festival international de Carthage, en raison de la situation des migrants subsahariens en Tunisie.
Un modèle en perte de vitesse
La Tunisie, longtemps considérée comme une exception dans le monde arabo-musulman pour avoir entamé, en 2011, une transition démocratique, ce qui lui valut, en 2015, le prix Nobel de la paix, se retrouve aujourd’hui confrontée à des accusations de xénophobie et de racisme.
Le porte-parole adjoint de l’Onu, Farhan Haq, a déclaré lors d’une conférence de presse, le 1er août : «Nous sommes profondément préoccupés par l’expulsion des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile de Tunisie vers les frontières avec la Libye et aussi l’Algérie», tout en réitérant l’appel lancé la semaine dernière par la Commission des droits de l’homme pour mettre fin immédiatement à ces expulsions et reloger d’urgence les personnes bloquées le long de la frontière dans des endroits sûrs, où elles peuvent être protégées et avoir accès à suffisamment d’eau, de nourriture, d’abri et de soins médicaux.
De son côté, l’organisation Human Rights Watch (HRW) avait publié le mois dernier deux rapports successifs, le premier le 19 juillet, et le deuxième le 20 juillet où elle dénonce des abus commis en Tunisie envers les migrants subsahariens et appelle à mettre fin à cette tragédie.
Sur le plan politique, et bien que les majorités de droite soutiennent le récent mémorandum d’accord sur la migration entre l’Union Européenne et la Tunisie, 37 eurodéputés d’autres sensibilités politiques ont accusé l’exécutif européen d’ignorer les «graves violations» des droits humains dans notre pays et exprimé leurs inquiétudes dans une lettre adressée à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, publiée le jeudi 27 juillet.
Dans le même contexte, le journal italien Corriere Della Sera a rapporté, mercredi 2 août, que plus de 250 universitaires ont déjà signé une lettre adressée au recteur de l’Université La Sapienza en Italie, demandant l’annulation du doctorat honorifique en droit romain décerné au président tunisien Kaïs Saïed. «La situation la plus dramatique se situe loin de la capitale, dans le sud du pays, dans un no man’s land qui sépare la Libye et la Tunisie. C’est là que des centaines de migrants africains, résidant en Tunisie ou transitant par le pays, ont été expulsés par les autorités tunisiennes et abandonnés à leur sort, privés d’eau et de nourriture», ont-ils écrit à l’appui de leur demande.
La voix inaudible de la Tunisie
Officiellement, la Tunisie réfute catégoriquement les informations relatives au renvoi de migrants et aux mauvais traitements dont ces derniers auraient fait l’objet de la part des forces de l’ordre tunisienne, qualifiant ces informations d’«imprécises», d’«inexactes» voire de «contrevérités», termes utilisés par le ministre de l’Intérieur Kamel Feki dans un entretien avec l’agence officielle Tap, publié hier, 3 août, où il a déclaré que les allégations et prétentions sur des opérations d’expulsion arbitraire sont dénuées de tout fondement, et appelant les instances onusiennes à faire preuve de mesures et à vérifier l’information avant de s’empresser de la publier.
Selon lui, son département ne lésine sur aucun moyen et ne ménage aucun effort en vue de prêter main forte aux migrants irréguliers bloqués à la frontière terrestre ou maritime de la Tunisie. Il a d’ailleurs fait état de plus de 15 327 migrants irréguliers secourus par les forces sécuritaires tunisiennes durant la période comprise entre janvier et juillet de l’année en cours, dont 95% sont des ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne.
Parce qu’elles son rares, imprécises et souvent tardives, ces déclarations ne semblent malheureusement pas atteindre leur but, qui est de rectifier l’image négative colportée aux quatre coins du monde sur la situation générale en Tunisie, et sur les traitements inhumains qui y sont infligés aux migrants, et qui sont souvent rapportés par des médias crédibles et des organismes internationaux spécialisés. Dans ce contexte délétère, les déclarations controversées du président Saïed sur les migrants subsahariens et la menace qu’ils constituent pour la stabilité démographique de la Tunisie, jugées hostiles voire racistes, n’ont pas arrangé les choses. Au contraire…
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