Tunisie : des «électeurs fatigués» bientôt appelés aux urnes  

Les Tunisiens, qui considèrent désormais les élections comme une corvée, seront bientôt appelés aux urnes pour élire le Conseil des régions et des districts, les conseils municipaux et le président de la république : trois rendez-vous électoraux en moins d’un an. Si on voulait tuer tout élan démocratique chez une nation, on ne se serait pas comporté autrement.

Par Imed Bahri

Interrogé sur l’ampleur du taux d’abstention aux dernières législatives tunisiennes, en 2022, qui a atteint presque 90%, Ahmed Tlili Mansri a affirmé que la commission électorale n’en assume pas la responsabilité.

Le porte-parole de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), qui intervenait au cours d’une conférence de presse, mardi 29 août 2023, au siège de l’Instance régionale pour les élections de Nabeul, a déclaré : «La commission électorale n’assume pas la responsabilité de la faible participation au vote, puisqu’elle a accompli toutes les tâches qui sont les siennes à chaque rendez-vous électoral, de l’actualisation du registre des électeurs à la diffusion des spots de sensibilisation, tout en diffusant les informations nécessaires avec la collaboration des médias».

«On a fatigué les électeurs»

Pour expliquer la faible participation des électeurs, Mansri a affirmé qu’«il y a plusieurs raisons à l’abstentionnisme des électeurs que les sociologues et les psychologues seraient plus à même d’expliquer car elles sont liées à la situation économique et sociale dans le pays».

«L’instabilité politique et la multiplication des rendez-vous électoraux ont fatigué l’électeur qui a été appelé à voter à treize reprises depuis 2011, alors que la loi stipule la convocation des électeurs tous les cinq ans. Il nous est arrivé de convoquer les électeurs deux fois par an. A mon avis, on a fatigué les électeurs», a souligné Mansri.

Cette «fatigue démocratique», notre collègue Zied Krichen en parle dans l’ouvrage collectif Le pouvoir d’un seul paru récemment et l’explique en ces termes : «La transition politique a été concomitante à une détérioration de conditions de vie de la plupart des citoyens et à un rejet viscéral de l’essentiel de la classe politique de cette première décennie postrévolutionnaire».

En reprenant ce concept pour expliquer l’ampleur du taux d’abstention aux dernières législatives, Mansri cherche-t-il à justifier à l’avance les nouveaux records d’abstention qui ne manqueront pas d’être enregistrés lors des prochains rendez-vous électoraux: les élections du Conseil des régions et des districts (seconde chambre parlementaire voulue et imposée par le président Kaïs Saïed), les élections municipales et les élections présidentielles qui devraient se tenir en l’espace d’un an ?

Des électeurs non concernés

On pourrait le penser d’autant que les espoirs suscités par la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021, ont été largement déçus et que l’Etat juste et égalitaire promis par Saïed a dégénéré en une autocratie plus soucieuse de consolider son pouvoir que d’améliorer les conditions de vie des gens. Conditions de vie qui, soit dit en passant, ont continué à se dégrader, se traduisant par une inflation galopante, une escalade des prix, de fréquentes pénuries de produits de première nécessité et un ras-le-bol général, touchant toutes les catégories de la population.

Pour ne rien arranger, l’écrasante majorité des Tunisiens ne se sent nullement concernée par le processus politique initié (unilatéralement et en dehors de tout dialogue politique) par le locataire du Palais de Carthage. Leur demander d’aller de nouveau aux urnes qu’ils avaient massivement boycottées il y a quelques mois n’est pas seulement un pari risqué, c’est un saut dans l’inconnu que Saïed serait bien inspiré d’éviter pour ne pas essuyer un nouveau camouflet politique. Le fait qu’il n’ait pas encore fixé des dates pour les trois rendez-vous électoraux censés se tenir en 2023 et 2024, et que l’Isie fait semblant de préparer, sans s’y engager clairement et avec un calendrier précis, traduit la perplexité et l’hésitation du pouvoir en place.

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