Financement direct de l’État par la banque centrale : à manier avec précaution

Les discussions vont bon train en Tunisie à propos de l’autorisation du financement direct de l’État par la Banque centrale. Les avis sont partagés entre les fervents défenseurs de l’indépendance de la BCT et les promoteurs d’un alignement significatif de celle-ci sur les orientations et objectifs du gouvernement.

Par Nasreddine Montasser *

D’abord, le financement direct de l’Etat par une banque centrale n’est ni une pratique nouvelle ni non admise. Celle-ci consiste généralement à ce que la banque centrale finance directement l’Etat ou achète ses titres émis sur le marché primaire.

Le financement direct a été utilisé par de nombreux pays, notamment les États-Unis, le Japon, la France et la Chine.

En France, cette politique a été utilisée pendant la crise financière de 2008. Aux États-Unis, la Réserve fédérale a acheté des titres d’État pour un montant de 4,5 milliards de dollars entre 2008 et 2014 pour aider à relancer l’économie américaine après la crise financière. La Banque du Japon a acheté des titres d’État pour un montant de 100 milliards de dollars depuis 2013 dans le but de stimuler la croissance économique dans le pays, qui était en panne depuis des années. La Banque populaire de Chine a acheté des titres d’État pour un montant de 2,5 milliards de dollars en 2022 en vue de soutenir l’économie nationale face aux risques de ralentissement économique.

Les avantages espérés

Le financement direct présente certains avantages potentiels.

En période de crise, la banque centrale peut fournir des fonds rapidement en cas d’urgence, sans avoir à passer par des intermédiaires tels que les marchés financiers. Cela peut être utile lorsque les taux d’intérêt sont élevés ou que les marchés financiers sont perturbés. Cela permet aussi à l’État de financer son déficit budgétaire sans avoir à emprunter sur les marchés financiers ou de l’étranger. En achetant des titres d’État, la banque centrale permet à celui-ci de se financer à un taux d’intérêt plus faible ce qui réduit le coût de ses emprunts et contribue à limiter l’augmentation de la dette publique.

En période de croissance, cette pratique permet à la banque centrale, en achetant des titres d’État, d’augmenter la masse monétaire en circulation et stimuler l’économie, mais il est important de veiller à ce que l’inflation ne s’emballe pas. Elle peut aussi favoriser l’activité économique en soutenant la demande et l’investissement. Et aider ainsi à créer de l’emploi et à doper la croissance économique.

Les risques encourus

Le financement direct présente également des risques latents.

Cette pratique peut conduire à une inflation élevée. En effet, en augmentant la masse monétaire en circulation, la banque centrale peut favoriser une inflation si la production des biens et services n’est pas en phase avec l’accroissement de la masse monétaire. Elle peut nuire à la crédibilité de la banque centrale, si celle-ci est perçue comme étant trop interventionniste ou trop laxiste. Elle peut aussi conduire à une hausse des taux d’intérêt en forçant la banque centrale à relever ses taux directeurs pour contrôler l’inflation.

Les prêts directs de la banque centrale à l’État peuvent également entraîner une augmentation de la dette publique, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur la notation de crédit de l’État.

Les limites à respecter

Il est donc important de bien peser les risques et les bénéfices avant d’adopter cette politique économique. L’Etat doit donc être prudent dans le recours à cette politique et éviter de saper sa crédibilité et celle de sa banque centrale.

Il faut également veiller à ce que l’inflation ne s’emballe pas et que le déficit budgétaire ne s’aggrave.

Le dispositif législatif encadrant cette pratique doit prévoir les contrôles nécessaires pour que le recours à ce financement direct reste limité et maîtrisé.

Bref, le financement direct de l’État par la banque centrale peut être utile dans certaines situations, mais il doit être utilisé avec prudence. La banque centrale deviendrait un acteur économique non indépendant et entrerait en concurrence avec les autres acteurs sur la scène financière. Elle assumerait par conséquent une responsabilité double dans l’évolution de la situation économique du pays.

Aussi convient-il de bien comprendre au préalable les risques et les avantages de cette politique avant de l’adopter.

* Cadre de banque.

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