Saïed utilise la guerre à Gaza pour détourner les Tunisiens de leurs problèmes internes

Le président Saïed utilise la guerre menée par Israël contre Gaza pour détourner l’attention de la répression politique et de la crise économique en Tunisie.  Et cette tactique fonctionne bien… (Illustration : Saïed au chevet d’un blessé palestinien dans un hôpital de Tunis).

Par Tharwa Boulifi *

Depuis le 7 octobre, le génocide en cours contre le peuple palestinien à Gaza a plongé le monde dans la tourmente et ébranlé la conscience de la communauté internationale.

Alors que les politiciens du monde occidental soutiennent sans vergogne la guerre meurtrière d’Israël, le reste du monde dénonce leur double standard. Les plus indignés par le dévoilement du masque du monde occidental sont les habitants de la région Mena, qui ne connaissent que trop bien cette hypocrisie.

Dans toute la région, la population a lancé un mouvement de boycott massif contre les produits, services et entreprises finançant l’armée israélienne. La diaspora a également organisé des manifestations pro-palestiniennes en Europe et aux États-Unis, fortement réprimées par les autorités.

Les Tunisiens, qui viennent de célébrer, le 20 mars 2024, le 68e anniversaire de l’indépendance de leur pays, sont bien connus pour leur soutien à la cause palestinienne, depuis l’activisme numérique via les hashtags et les publications sur les réseaux sociaux, jusqu’aux nombreuses manifestations pro-palestiniennes qui remplissent les rues.

Un sujet prédominant

Mais alors que la guerre d’Israël contre Gaza fait rage sans relâche, le Jour de l’Indépendance de cette année, une occasion chère aux Tunisiens, n’a pas été célébré comme il l’est habituellement.

À l’image de la solidarité des Tunisiens avec la Palestine, le président Kaïs Saïed a critiqué ouvertement la guerre menée par Israël contre Gaza.

Les déclarations pro-palestiniennes du dirigeant autoritaire ont été un facteur majeur qui l’a aidé à remporter les élections présidentielles de 2019, et depuis le 7 octobre, il a saisi l’occasion pour parler de la Palestine pour détourner l’attention des conditions socio-économiques désastreuses de son règne.

Au cours des cinq derniers mois, la guerre en Palestine est devenue un sujet prédominant sur la page Facebook de la présidence tunisienne et dans les discours du président, où il a déclaré que la guerre était «un tournant historique pour la Tunisie et pour le monde». Saïed a profité de chaque occasion pour se concentrer sur la résistance en Palestine et sur ses accusations contre Israël.

Le gouvernement tunisien a opté pour un discours populiste similaire, utilisant Gaza pour gagner en popularité auprès d’une population de plus en plus mécontente. Des Palestiniens blessés ont été amenés en Tunisie pour y être soignés et ont été filmés dès l’atterrissage de l’avion par les caméras de la page Facebook de la présidence tunisienne.

Dans la vidéo, les autorités n’ont même pas pris la peine de cacher le fait qu’elles disaient aux hôtes palestiniens ce qu’ils devaient dire devant les caméras.

Dans une vidéo de Saïed rendant visite à des Palestiniens à l’hôpital, le président a déclaré à un étudiant en génie informatique qu’il lui procurerait un ordinateur portable.

Comme prévu, le peuple tunisien a réagi positivement aux actions du gouvernement et du président. Mais lors du vote parlementaire du projet de loi criminalisant la normalisation avec Israël, le président de l’assemblée a interrompu la séance pour annoncer que Saïed s’opposait au projet de loi, affirmant qu’il constituerait une menace pour «la sécurité extérieure de la Tunisie».

Même si cette loi était la principale promesse électorale de Saïed en 2019, sa dernière prise de position n’a pas suscité beaucoup de colère, surtout après qu’il s’est adressé à la population dans un message solennel et l’a informée qu’il était «contre-productif de criminaliser une entité que la Tunisie ne reconnait pas».

Les Tunisiens, impressionnés par les termes grandiloquents de leur président, se sont contentés d’une telle explication.

Les actions du président Saïed et de son gouvernement au cours du génocide à Gaza visent à détourner l’attention du peuple tunisien de la crise économique du pays, telle que la pénurie de denrées alimentaires de base et les prix élevés.

C’est également un moyen pour détourner l’attention de la répression menée contre l’opposition politique, les militants et les dissidents. Depuis octobre, les militants qui protestent pour la libération des prisonniers politiques n’ont plus d’intérêt pour les médias locaux, qui se concentrent principalement sur les manifestations pro-palestiniennes et négligent le reste.

Gaza a également servi le président Saïed en amplifiant son scepticisme et son hostilité à l’égard de l’Occident, ce qui peut souvent être entendu dans ses discours et qui est maintenant adopté par les Tunisiens, depuis que la guerre d’Israël a créé une rupture brutale entre le Nord global et les pays Mena.

Les stratégies habituelles de diabolisation

En utilisant un discours populiste qui s’aligne sur la position des Tunisiens concernant le génocide en Palestine, le président tunisien, utilisant ses stratégies habituelles de diabolisation, a su quelles cordes sensibles toucher et a réussi à détourner l’attention de son peuple des problèmes de son pays.

Les Tunisiens, connus pour leur engagement en faveur de la cause palestinienne et touchés par ce qui se passe à Gaza, ont volontiers déplacé leur colère et leur ressentiment vers les puissants pays occidentaux, actuels grands ennemis des Arabes et des musulmans.

La tactique du président Saïed fonctionne. Alors que les élections présidentielles sont attendues plus tard cette année, les sondages ont confirmé l’hégémonie de Saïed, avec 68,7% des électeurs ayant l’intention de voter pour lui.

Le Jour de l’Indépendance de cette année aura lieu dans un contexte politique international très difficile et sous un régime autoritaire.

Mais malgré les tragédies qui se produisent en Palestine, les Tunisiens ne devraient pas se laisser guider par leurs émotions et ne doivent pas laisser le gouvernement instrumentaliser la guerre menée par Israël contre Gaza pour redorer l’image du président.

S’il y a quelque chose que les Tunisiens peuvent célébrer, ce devrait être leur indépendance et leur émancipation face à la propagande et aux deux poids, deux mesures des pays occidentaux.

Traduit de l’anglais.

Source : The New Arab.

* Journaliste free lance qui publie dans Teen Vogue, Newsweek, New African et African Arguments.

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