Tunisie : Zied El-Heni, le sens d’un procès

Peut-on vraiment continuer à parler de liberté d’expression en Tunisie ? Ceux qui ont poursuivi le procès intenté récemment au journaliste Zied El-Heni, le dernier en date dans une série d’autres procès intentés contre des figures médiatiques, répondront par le doute…

Par Imed Bahri  

La chambre correctionnelle près du tribunal de première instance de Tunis a prononcé une peine de six mois de prison avec sursis contre le journaliste Zied El-Heni, accusé d’insulte à autrui. via le réseau public de télécommunications conformément à l’article 86 du Code des télécommunications.

L’avocat Ayoub Ghedamsi a expliqué dans une déclaration à l’agence Tap hier soir, mercredi 10 janvier 2024, après l’annonce du verdict, que cette décision entraîne la libération immédiate du journaliste de la prison de Mornaguia, ajoutant que l’intéressé peut faire appel de la décision dans les dix jours.

Libéré hier soir, El-Heni est intervenu ce matin dans L’émission impossible sur IFM, mais il n’a pas précisé s’il compte faire appel du jugement, se contentant de remercier tous ceux et celles qui se sont mobilisés pour sa défense et, fidèle à sa vocation de journaliste, d’évoquer les conditions déshumanisantes d’incarcération dans les centres de détention et les prisons dans le pays.

El-Heni comparaissait hier en état d’arrestation devant la chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Tunis pour être jugé à la suite d’une plainte déposée contre lui par la ministre du Commerce suite à une déclaration qu’il avait faite, le 28 décembre, dans L’émission impossible sur IFM où il critiquait la bureaucratie du département en question qui désespère les jeunes entrepreneurs.

«Kazi» ou pas

Me Ghedamsi a souligné que les plaidoiries de la défense de Zied El-Heni ont duré plus de cinq heures, au cours desquelles 15 avocats ont pris la parole, sur une cinquantaine qui s’étaient constitués spontanément. «La défense a accueilli ce verdict positivement dans la mesure où la peine de privation de liberté a été évitée», a-t-il ajouté.

Voilà pour les faits, sachant qu’une grande mobilisation a été observée hier devant le tribunal par les acteurs de la société civile (journalistes, défenseurs des droits de l’homme, activistes politiques…) pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme une grave atteinte à la liberté d’expression et la liberté de la presse, s’inscrivant dans une série de procès intentés par le pouvoir en place contre les journalistes dans le but de les intimider et de les contraindre au silence.

Et ce n’est pas là une exagération de militants «droits-de-l’hommistes» en manque de causes à défendre. En effet, arrêter un journaliste, l’incarcérer pendant dix jours avant de le condamner à six mois de prison, fut-ce avec sursis, pour avoir qualifié un responsable du gouvernement de «kazi», mot dialectal tunisien intraduisible en français, mais qu’on pourrait traduire par «quidam» ou «Tartempion», c’est tout de même quelque peu excessif.

Ce mot de «kazi», que nous prononçons tous plusieurs fois par jour en présence de nos parents et de nos enfants, n’a rien de méchant ou de vulgaire et encore mois d’insultant, même s’il a une connotation dépréciative ou péjorative.

Message reçu cinq sur cinq

A moins qu’in ait voulu poursuivre Zied El-Heni pour crime de lèse majesté, le procès qu’on vient de lui coller ne se justifiait pas vraiment, sauf à vouloir le poursuivre pour l’ensemble de son œuvre, c’est-à-dire qu’on lui reproche la goutte qui aurait fait déborder le vase aux yeux de ceux et celles que ses interventions médiatiques dérangent au plus haut point. A moins également qu’on ait voulu, à travers sa condamnation, envoyer un message à tous les journalistes et faiseurs d’opinion selon lequel un mot de trop ou de travers ou mal pesé pourrait les amener en prison. Auquel cas, le message a vraiment été reçu, cinq sur cinq. Et il suffit de voir le calme des cimetières qui règne depuis quelque temps dans les talk-shows soi-disant politiques à la télévision pour s’en rendre compte. Dans ce cas, peut-on vraiment continuer à parler de liberté d’expression en Tunisie ? Le doute est permis…

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