Tunisie : la réforme de l’éducation entre urgence et perte de temps 

Après de longs mois d’attente, la consultation nationale sur la réforme du système éducatif a lancé sa plateforme le 15 septembre dernier. Mais quels changements cette énième consultation sur la réforme d’un système devenu obsolète peut-elle apporter ?  Alors que l’état de l’éducation nationale est si catastrophique que la poursuite des palabres serait une fuite en avant et un aveu d’incapacité à changer quoi que ce soit.

Par Hssan Briki

L’objectif de cette consultation est d’engager tous les citoyens, des parents aux enseignants, en passant par les experts en éducation, dans un dialogue sur l’avenir de notre système éducatif. Cependant, se pose la question de l’apport attendu d’un public qui ne maîtrise pas forcément les subtilités des enjeux éducatifs complexes. 

La consultation s’articule autour de cinq axes majeurs, chacun abordant des aspects cruciaux.  

Un premier axe met l’accent sur l’éducation de la petite enfance et le rôle du soutien familial. Il pose des questions essentielles, telles que l’accès des enfants de 3 à 5 ans aux écoles maternelles, la possibilité de rendre cette étape obligatoire, et les attentes concernant ces établissements. La réflexion s’étend également à la préparation des enfants par les garderies scolaires à l’acquisition de connaissances. 

Le deuxième axe se penche sur les programmes d’enseignement, les méthodes d’évaluation, et l’organisation du temps scolaire. Il questionne la nécessité de réviser les programmes pour favoriser le développement des compétences et propose de repenser les méthodes d’évaluation pour refléter la maîtrise réelle des connaissances. De plus, il aborde la délicate question de la langue d’enseignement pour les matières scientifiques et l’organisation du temps scolaire. 

Le troisième axe met en lumière la coordination entre les systèmes éducatifs, la formation professionnelle, et l’enseignement supérieur. Il s’interroge sur l’intégration des parcours éducatifs et la nécessité d’améliorer l’orientation scolaire. De plus, il interroge la satisfaction quant au système actuel d’orientation universitaire. 

Le quatrième axe se penche sur la qualité de l’enseignement et l’impact de la technologie numérique. Il explore les possibilités de renforcement des établissements éducatifs et les mécanismes de leur financement, ainsi que le choix des systèmes d’examens nationaux. Cette réflexion inclut également une interrogation sur la pertinence du maintien des écoles pilotes et des instituts modèles. 

Enfin, le cinquième axe aborde l’égalité des chances et l’apprentissage tout au long de la vie. Et se préoccupe de garantir le droit à l’éducation pour les personnes ayant des besoins spéciaux, de la manière d’enseigner aux analphabètes, et de la pertinence des cours de soutien.

Cette consultation couvre ainsi une gamme diversifiée de sujets cruciaux pour l’avenir de notre système éducatif. 

Complexité, accessibilité, et pertinence

Il est indéniable que ces cinq axes traitent de questions cruciales pour notre système éducatif. Cependant, il semble davantage se présenter comme un sondage des tendances de l’opinion publique plutôt que comme une véritable consultation, cela se manifeste notamment dans le premier axe, où l’on se contente de poser des questions sur les raisons du phénomène, sans offrir de propositions de solutions ou de choix quant à la manière de traiter ces questions. Cette approche limite la portée de la consultation en ne permettant pas aux citoyens de contribuer activement à la formulation de solutions concrètes. 

Deuxièmement, la complexité des axes abordés rend cette consultation peu accessible pour les citoyens lambda. Les questions posées, telles que l’examen des programmes favorisant l’acquisition de connaissances ou la création d’un modèle pédagogique innovant, semblent relever davantage de la recherche en pédagogie ou de l’expertise des sociologues que de la compréhension et de la contribution potentielles des enseignants ou des citoyens ordinaires. Une consultation réussie devrait être formulée de manière à ce que tous puissent y participer de manière significative, ce qui n’est malheureusement pas le cas ici. 

Enfin, il y a le risque que les réponses proposées ne répondent pas toujours adéquatement aux questions posées. Par exemple, proposer «la numérisation» comme une méthode d’enseignement semble déconnecté de la question portant sur la création d’un nouveau modèle pédagogique recherché.

De plus, les réponses seront souvent formulées de manière générale et peu claire, comme «l’inspiration d’autres expériences» ou «l’encouragement de l’auto-apprentissage», sans fournir de détails concrets sur la manière dont ces idées pourraient être mises en œuvre.  

Regard sur les expériences des autres pays 

Dans un contexte international, de nombreux pays, tels que la Finlande, le Canada et la Nouvelle-Zélande, adoptent des méthodes ciblées pour chaque partie prenante liée à l’enseignement en fonction de sa position. Ils organisent des ateliers de discussion avec les citoyens pour débattre des questions éducatives, ce qui permet de recueillir une variété de perspectives. Parallèlement, des ateliers de discussion distincts sont organisés pour les chercheurs et les experts, notamment les sociologues, afin de favoriser un échange d’idées plus approfondi. 

De plus, l’utilisation de sondages publics est une pratique courante pour collecter des données. Les questions posées sont simples et claires, visant à mieux comprendre les tendances générales et à organiser les priorités en vue d’adopter une réforme répondant aux besoins essentiels et aux attentes du public. 

Bref, il aurait peut-être été plus pertinent et, surtout, plus utile et plus efficace, de procéder à une synthèse des consultations et des enquêtes déjà réalisées sur la réforme de l’enseignement qui dorment dans les tiroirs du ministre de l’Education. Et les soumettre à l’examen d’experts qui auraient pour mission de traduire les recommandations et propositions en mesures concrètes et en actions susceptibles d’être mises en route dans les meilleurs délais. Car l’état de l’éducation nationale est si catastrophique que la poursuite des palabres à n’en plus finir serait une fuite en avant et un aveu d’incapacité à changer quoi que ce soit.

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