On peut toujours, nous autres Tunisiens, continuer à narguer nos bailleurs de fonds traditionnels en évoquant le sacro-saint principe de la souveraineté nationale et en appelant nos compatriotes à compter sur eux mêmes. Encore faut-il avoir les moyens d’une telle politique, et la Tunisie, qui traverse une grave crise financière, n’en a malheureusement pas. Tous les experts vous le diront…
Par Imed Bahri
Parmi nos bailleurs de fonds historiques, il y a bien sûr le Fonds monétaire international (FMI), qui a accompagné notre processus de développement au cours des 60 dernières années, et plutôt avantageusement. Et jusqu’en octobre 2022, on était en négociation avec lui pour un prêt de 1,9 milliard de dollars sur 4 ans, avant de décider, par décision souveraine, de remettre en question nos propres engagements dans le cadre du projet d’accord présenté par le gouvernement tunisien au dit Fonds.
Repli sur soi
Beaucoup de Tunisiens ont applaudi cette décision qui préserve, selon eux, l’autonomie de la décision nationale, mais elle a été aussi critiquée par beaucoup d’experts économiques et financiers, y voyant le signe avant-coureur d’un repli sur soi qui ne ressemble pas à la Tunisie et qui risque d’être le prélude à un isolement international, dont nous vivons aujourd’hui les prémices.
La poursuite de la crise économique et financière, voire son aggravation, conjuguée à la détérioration de l’image de notre pays et de sa notation souveraine par les agences internationales spécialisées, ne semblent pas aller dans le sens d’une consolidation de la fameuse souveraineté nationale. Au contraire : pour boucler son budget pour l’année 2024, la Tunisie doit mobiliser dans les mois à venir des prêts pour un montant total de 28,4 milliards de dinars (environ 8,6 milliards d’euros), dont 16,4 milliards de dinars (environ 4,9 milliards d’euros) grâce à des emprunts étrangers, qui plus est, sans la moindre idée sur les parties pouvant être sollicités à cet effet.
Les pays occidentaux, notamment les Etats-Unis et l’Union européenne, partenaires stratégiques s’il en est, ne savent plus sur quel pied danser avec une Tunisie qu’ils ne reconnaissent plus : ils observent les évolutions dans notre pays avec étonnement et perplexité, et pour cause, le «bon élève» de toujours est en passe de devenir un cancre particulièrement turbulent.
Quant aux pays arabes du Golfe, qui furent longtemps, eux aussi, des partenaires de développement, ils ne semblent pas se presser à notre portillon, se contentant souvent de visites officielles purement protocolaires et de déclarations soporifiques d’amitié sans engagements financiers clairs et précis à notre égard.
Quant on sait que la sortie sur les marchés internationaux nous est quasiment «interdite», eu égard notre notation souveraine très dégradée («CCC-»), on est censé en nourrir quelque inquiétude.
Dans ce contexte peu reluisant, nous apprenons que la Tunisie, pour la première fois depuis son adhésion au FMI en 1958, figure sur la liste des pays membres avec des retards de plus de 18 mois dans l’achèvement des consultations au titre de l’article IV ou des évaluations obligatoires de la stabilité financière.
Mauvaise compagnie
Publiée le 5 janvier, cette liste comprend également le Venezuela, la Syrie, le Yémen, l’Iran, la Biélorussie, l’Érythrée, le Burkina Faso, le Tchad, Haïti, Myanmar et la Russie. Ce ne sont pas là, on ne le sait que trop, des champions mondiaux de la bonne gouvernance économique et financière. Et c’est la première fois aussi de son histoire que notre pays se retrouve… en si mauvaise compagnie.
Certains de nos experts estiment qu’il s’agit là d’une procédure purement administrative qui n’aura pas d’impact particulier sur notre pays, tandis que d’autres estiment que cela rendra encore plus difficile notre accès aux financements extérieurs dont nous avons besoin pour boucler notre budget pour l’année en cours et redresser nos finances publiques en berne.
La difficulté d’accès au financement peut concerner non seulement les prêts sur le marché monétaire mais aussi l’accès aux financements dans le cadre d’accords bilatéraux, insistent certains experts, puisque plusieurs pays, y compris les riches monarchies du Golfe, subordonnent désormais le décaissement de leur aide à la Tunisie à la conclusion d’un accord avec le FMI.
Dans le même temps, ce qui surprend et inquiète, c’est l’immobilisme teinté d’autosatisfaction affiché par le gouvernement Ahmed Hachani, qui ne semble pas se soucier outre mesure de l’orage financier qui gronde à nos portes.
La ministre des Finances Sihem Nemsia Boughdiri, qui cumule aussi le portefeuille de l’Economie et de la Planification, est étrangement silencieuse sur le sujet. Le gouverneur de la Banque centrale Marouane Abassi n’est pas très prolixe lui non plus. Quant au président de la république Kaïs Saïed, il semble attendre monts et merveilles du processus de réconciliation pénale, engagé depuis deux ans et qui devait rapporter des «milliards de milliards», selon ses termes, aux caisses de l’Etat, mais qui n’en a rapporté, à ce jour, que… quelques milliards. A moins qu’à l’approche de la prochaine présidentielle, il ne garde dans sa poche la carte secrète d’un financement providentiel qui fera enfin sortir les Tunisiens de la déprime où ils s’enfoncent jour après jour. La baguette magique en somme, à laquelle beaucoup de «patriotes» croient les yeux fermés.
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