Tunisie : Point de salut sans une croissance économique soutenue

La vérité qui saute aux yeux, la vérité qui blesse… La vérité que les médias et économistes du sérail cachent au gouvernement et aux Tunisiens. Pour redresser la trajectoire récessive et pour créer de l’espoir et la richesse collective, le sommet de l’État doit se mouiller sur le terrain des réformes économiques. Les réformes rentables socialement dans le moyen et long termes à long terme, mais douloureuses pour le court terme. Le président Kaïs Saïed, légitimement élu, est dos au mur! Pas le choix, sans réformes, sa survie politique est vouée à l’échec, un échec fatal qu’on ne souhaiterait pas à la Tunisie. Une Tunisie qui aspire à mieux et qui mérite mieux…

Par Moktar Lamari *

L’État de Kaïs Saïed doit faire mieux et autrement. Il doit innover radicalement ses politiques publiques et rénover ses politiques monétaires. C’est la seule façon de retrouver le chemin de la croissance et de relancer les processus du développement socio-économique. Mais comment ?

On le sait, la crise économique qui secoue dramatiquement le pays est multiforme et multidimensionnelle. Le trésor public est exsangue, la dette n’est plus soutenable, la politique monétaire sacrifie l’investissement sur l’autel d’une lutte erratique contre l’inflation. La question qui taraude les esprits et la suivante : comment sortir de ce pétrin, et comment redonner de l’espoir à Tunisie affaiblie, à la peine, mais résiliente comme toujours.

Le diagnostic est accablant

Les files d’attente se multiplient en raison des pénuries dans les produits essentiels. Les produits sont hors de prix pour le citoyen ordinaire. Les flux migratoires vers l’Europe ne faiblissent pas, plus d’un demi-million de jeunes et moins ont quitté le pays (surtout clandestinement) depuis 2011. Et l’hémorragie concerne aussi les médecins et ingénieurs chèrement formés par les taxes des contribuables. Presque 700 000 actifs sont en chômage, plus ou moins de longue durée. Le dinar a perdu la moitié de sa valeur en dix ans.

La dette est insoutenable, le gouvernement s’endette avec des taux d’intérêt élevés (9-13%), pour payer une dette arrivée à échéance, mais heureusement obtenue avec des taux d’intérêt faibles. L’investissement est à plat, et les infrastructures vieillissent doucement et sûrement, faute d’argent public pour payer l’entretien.

L’après 2011 a donné lieu a des gouvernements instables et une gouvernance dominée par les islamistes, des gouvernements plus intéressés par l’islamisation du pays que par sa prospérité, son développement et son progrès social. Une décennie noire, faite d’instabilité, de stagflation et de corruption, qui a atteint l’ensemble des rouages de l’État et la société dans son ensemble.

Sortir du calvaire et inverser la vapeur

Le sommet de l’État doit redonner de l’espoir et remettre le pays en marche. Le développement socio-économique doit être au cœur des préoccupations, et concrétisé par les faits et les mesures concrètes principalement.

Il faut redonner l’espoir et mobiliser la société dans son ensemble autour d’un certain nombre d’axes stratégiques, et avec des mesures articulées entre un court terme fait avec plein d’urgences (et de dossiers brûlants) et un moyen et long terme bien réfléchis et qui met le capital humain au cœur de ses chantiers et convictions majeurs.

La santé, l’éducation, les services sociaux, les infrastructures et la sécurité doivent relever des compétences et priorités de l’État. Un État recentré sur ses missions essentielles, à savoir le bien public (au sens économique), laissant le privé prendre en charge les secteurs de production des biens et services privés (au sens de la divisibilité et l’exclusivité) et marchands.

L’État tunisien n’a pas les moyens de tout faire, comme il tente de le prouver vainement actuellement. Il faut moins d’État, mais un meilleur État : efficace, intègre et axé sur les résultats (pas les objectifs irréalistes). Et cela requiert un discours économique structuré et courageux du gouvernement et de ses institutions.

Le discours à tenir doit porter sur la rigueur de la gouvernance. Une rigueur qui contraste et qui dénonce l’austérité. Celle-ci n’est pas la panacée, et il faut la dénoncer pour ses méfaits pervers et toxiques sur le développement du capital humain et la solidarité sociale. Il n’y a pas de solutions magiques. Mais, les solutions existent et elles sont nombreuses.

Six orientations et passages obligés

Pour financer le développement, et pour restarter les moteurs de la croissance, je résume en 5 points mes recommandations, en connaissance de cause et en m’appuyant sur les données macro-économiques tunisiennes d’un côté, et les enseignements des pratiques exemplaires observées de par le monde.

