‘‘Les potins du cardiologue’’ : une vérité «crue», et pas seulement sur le stent nu

L’assurance maladie ne peut plus refuser d’assumer les coûts de toutes les occlusions aiguës d’artères, dont les dépenses seraient notablement diminuées par le coût modique des stents nus.

Par Dr Mounir Hanablia *

Pour qui ne connaît pas l’histoire, l’angioplastie coronaire n’a pas débuté avec le stent. Mais la standardisation de l’utilisation de la prothèse endo-vasculaire n’a été possible qu’environ 30 années plus tard avec l’apparition de la Ticlopidine, un antiagrégant plaquettaire beaucoup plus puissant que l’acide acétylsalicylique (aspirine).

En effet, avant la Ticlopidine, l’incidence de la thrombose aiguë (caillot) rendait l’usage du stent dangereux, réservé uniquement aux dissections coronaires occlusives per procédurales non colmatées par l’usage du ballon seul.

Cependant un autre problème est apparu avec l’usage désormais sécurisé du stent, à savoir la resténose, cette prolifération dans la prothèse des cellules de l’intima et de la média (les couches internes) du vaisseau qui finit souvent par l’obstruer.

Le stent actif supplante le stent nu

L’évolution technologique et pharmacologique a finalement permis quelques années plus tard l’apparition du stent actif, avec la fixation sur la paroi des stents nus composés de métaux rares (nickel, chrome, étain), de molécules anti-mitotiques empêchant la prolifération des cellules à l’intérieur des artères.

Avec le stent actif, la resténose a chuté passant de près de 30% avec les stents nus à moins de 5%, particulièrement dans les populations où ce taux était prohibitif (diabétiques, lésions longues, artères de petits calibres), et faisant de cette nouvelle prothèse une alternative à la chirurgie coronaire (pontage).

Le stent actif a donc supplanté le stent nu par la force des choses. Mais si la vie d’un patient n’a pas de prix, elle a aussi un coût. Le stent actif valant, actuellement, six fois celui d’un stent nu dont le coût a entretemps baissé, les caisses d’assurance maladie ont dû faire face à une explosion des dépenses auxquelles elles ont répondu souvent dans l’urgence d’une manière pas toujours rationnelle.

En Tunisie, le patient a dû assumer lui-même dans un premier temps la différence de prix entre les deux prothèses. Dans un second temps la prise en charge par les caisses sociales en a été intégrale, mais au final, après plusieurs années d’abus, celle-ci est devenue beaucoup plus restrictive, soumettant l’acte à l’obligation de l’accord préalable, et rendant les remboursements dans les urgences beaucoup plus difficiles à obtenir.

Le résultat est que les délais d’attente des prises en charge sont devenus beaucoup plus longs, autant pour les accords préalables que pour le remboursement des actes. On ignore dans quelle mesure cela se répercute sur la mortalité des patients, et dans notre pays il n’y a à ma connaissance pas eu d’études sur un sujet qui demeure tabou. Personne ne veut en effet encourir le courroux de l’assurance maladie, encore moins après l’affaire des stents périmés.

La prise en charge par les caisses sociales

Ces derniers temps il y a eu un mieux avec la décision de faire traiter les dossiers de prise en charge dans les centres périphériques, sans passer par la direction centrale; les délais d’attente des accords préalables en ont été significativement réduits.

Il n’en demeure pas moins que le paradoxe est qu’au moment où l’assurance maladie fait face à des difficultés financières croissantes, le stent nu, six fois moins cher, est lui en train de disparaître, faute d’utilisation. Il est vrai qu’il a été supplanté par le stent actif. Néanmoins son utilité demeure incontestable dans deux situations.

La première est l’infarctus du myocarde, quand il est nécessaire de désobstruer une artère complètement bouchée, une éventualité que l’assurance maladie faute d’accord préalable n’assume que dans des cas particuliers.

La seconde est celle des patients chez qui le traitement anti-agrégant plaquettaire doit être écourté, en particulier les personnes âgées, et sur ce plan le stent nu en écourte considérablement l’utilisation, jusqu’à un mois, contre trois mois dans le stent actif.

En conclusion, il ne faut pas laisser des questions aussi fondamentales être soumises aux nécessités du seul marché, à la loi de l’offre et de la demande. Le faire, c’est léser une catégorie de la population de plus en plus nombreuse, les personnes âgées de plus de 75 ans, chez qui justement les accidents coronaires sont particulièrement fréquents. Et l’assurance maladie ne peut plus refuser d’assumer les coûts de toutes les occlusions aiguës d’artères, dont les dépenses seraient notablement diminuées par le coût modique des stents nus.

Dans ce dernier cas, certes, se  poserait aussi la question de l’hospitalisation post procédurale, dont nul ne pourrait prévoir la durée et même les coûts. Mais il faudrait néanmoins commencer par en discuter.

La solution envisagée actuellement  par la Société de cardiologie, à savoir des gardes au sein de l’hôpital public assumées par les cardiologues libéraux, n’est donc pas la seule possible. D’autres formules de coopération entre le privé et le public où le patient serait traité dans la clinique et immédiatement transféré à l’hôpital ne doivent pas être rejetées sur des considérations purement idéologiques qui ne cachent en réalité que des intérêts corporatistes. Si la «coopération» public privé à sens unique a servi de camouflage à l’activité privée complémentaire, pourquoi serait-elle le cheval de Troie pour le maintien d’un statu quo dont l’utilité publique et les difficultés économiques imposent la remise en question?   

* Médecin de libre pratique.

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