Les travaux de construction de l’hôpital du Roi Salman à Kairouan, porteur de l’espoir d’une région parmi les plus déshéritées en Tunisie, n’ont même pas démarré six ans après l’annonce du don saoudien destiné à le financer. Ce qui aurait pu être l’objet de fierté de toute une région est devenu un symbole des entraves administratives empêchant la réalisation des projets publics dans tout le pays. Dans une Tunisie où de multiples projets d’importance se perdent dans les dédales d’une administration tatillonne et inefficace, il est grand temps de mettre en route des réformes audacieuses pour faire sauter les verrous bureaucratiques et relancer le processus de développement.
Par Hssan Briki
Ce problème a été au centre d’une réunion de travail, lundi 21 août 2023, au palais de Carthage, entre le président de la république, le Premier ministre, le ministre de la Santé, la ministre de l’Équipement et du l’Habitat, le gouverneur de Kairouan, le directeur général de l’Agence foncière d’habitation (AFH).
La réunion a discuté des raisons entravant le démarrage des travaux de construction de l’hôpital du Roi Salman Bin Abdelaziz , à Kairouan. Et des moyens d’en accélérer le processus et de demander des comptes à tous ceux qui œuvrent pour en perturber la réalisation, qu’il s’agisse des institutions de l’État ou des groupes de pression qui considèrent les services publics comme une menace pour eux ou préjudiciable à leurs intérêts, selon les termes de Kaïs Saïed.
L’hôpital du Roi Salman bin Abdulaziz est un projet envergure s’étendant sur 15 hectares. Prévu pour initialement accueillir 500 lits, avec une possibilité d’extension à 770 lits, cet hôpital universitaire prévoit également plus de 21 spécialités médicales et paramédicales. Le projet a fait l’objet d’un accord de don de l’Arabie saoudite à la Tunisie, via le Fonds saoudien pour le développement (FSD), d’un montant de 85 millions de dollars. Cet engagement, datant de 2017, a été annoncé lors de la visite du roi Salman en Tunisie, en présence du regretté président Béji Caïd Essebsi, en mars 2019.
Des «procédures ottomanes»
Des procédures bureaucratiques ont sérieusement entravé l’avancement du projet. Malgré des nombreuses rencontres, discussions et études préparatoires effectuées, révisées et complétées, il n’a pas avancé d’un iota, suscitant la colère des Kairouanais et leurs moqueries.
La finalisation des études préliminaires relatives à ce projet, amorcées en février 2020, ont été reportées à deux reprises, aboutissant enfin à l’approbation de la première phase en avril 2021, couvrant les aspects architecturaux et budgétaires. Les phases ultérieures relatives à la conception ont été achevées, à l’exception de la quatrième concernant les plans d’exécution. Malgré son lancement, le 19 octobre 2021, cette phase demeure inachevée, retardant ainsi l’appel d’offres et le démarrage des travaux, prévu initialement pour juillet de la même année.
Fadhel Abdelkefi, président du parti Afek Tounes et ancien ministre du Développement et de la Coopération internationale, qualifie ces interminables procédures d’«ottomanes», soulignant leur incompatibilité avec les évolutions contemporaines. En tant que signataire de l’accord relatif au don saoudien, Abdelkefi estime que ces procédures empêchent l’entrée de centaines de millions de dollars alloués à la Tunisie, maintenant ainsi ces fonds «gelés derrière les barrières administratives».
Un problème systémique
L’hôpital du Roi Salman à Kairouan est l’un des projets majeurs qui peinent à avancer en Tunisie en raison des entraves administratives. Aux yeux des populations, qui en attendent impatiemment la réalisation, il incarne de manière frappante ces entraves aussi inexplicables que désespérantes.
Parmi ces projets dont on parle depuis une quinzaine ou une vingtaine d’années sans qu’on en voie ne fut-ce qu’un début de démarrage figurent, entre autres, le port en eaux profondes à Enfidha, Sama Dubai à Tunis, la Cité sportive à Sfax, le métro de la même ville, la Côte de corail à Tabarka, et le Grand marché de Sidi Bouzid.
Tous ces projets, malgré leur importance et leur potentiel, sont confrontés à des obstacles administratifs empêchant leur mise en œuvre. La plupart restent à la phase des études préliminaires, ou même, parfois, des effets d’annonce.
Ces projets, pour la plupart basés sur des partenariats publics-privés, nécessitent d’importants investissements, extérieurs et intérieurs, pour leur réalisation. Ils sont envisagés comme des moteurs de croissance économique et de création d’emplois, mais la plupart restent au stade des études et de la planification, s’ils n’ont pas été bloqués en cours de route avant même d’atteindre le stade des appels d’offres pour le démarrage des travaux.
Dans une déclaration aux journalistes à l’issue d’une réunion de consultation économique à Beit El Hikma, à Carthage, l’ancien chef du gouvernement Hichem Mechichi a évalué l’ensemble des projets publics en suspens dans le pays à quelque 17 milliards de dinars (environ 6 milliards de dollars), mettant ainsi en évidence l’ampleur du défi que représente la bureaucratie dans un pays qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise.
Peut-on espérer un changement ?
La réunion présidée hier par le président Kaïs Saïed va-t-elle permettre le déblocage de projets en panne. On peut l’espérer mais sans nous bercer d’illusions. Et pour cause : le président dispose de prérogatives considérables pour passer à l’action, mais il se contente souvent de simplement dénoncer les dysfonctionnements de l’Etat dont il est, faut-il le rappeler, le chef incontesté.
Avec les pouvoirs renforcés qu’il s’est accordés en proclamant l’état d’exception, le 25 juillet 2021, Saïed a les moyens légaux de simplifier, d’améliorer et d’accélérer les procédures administratives archaïques qui entravent la mise en œuvre des investissements, la réalisation des projets bloqués et la relance de la machine économique. Mais il semble avoir les mains liées. Par qui ? Par quoi ? Qu’est-ce qui l’empêche d’agir pour initier les réformes audacieuses nécessaires à la dynamisation de l’économie et l’amélioration de la vie des citoyens ? Mystère et boule de gomme…
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