Les îles tunisiennes de Kerkennah risquent d’être gravement touchées par le changement climatique et notamment par l’élévation du niveau de la mer. La pêche constituant lé base de l’économie de Kerkennah, les communautés locales s’organisent pour résister et s’adapter à ces changements environnementaux.
Par Adel Azouni *
Les îles de Kerkennah, au large des côtes tunisiennes, risquent d’être considérablement touchées par l’élévation du niveau de la mer provoquée par le changement climatique. Face aux sombres prévisions concernant sa vulnérabilité croissante dans les décennies à venir, les organisations de la société civile restent déterminées à améliorer la capacité d’adaptation et la survie de l’île.
Situées à 17,9 kilomètres des côtes tunisiennes, au nord-est du gouvernorat de Sfax, les îles de Kerkennah forment un archipel de la mer Méditerranée d’un périmètre de 160 kilomètres. L’archipel est composé de deux îles principales : Gharbi et Chergui, ou Grande Kerkennah, en plus de 12 îlots.
Kerkennah comptait 15 501 habitants en 2014, selon l’Institut national de la statistique, un chiffre qui augmente considérablement en été en raison des émigrants revenant de la Tunisie continentale, de la France ou de l’Italie.
Couvert d’oliviers et de vignes, cet archipel, qui accueillit autrefois le général carthaginois Hannibal lors de son exil après la bataille de Zama, est aujourd’hui de plus en plus menacé par le changement climatique et la montée du niveau de la mer.
Biodiversité à Kerkennah
Les îles de Kerkennah jouissent d’une grande diversité marine, la pêche occupant une place importante dans la vie quotidienne des habitants des îles. Cette activité représente le cœur économique de Kerkennah. Les pêcheurs des îles pratiquent des techniques de pêche uniques, comme la «charfia», une technique innovée depuis plusieurs siècles pour atteindre les bancs de poissons de basse altitude à un ou deux mètres sous la surface. La charfia est classée au patrimoine culturel immatériel par l’Unesco.
Caractérisé par un relief plat d’une altitude maximale de 13 mètres, l’archipel est particulièrement vulnérable à la montée du niveau de la mer, qui entraînerait probablement une submersion sous-marine partielle, voire totale.
En effet, selon le rapport de synthèse du Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat de 2019, le réchauffement climatique est responsable d’une élévation du niveau de la mer observée depuis la fin du XXe siècle et encore anticipée dans le futur.
Les îles comme Kerkennah sont les plus touchées par ce phénomène, même si elles n’ont guère contribué au réchauffement climatique. L’impact de l’élévation du niveau de la mer pourrait être significatif d’ici 2020-2050 et pourrait atteindre plus de 50 centimètres d’ici la fin de ce siècle, selon une étude scientifique.
«Plusieurs parties de l’archipel de Kerkennah vont disparaître d’ici quelques années; la montée du niveau de la mer représente un réel danger pour les îles et la population locale», déclare Mehdi Ben Haj, vice-président de l’association La Saison Bleue qui s’engage pour la protection du littoral et de l’environnement maritime en Tunisie.
Cette carte de Climate Central illustre l’impact de l’élévation du niveau de la mer si celui-ci atteint 50 centimètres au-dessus de la ligne de marée haute. Dans ce cas, des parties importantes de Kerkennah disparaîtraient, ce qui aurait un impact incommensurable sur leur faune, leur flore et la communauté locale.
En outre, la Méditerranée est en train de devenir la mer qui se réchauffe le plus rapidement, avec des températures qui augmentent 20% plus vite que la moyenne mondiale et le niveau de la mer devrait augmenter de plus d’un mètre d’ici 2100. En conséquence, de nouvelles espèces adaptées aux températures plus chaudes de l’eau ont migré vers la mer Méditerranée, menaçant les espèces locales.
Et pour ses habitants, la vie sur ces îles devient de plus en plus difficile, à mesure que la mer devient de moins en moins généreuse en raison de la pollution, de la surexploitation des ressources, mais aussi des crabes bleus envahissants venus d’Asie, astucieusement surnommés «Daesh» en raison de leur impact destructeur sur l’écosystème de l’île. «Ils l’appellent Daesh parce qu’il détruit tout», explique Souhail Baabaa, membre de l’association Jeunes Sciences Kerkennah.
En effet, cette espèce détruit régulièrement les filets et le matériel des pêcheurs et attaque les pêcheurs lorsqu’ils tentent de les retirer des filets. Les blessures que leurs mains subissent à cause des crabes bleus les empêchent souvent de travailler pendant des jours.
Survie et conservation
Le seul espoir pour les insulaires de Kerkennah aujourd’hui réside dans l’adaptation aux impacts du changement climatique. Plusieurs associations environnementales des îles œuvrent pour sensibiliser la population locale au changement climatique, comme la Young Science Association Kerkennah, une association d’éducation à l’environnement et au développement durable qui travaille avec les pêcheurs pour améliorer leur résilience face au changement climatique. Ils visent notamment à soutenir leur adaptation au crabe bleu envahissant. «Nous travaillons fréquemment avec des pêcheurs, qui sont en première ligne des personnes les plus touchées par les effets du changement climatique sur l’île. Le crabe bleu représente un obstacle à leur travail; Il est considéré comme leur ennemi, mais nous organisons quand même des événements scientifiques afin d’encourager l’adaptation aux espèces envahissantes ainsi que la protection des espèces menacées comme les tortues marines», explique Baabaa.
Le travail de la société civile à Kerkennah a joué un rôle majeur dans la conservation des tortues marines sur les îles. Les pêcheurs sont aujourd’hui les principaux acteurs de la sauvegarde de ces espèces menacées, réalisant parfois des opérations de sauvetage qu’ils partagent en ligne avec les membres de l’association TunSea, une plateforme de sciences participatives qui vise à promouvoir les initiatives pédagogiques et l’échange d’informations sur les sciences marines. «Notre objectif via TunSea est de créer un écosystème où différents acteurs comme les scientifiques, les pêcheurs, les associations, les jeunes, tout citoyen amoureux de la mer, sont interconnectés et rassemblés autour d’une passion commune. Notre objectif est d’échanger des informations, de renforcer la coopération, mais aussi d’éduquer et de sensibiliser la communauté», explique Emna Derouiche, membre de l’organisation.
Entre la menace du changement climatique et la détérioration de la situation économique en Tunisie, Kerkennah est devenue très vulnérable, tandis que l’État reste silencieux et semble peu préparé à sauver l’île. Plus inquiétant encore, l’État reste impuissant à protéger une population attachée à ses terres.
Source : The Tahrir Institute For Middle East Policy.
* Adel Azouni est doctorant en géologie environnementale et géologue basé à Tunis, passionné par l’activisme environnemental.
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