Chypre, île refuge des Israéliens après le 7 octobre

Une enquête publiée vendredi 15 mars 2024 par le journal israélien Yediot Aharonot révèle la formation d’une importante communauté israélienne à Chypre à la suite de la migration de milliers d’Israéliens là-bas après la pandémie du Covid mais surtout après l’opération Déluge d’Al-Aqsa le 7 octobre 2023 où le phénomène a pris une autre proportion à tel point que c’est devenu une île refuge. 

Par Imed Bahri

Le correspondant du journal a effectué une tournée entre Larnaca, Nicosie, Babos et d’autres villes de l’île de Chypre et a rencontré des Israéliens qui ont quitté Israël en quête de repos et de tranquillité.

Cependant, le projet américain de construire un port flottant au large de Gaza qui serait une tête de pont pour une voie navigable avec Chypre pour fournir une aide humanitaire aux Gazaouis inquiète ces Israéliens qui redoutent une augmentation du nombre d’Arabes et de Palestiniens à Chypre qui pourrait résulter de ce projet. 

L’enquête journalistique révèle que l’afflux d’Israéliens à Chypre a commencé il y a environ 20 ans mais que le phénomène est devenu une tendance majeure ces derniers mois car il s’agit d’une île voisine et qui présente des points communs avec Israël tels que le climat, la géographie, l’environnement, les plantes qui plus est, l’île constitue un refuge pour de nombreux peuples depuis des décennies. Il y a environ 50 ans, elle a connu des vagues d’immigration libanaise et avant celles des Britanniques et Allemands qui appréciaient son climat et son calme.

Un plan B pour des milliers d’Israéliens

De ce fait l’enquête estime: «qu’il n’est donc pas surprenant que Chypre soit devenue un plan B dans plusieurs domaines de la vie de milliers d’Israéliens. Au début, c’était une destination touristique puis elle est devenue un marché immobilier et ensuite un lieu de vie et de résidence temporaire ou permanente.»

Israéliens à Chypre manifestants contre la visite de Netanyahu dans l’île en septembre 2023, quelques semaines avant l’opération Déluge d’Al-Aqsa.

Le phénomène est attesté par le rabbin Aryeh Zeev Raskin, chef spirituel du groupe juif affilié au mouvement Habad, arrivé à Chypre en 2003, en provenance de la ville d’Ashdod. À cette époque, «le nombre d’Israéliens à Chypre atteignait 70 familles et ensuite ce nombre a augmenté. Au début, il s’agissait de retraités en quête de calme et de soleil et après eux, des gens aisés qui possédaient une maison en Israël et une maison à Chypre pour la villégiature puis des experts en haute technologie à la recherche de faibles impôts imposés aux entreprises en plus de ceux qui recherchent des maisons bon marché par rapport à leurs prix élevés en Israël»

L’enquête explique que «le nombre d’Israéliens a augmenté petit à petit jusqu’à atteindre des milliers. Certains d’entre eux se sont installés et d’autres se sont déplacés entre Israël et Chypre. Cependant, les choses ont basculé les quatre dernières années avec le Covid».

Selon l’enquête, ce nombre a aussi augmenté après le déclenchement des protestations et des divisions qui en ont résulté en Israël en 2023 avec l’avènement au pouvoir de la coalition d’extrême-droite et la volonté de Benjamin Netanyahu d’engager une profonde réforme du système judiciaire qui limite le pouvoir de la Cour suprême et des conseillers juridiques du gouvernement et accordant à la coalition gouvernementale une majorité au sein du comité qui nomme les juges. Cette réforme est une manœuvre de Netanyahu pour mettre la main sur le pouvoir judiciaire et ainsi échapper à la case prison car il est poursuivi ainsi que son épouse dans plusieurs affaires de corruption.

Climat toxique en Israël et lassitude des conflits

Le rabbin Raskin déclare: «La grande fracture au sein de la société israélienne avant la guerre a incité non seulement les opposants au coup d’État judiciaire mais aussi ses partisans qui ont justifié leur migration par le climat toxique en Israël et la lassitude des manifestations et des conflits.»

Cependant le 7 octobre a tout chamboulé et le phénomène de migration vers Chypre s’est beaucoup accentué en prenant une toute autre proportion. L’enquête explique dans ce contexte que le 7 octobre est arrivé et tout d’un coup l’île s’est remplie d’Israéliens, que nombre d’entre eux ont réalisé instinctivement qu’un événement capital s’était produit qui allait changer quelque chose de fondamental dans leur vie et avec l’instinct de survie, ils ont cherché un avion et Chypre, toute proche, était une cible populaire.

Le Yediot Aharonot explique que le tourisme à Chypre atteint généralement son apogée en octobre mais les Israéliens se sont jetés en 2023 sur chaque appartement ou chambre vendu ou loué et des habitants locaux ont même fourni un abri gratuit à certains d’entre eux et leur ont même fait don de vêtements et de nourriture.

L’enquête du quotidien israélien constate: «Après un certain temps, certains Israéliens sont rentrés et d’autres depuis Chypre se sont dispersés dans le monde entier mais lorsque la poussière est retombée sur le sol, le tableau est devenu clair: la communauté juive de Chypre qui il y a des années ne comptait que des centaines de Juifs compte aujourd’hui environ dix mille Israéliens résidant en permanence principalement dans quatre villes: Larnaca, Babos, Limassol et la capitale Nicosie.»

Il y aurait également selon le journal dix mille autres Israéliens qui résident entre Chypre et Israël mais les anciens ne se précipiteraient pas pour se mêler aux nouveaux arrivants d’Israël préférant préserver leur intimité et s’intégrer davantage dans la société chypriote. L’enquête journalistique indique aussi que les «nouveaux» Israéliens sont prêts à s’ouvrir et à parler davantage mais comme les anciens Israéliens de l’île, ils craignent pour leur vie privée et leur nom et évitent de parler et de révéler leur identité.

L’enquête cite Liron, de la ville d’Ofaqim dans le sud, arrivé à Larnaca une semaine après le 7 octobre, disant: «Nous savons qu’en Israël, ils nous considèrent comme des fuyards en période de crise mais il faut comprendre que chacun a ses raisons. Ici, il y a un certain nombre d’Israéliens qui sont coincés chez eux dans la zone qui borde Gaza et je fais partie d’eux. Dieu merci, personne dans ma famille n’a été blessé et nous avons quitté la ville rapidement après avoir très bien compris où les choses allaient et que nos vies ne redeviendraient pas comme elles étaient avant le 7 octobre.»

Il y a aussi des Israéliens qui ont été déplacés de leurs foyers en Galilée (zone du nord frontalière avec le Liban) après avoir compris que la guerre contre le Hezbollah serait longue. Au lieu de vivre comme réfugiés dans de petits hôtels, ils sont arrivés à Chypre et ont loué des maisons pendant longtemps et ont même inscrit leurs enfants dans des écoles privées.

Aujourd’hui, il y a une très longue liste d’attente de gens qui attendent pour inscrire leurs enfants dans des écoles privées et les prix de location ont également énormément augmenté. Le journal cite Sher, un ancien enseignant, disant que les Israéliens à Chypre appartiennent à différentes tendances sociales: laïques, religieuses et même les ultra-orthodoxes et bien sûr des gens de gauche et de droite, les partisans de Netanyahu et ses opposants mais ils évitent les discussions et les débats.

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