1- Créer un espace budgétaire par la révision de tous les programmes et mesures relevant des responsabilités de l’État et payés par les taxes de contribuables. Il y a des centaines de programmes qui ont perdu avec le temps de leur pertinence, et de leur efficacité. C’est une revue systématique (program review) de tous les grands programmes qui sont coûteux, mais qui ne sont plus dans les priorités et les urgences de l’État.

Une démarche d’attrition des effectifs est aussi conseillée. On peut, par exemple, ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux qui partent à la retraite. Une économie de 3 à 4 milliards de dinars peut être attendue au terme d’un programme qui s’étend sur 3 ans ou 4 ans. On peut envisager des mesures d’accompagnement pour faciliter une telle attrition.

2- Moderniser l’État, en introduisant les meilleures pratiques de gouvernance : i) une  planification stratégique systématique dans toutes les organisations pour mobiliser les fonctionnaires; ii) une institutionnalisation de l’évaluation et de la performance des organisations et des programmes publics; iii) une reddition de compte annuelle pour mesurer les résultats et accomplissements des gestionnaires. Le recrutement et la promotion au mérite doivent retrouver leur place dans l’administration publique.

3- Se réconcilier avec les bailleurs de fonds internationaux pour mobiliser les capitaux et retrouver la confiance des investisseurs et préteurs étrangers. Dans les prochains mois, la Tunisie peut se réconcilier avec le FMI, moyennant l’élaboration d’une démarche alternative, convaincante et structurée, introduisant notamment les éléments précédents (et 1 et 2).

La Tunisie, pays lilliputien, ne peut pas rester isolée et boycottée par les bailleurs de fonds internationaux.

Les enjeux de la restructuration de la dette peuvent se solutionner par l’innovation et la diplomatie, notamment pour éviter la tonalité négative qui entoure le concept de la réconciliation avec le FMI et les bailleurs de fonds.

4- Adopter une nouvelle politique monétaire. Celle-ci doit sortir la Banque centrale de son allégeance à l’orthodoxie monétariste, qui a ruiné des pays, et généré des guerres civiles un peu partout où elle est passée.

L’un des jalons de ce virage dans les politiques monétaire et financière est incarné par un taux d’intérêt abordable, et surtout marquant une rupture avec des statistiques exagérées au sujet du taux d’inflation.

Le taux d’intérêt doit rapidement converger vers celui des pays voisins (Maroc, Algérie…). C’est ici que réside le coup de fouet à donner à l’investissement productif.

La Tunisie doit retrouver son élan naturel en matière d’investissement (25% du PIB), en mobilisant l’épargne et en l’orientant vers la production, plutôt que vers la consommation improductive (et les salaires). C’est faisable, moyennant plus d’innovation, de courage et de clairvoyance au sein du conseil d’administration de la Banque centrale. Au sein des médias et la société civile dans son ensemble.

5- Créer de nouvelles alliances avec des pays amis et partenaires de toujours. Une fois, la réconciliation faite avec le FMI, plusieurs pays émergents et autres européens peuvent venir en aide à la Tunisie pour revitaliser son développement dans toutes les régions, et tous les secteurs avec des taux d’intérêt abordables et permettant la rentabilisation des investissements, et surtout la création de l’emploi.

La Tunisie a un potentiel de croissance de 5 à 6% facilement, mais cela ne se fera pas sans alliance, sans financement et résilience. Les deux millions de Tunisiens expatriés peuvent être d’un grand secours. Ils ont les moyens et de l’épargne théorisée en grande partie, ou investie dans le foncier, plutôt que dans les secteurs productifs, technologiques et à haute valeur ajoutée pour le PIB et pour la création de centaines de milliers d’emplois bien rémunérés.

6- Dire la vérité aux Tunisiens par une communication crédible et franche. Pour dire la vérité, je dois avouer que les bricolages actuels et les rafistolages à la petite semaine de la crise économique (files d’attente, chômage, exode, déficit, inflation, dette, populisme et juridisme inefficace) renvoient la Tunisie droit au mur. Pour finir, à un moment ou un autre, à dévaluer le dinar de 60%, et à donner les clefs de l’investissement aux bailleurs de fonds internationaux.

Dans deux semaines, la Tunisie délègue au FMI à Washington une mission gouvernementale de haut niveau (2 ministres, le gouverneur de la BCT et une dizaine de fonctionnaires), et on se demande avec quel dossier, et quels argumentaires, on va discuter avec le FMI, un bailleur de fonds de dernier recours. Un bailleur de fonds incontournable, pour la Tunisie, au moins pour les 15 prochaines années. Or, sans réconciliation avec les bailleurs de fonds internationaux, point de salut.

Pourquoi : l’État est pléthorique, la stagflation s’enracine, et la productivité des Tunisiens est en recul… ce qui ne peut pas financer un État pléthorique et rongé par la corruption.

* Economiste universitaire.

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