Le cité médicale de Raqqada entre le possible et le souhaitable

Pour éviter l’échec du projet de cité médicale à Raqqada, auquel semble beaucoup tenir le président Kaïs Saïed, il est impératif de réaliser un important travail sur l’infrastructure de base, dans le gouvernorat de Kairouan et les régions proches.

Par Ilyes Bellagha *

Une ville est bien plus qu’un simple regroupement urbain, dont les limites sont uniquement définies par la continuité des habitations. Elle incarne une vision de l’urbanité, conditionnée par des facteurs tels que la superficie, la situation géographique et l’histoire. Cependant, le véritable défi pour une ville réside dans sa capacité à offrir une fonctionnalité complète en tant qu’entité où convergent la plupart des activités humaines : logement, commerce, industrie, éducation, culture, etc. Or, dans le cas de Kairouan, ces aspects fonctionnels sont soit absents, soit peu développés, mettant ainsi en évidence une lacune fondamentale à combler.

Les attraits et les défis d’une ville historique

Fondée en 671 par Oqba Ibn Nafaa, Kairouan a continué de croître pour devenir, au IXe siècle sous la dynastie Aghlabide, la capitale du Maghreb ainsi qu’un centre culturel majeur rivalisant avec d’autres au bassin méditerranéen. Depuis, Kairouan est demeurée une ville où l’art, la science et la spiritualité ont toujours été intimement liés. Avec son riche patrimoine historique et culturel, elle attire aujourd’hui beaucoup de visiteurs, attirés par ses monuments historiques et son artisanat renommé, et notamment la fabrication des tapis.

En outre, Kairouan dispose d’un cyber-parc et de trois parcs naturels, ainsi que de zones industrielles aménagées pour accueillir de nouveaux projets.

Dans des zones enclavées comme Kairouan, les résidents rencontrent des difficultés pour accéder à des services de santé de base ou à des hôpitaux de proximité. Les hôpitaux régionaux souffrent d’une pénurie de médecins spécialistes, tandis que les centres de santé de base manquent de personnels et d’équipements. Cette situation entraîne une surcharge des hôpitaux existants. De plus, le manque de médicaments essentiels aggrave la situation.

Kairouan est confrontée à une série de défis complexes, notamment urbains, environnementaux, économiques et sociaux. Parmi ces défis, la multiplicité des intervenants et le manque d’infrastructures dans les quartiers non-planifiés, la détérioration des espaces verts due à l’expansion urbaine, le climat des affaires peu propice à l’investissement et l’augmentation de la pauvreté et de l’analphabétisme.

Les inconvénients structurels de la région

Les stratégies de développement mises en place depuis l’indépendance de la Tunisie en 1956 ont négligé les besoins réels de la région et n’ont pas pleinement exploité son potentiel. Cette situation découle principalement d’un système politico-administratif centralisé, qui exacerbe les disparités de développement et augmente la pauvreté et le chômage.

Les politiques d’attractivité des investissements étrangers sont essentielles pour stimuler le développement économique. Les partenariats public-privé (PPP) peuvent être une solution pour attirer ces investissements et développer des infrastructures publiques. Cependant, des réformes sont nécessaires pour améliorer l’efficacité des processus administratifs et encourager l’investissement dans les infrastructures clés.

 Kaïs Saïed, le 27 février 2021, à Menzel Mhiri, Kairouan, où doit être érigée la Cité médicale des Aghlabides.

Dans ce contexte, le projet de la cité médicale à Raqqada, dont le président de la république Kaïs Saïed a souvent parlé, nécessite une révision approfondie de l’infrastructure et une prise en compte des défis structurels de la région pour garantir son succès. Il est essentiel d’améliorer le niveau des équipements socio-économiques et culturels, et de prendre en compte les zones périphériques afin de garantir la réussite du projet et son rayonnement régional.

Dans un PPP, le gouvernement conserve la responsabilité envers les citoyens pour la prestation d’un service spécifique. Contrairement à la privatisation (lorsque le secteur public vend ses actifs au secteur privé en échange d’une compensation financière), où la responsabilité de la fourniture des services incombe aux privés, dans un PPP, le secteur public reste impliqué dans la supervision et la régulation du service en question, tandis que le secteur privé est généralement chargé de sa mise en œuvre et de son exploitation.

Par ailleurs, dans un PPP, le secteur privé vise principalement à réaliser un retour sur investissement satisfaisant. Pour atteindre cet objectif, la fiabilité du projet et le respect des délais sont des préoccupations majeures. Le promoteur s’efforce donc de garantir que le projet soit géré efficacement, que les risques soient maîtrisés et que les bénéfices attendus soient réalisés selon le calendrier prévu. Cela peut impliquer une gestion rigoureuse des coûts, des ressources et des délais pour maximiser les rendements et minimiser les risques.

D’autre part, les autorités publiques s’engagent dans des PPP dans le but de réduire leurs charges financières tout en assurant la fourniture de services publics et des infrastructures essentiels. Elles cherchent à garantir l’efficacité et à bénéficier d’une mise en œuvre rapide de ces services ou de ces infrastructures.

Les PPP offrent aux pouvoirs publics la possibilité de mobiliser des capitaux privés et des expertises spécialisées pour réaliser des projets d’infrastructures tout en limitant les contraintes budgétaires et en répondant aux besoins croissants de la population en matière de services publics.

Pour éviter l’échec du projet

La question cruciale aujourd’hui est de savoir si la région de Raqada possède les caractéristiques nécessaires pour garantir le succès du projet de la cité médicale que l’on compte y implanter. À l’état actuel de cette région, ce projet reste peu attractif et nous craignons qu’à l’instar de ce qui s’est passé pour l’aéroport d’Enfidha-Hammamet, les investisseurs – si investisseurs il y aura – chercheront à compenser un éventuel échec par l’acquisition de parts dans d’autres projets porteurs pour l’économie tunisienne.

Pour éviter l’échec du projet, il est impératif de réaliser un important travail sur l’infrastructure de base, à Kairouan et dans les régions proches. Aussi est-il nécessaire de revoir en profondeur le réseau de transport, que ce soit ferroviaire ou autoroutier. Et d’améliorer le niveau des équipements socio-économiques et culturels. Il est crucial de prendre conscience que chaque projet d’une superficie globale de 300 hectares déploie autour de lui des centaines d’hectares d’habitat spontané. Si l’on ne prend pas en compte ces zones périphériques, en anticipant leurs besoins, elles pourraient compromettre l’attractivité souhaitée du projet dans lequel l’État se serait fortement engagé.

* Architecte, président de l’association Architectes Citoyens.

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