Tunisie : la vengeance posthume du Dr Jilani Daboussi ou l’«éternel revenant»

De son vivant, Dr Jilani Daboussi avait réussi à faire parler de lui, en bien comme en mal. Baroudeur, et malgré sa truculence et son franc parler, il sut se faire une place dans la sphère politique tunisienne, plutôt policée et guindée. Il sut aussi se faire beaucoup d’ennemis et finit par le payer de sa vie. Aujourd’hui, 10 ans après sa mort, son cadavre remue encore et donne des cauchemars à ceux qui ont cru en avoir fini avec lui. C’est l’histoire d’un «éternel revenant»…  

Par Ridha Kefi

Le mandat de dépôt émis à l’encontre d’une femme médecin dans le cadre de l’affaire du Dr Jilani Daboussi, décédé en 2014, quelques heures après sa sortie de prison au terme de 3 ans d’incarcération, laisse penser que les circonstances du décès de l’ancien député n’étaient pas au-dessus de tout soupçon.

Cette information, qui a été ébruitée par Sami Daboussi, le fils du défunt, dans un post partagé sur son compte Facebook, vendredi 1er mars 2024, laisse aussi penser que l’ouverture de ce dossier risque d’éclabousser d’autres personnes, y compris des personnalités politiques qui étaient au pouvoir au moment de son incarcération et de sa mort. Outre Dr Nadia Hellal, médecin de la prison civile de la Mornaguia au moment du décès de l’ancien maire de Tabarka, le maillon faible de la chaîne, d’autres noms pourront être cités dans le cadre de cette même affaire. «Ce n’est que question de temps», a d’ailleurs écrit Sami Daboussi dans son poste Facebook.

Une «liquidation politique»

Ce dernier, qui a toujours assimilé le décès de son père, souffrant de nombreuses maladies, dont une insuffisance rénale chronique et qui était de ce fait soumis à des séances régulières de dialyse, à «une liquidation politique». Il soupçonne même l’implication de personnalités politiques dans cette mort causée par les très mauvaises conditions d’incarcération auxquelles feu Jilani Daboussi était soumis. Le fils a d’ailleurs souvent pointé du doigt deux dirigeants du parti islamiste Ennahdha, Noureddine Bhiri et Abdellatif Mekki, qui dirigeaient, au moment des faits, respectivement, les ministères de la Justice (décembre 2011-mars 2013) et de la Santé (décembre 2011-janvier 2014). Le premier est incarcéré à la prison de Mornaguia depuis plusieurs mois dans le cadre d’une autre affaire, et le second est secrétaire général du parti Al-Amal Wal Injaz, qui ne fait pas mystère de son opposition au président de la république Kaïs Saïed et ne cesse d’appeler à lui barrer la route d’un second mandat lors de la présidentielle de l’automne prochain.

Un troisième ancien dirigeant d’Ennahdha, Me Samir Dilou, membre du comité de défense des prisonniers politiques poursuivis dans l’affaire dite de complot contre la sûreté de l’Etat, pourrait être cité lui aussi dans cette même affaire, car il était, au moment du procès et de l’incarcération du Dr Daboussi, ministre des Droits de l’Homme et de la Justice transitoire (décembre 2011-janvier 2014), droits auxquels le défunt n’avait pas eu droit, selon son fils qui, en mars 2019, avait saisi le Comité des droits de l’homme de l’Onu à propos des circonstances de la mort de son père, en accusant les autorités de l’époque de «violations criantes du Pacte international relatif aux droits civil et politique».

Une vengeance outre tombe

Dr Jilani Daboussi n’était certes pas un enfant de chœur. Ancien député du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), il était proche de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali et à la chute de ce dernier, le 14 janvier 2011, il avait été cité parmi les symboles de la corruption sous le régime déchu, notamment dans la commune de Tabarka, dont il avait longtemps été le maire attitré. Mais au-delà des accusations dont il avait fait l’objet et des procès qui lui ont été intentés par ses détracteurs, il avait droit à un procès équitable et à un traitement humain lors de son incarcération entre 2011 et 2014, d’autant que son état de santé nécessitait des soins critiques auxquels il n’eut visiblement pas droit, dans une volonté claire de vengeance politique.

C’est, en tout cas, ce que soutiennent les membres de sa famille qui, depuis 2011, n’ont cessé de défendre la mémoire de leur défunt et de pointer du doigt ceux qui, selon eux, ont contribué à la détérioration de sa santé en prison. Et, par conséquent, à sa mort quelques heures seulement après sa libération.

Affaire à suivre, car elle risque de connaître des rebondissements dont les conséquences auraient des répercussions sur la situation politique dans le pays à l’approche des présidentielles.

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