Tunisie : vers la «libération» des terres collectives

Le président Saïed a souligné, une nouvelle fois, la nécessité d’élaborer une nouvelle législation relative aux terres collectives dont la surface totale avoisine 3 millions d’hectares et dont une grande partie est inexploitée ou mal exploitée, alors que le pays fait face à une menace de crise alimentaire et est obligé d’importer une bonne partie de son alimentation, qui plus est, dans un contexte de déficit financier et de surendettement.

Par Imed Bahri

Le président de la République, qui recevait, lundi 18 mars 2024, au Palais de Carthage, le ministre des Domaines de l’État et des Affaires foncières, Mohamed Rekik, a précisé que l’objectif est de rompre avec les lois en vigueur qui n’ont souvent mené qu’à la corruption, notamment au sein des conseils de gestion.

Cité dans un communiqué de la présidence, Saïed a évoqué les difficultés auxquelles font face des jeunes sans emplois qui envisagent de créer des entreprises communautaires, faisant noter que «des terres domaniales ont été louées à bas prix pour certaines personnes alors que des jeunes, qui ont envie de travailler, ont été empêchés de mener des initiatives de projets».

Le chef de l’Etat a qualifié cette situation d’«inacceptable», réitérant sa dénonciation de «ceux qui se sont jetés dans les bras des lobbies», qui, selon ses termes, «vont à l’encontre des aspirations du peuple tunisien à la dignité et à un travail décent».

Un arsenal juridique désuet

En recevant auparavant le chef du gouvernement, Ahmed Hachani, Saïed a aussi souligné la nécessité de hâter l’adoption de nouvelles lois dans divers domaines «parce que de nombreux textes juridiques nécessitent une révision en profondeur».

«La révolution [de 2011] ne peut, en aucun cas, atteindre ses objectifs à travers un arsenal juridique mis en place avant son déclenchement», a-t-il expliqué, selon un communiqué de la présidence de la République.

Le chef de l’Etat a fait noter que le conflit, aujourd’hui, est entre les lobbies qui se sont infiltrés dans tous les rouages de l’Etat dans l’objectif de «persécuter le peuple et compromettre la paix sociale», lobbys si puissants, serions-nous tentés de faire remarquer, que l’Etat semble incapable de les débusquer et de les mettre hors d’état de nuire, malgré la multiplication des procès contre des personnalités politiques et des hommes d’affaires accusés de corruption et de complot contre la sûreté de l’Etat. Malgré aussi la mise en place de commission chargées de revoir les recrutements effectués dans l’administration publique au lendemain de la révolution en vue de débarrasser celle-ci des intrus et des comploteurs qui servant des intérêts autres que ceux du peuple, selon les termes de Saïed.

Par ailleurs, Saïed a appelé, encore une fois, hier, à ce que tous les appareils de l’Etat agissent en concert et en harmonie, ajoutant que «le gouvernement doit former une équipe harmonieuse qui met en œuvre la politique déterminée par le président de la république», laissant ainsi entendre que le gouvernement n’applique pas, ou pas assez, les directives du chef de l’exécutif, grief récurrent dans la bouche du président qui multiplie les annonces de limogeages de ministres et de hauts fonctionnaires, jusque-là sans grand résultat, les promus ne faisant pas mieux que les recalés.

L’administration publique fait du surplace

Le président de la République a évoqué, à l’appui de ses critiques, les projets publics gelés et ceux dont les travaux ont été arrêtés, à l’instar de l’hôpital du roi Salman Ben Abdelaziz à Kairouan, dont la construction et l’équipement sont financées par un don de l’Arabie Saoudite et qui, depuis son annonce en 2017, deux ans avant l’arrivée de Saïed à Carthage, continue de faire du surplace.

Réagissant aux déclarations du président sur la nécessité d’amender la loi relative aux terres collective, le ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières a publié, hier, un communiqué où il explique que le comité de pilotage chargé de l’élaboration d’un amendement de cette loi achèvera prochainement ses travaux, rappelant que les conditions et modalités de cession en dinars symboliques des terrains appartenant au domaine privé de l’Etat et situés dans les zones d’aménagement régional ont été publiées.

Le décret réglementant les conditions et modalités de cession de ces terrains pour les entreprises ou technoparcs publics ou privés et les sociétés gérant des pôles technologiques et industriels dans le territoire officiel, a été publié par le Journal officiel n° 162 de 2024 et c’est un pas vers la gestion des biens de l’État.

Rappelons que lors d’une visite samedi au gouvernorat de Kébili, le président Saïed avait souligné la nécessité de surmonter les problèmes apparus dans le passé en matière de répartition des terres collectives. Selon les données de 2015, la superficie totale de ces terres est estimée à 3 millions d’hectares, dont la moitié est classée comme pâturage communal, tandis que la superficie totale des terres communales attribuables est de 1,5 millions d’hectares, situées dans les gouvernorats de Gabès, Kairouan, Mahdia, Sidi Bouzid, Kasserine, Tataouine, Médenine, Gafsa, Kébili et Tozeur.

Kaïs Saïed, qui aime inscrire son projet politique dans le cadre d’une nouvelle «lutte de libération nationale», ferait un grand pas vers sa concrétisation en réussissant à «libérer» le potentiel économique inexploité des terres collectives. Il reste cependant à se demander combien de temps il faudrait encore pour cela, sachant que son premier mandat va s’achever dans quelques mois avec un bilan pour le moins mitigé, en tout cas sur le plan économique.

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