Les stéréotypes sur les Arabes à l’origine de la débâcle israélienne du 7 octobre

Un ancien psychologue au sein d’Aman (renseignements militaires israéliens), Ofer Grosbard, estime que la débâcle israélienne du 7 octobre s’explique par la psychologie des Israéliens et l’image erronée qu’ils colportent sur… «les Arabes».

Par Imed Bahri  

Pour ce psychologue clinicien, maître de conférences à l’Université de Tel Aviv, l’ignorance des alertes relatives au projet d’attaque du Hamas est due à des stéréotypes ancrés chez les Israéliens concernant les Arabes qu’ils considèrent comme des êtres irrationnels, dénués d’esprit analytique et de sens de la planification. Les alertes relatives à cette attaques ne manquaient pourtant pas mais «les Arabes», comme les Israéliens les appellent, n’ont pas été pris au sérieux.

Les Israéliens voient les Arabes de la même manière que les orientalistes occidentaux que critiquait le penseur américain d’origine palestinienne Edward Saïd. 

Selon Grosbard, la plupart des membres du département de renseignement sont des jeunes issus d’un milieu occidental moderne, dans lequel la «pensée analytique» est une priorité. Ils supposent à tort que «l’ennemi pense comme nous, et ils lui attribuent notre façon de penser». C’est-à-dire que l’ennemi pense comme eux, sur la base d’approches rationnelles et d’analyses logiques, alors qu’il s’agit d’un monde qui fonctionne selon des codes culturels différents, comme celui du fameux «honneur arabe», qui n’a rien à voir avec la rationalité et la pensée analytique. Cette idée fausse, selon lui, est l’une des raisons de l’échec catastrophique des services de renseignement israélien concernant le plan d’attaque meurtrière du Hamas.

Réhabilitation de «l’honneur arabe»

Alors que Netanyahou a cherché au cours des 15 dernières années à éluder la question palestinienne, le Hamas a réussi à remettre cette question au centre de l’attention du monde, estime le psychologue.

Netanyahou s’est vanté d’avoir réussi à contourner la question palestinienne en avançant sur la voie d’une normalisation avec l’Arabie saoudite, tandis que le Hamas a cherché à prouver qu’il est l’acteur le plus important au Moyen-Orient, sans lequel aucune action régionale ne serait possible. Cela pourrait être présenté comme l’expression de la réhabilitation de «l’honneur arabe».

Citant l’article d’Amos Harel dans Haaretz du 27 novembre sur le sous-officier F. d’Aman qui a mis en garde contre l’intention du Hamas de commettre un massacre dans les territoires israéliens et a informé ses supérieurs que les combattants du Hamas venaient d’achever une formation intitulée: «Nous avons fini de tuer tous les habitants du kibboutz». Cet avertissement a été rejeté par un officier supérieur du renseignement. Ce dernier a fait l’éloge du travail du sous-officier, mais a ajouté : «Cela me semble surréaliste». L’auteure de l’alerte a tenu bon et a été soutenue par son supérieur hiérarchique, qui a déclaré que, d’après son expérience, il s’agissait d’une véritable manœuvre. Mais tout cela était qualifié d’absurde, car les hauts dirigeants d’Aman n’ont pas pris les avertissements au sérieux.

Usage excessif des stéréotypes orientalistes

Il est difficile de se débarrasser de certaines impressions ou préjugés, qui ont empêché les hauts dirigeants d’Aman de penser que le Hamas était capable d’une opération longuement préparée. «Selon ces préjugés, la probabilité qu’un groupe d’Arabes primitifs, éloignés de toute pensée rationnelle et analytique, mène une opération organisée et bien planifiée semble être nulle», explique Grosbard. En d’autres termes, ajoute-il, et pour paraphraser l’avocat du désengagement Dov Weissglass, «si nos voisins n’étaient pas des Palestiniens, mais des Finlandais ou d’autres Européens ‘‘raisonnables’’, il ne serait pas faux de supposer que le niveau de prise en compte des avertissements des services de renseignement du type fourni par le sous-officier  F., aurait été dix fois plus grand», ajoute-t-il.

Le regretté Edward Said, d’origine palestinienne, spécialiste de la littérature et de la culture américaines, a décrit dans son célèbre ouvrage ‘‘Orientalism’’ (1978) l’image colportée par le discours culturel occidental moderne à propos de l’Oriental, arabe et musulman, présenté comme barbare, ignorant et «sensuel» par opposition à l’Occidental «éclairé et rationnel».

L’échec des services de renseignement israélien ayant conduit au désastre du 7 octobre provenait d’un usage excessif des stéréotypes orientalistes décrits par Said.

D’après Haaretz (13/12/2023).

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