En lice pour le Prix Comar : S. Sehili-Belkadhi Z. ou le bel édifice du vivre-ensemble 

Dans son second roman intitulé ‘‘Sobel’’ (éd. Nirvana, Tunis 2024, 232 pages), S. Sehili-Belkadhi Z. peint une fresque socioculturelle de la Tunisie de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, à travers un portrait de groupe, femmes et hommes en mouvement à travers l’espace et le temps.

Par Latif Belhedi

Dès le début du roman, on est projeté dans ce qui s’apparente à une histoire familiale, évoquée à travers un personnage attachant, Si M’hamed, né à la fin du 19e siècle, et ses relations pleines de compréhension et de tendresse avec ses sœurs, ses enfants, ses neveux et nièces, ses petits-enfants, une foule de personnes que lient, outre les liens familiaux, des choix de vie à mi-chemin entre un conservatisme bon enfant et une modernité apaisée et sans forfanterie, comme pour préserver l’essentiel : l’équilibre personnel et la stabilité sociale.

«Cette descendance de Si M’hamed, sa fratrie et ses alliances produisirent des femmes debout jusqu’aux portes de Thanatos», lit-on à propos de ce patriarche très pieux, qui ne rate pas une seule prière, mais dont les positions concernant le statut de la femme semblent en avance sur leur temps.

«A-t-il agi sur les siens afin qu’elles se libèrent des jougs du silence ? Assurément. Par respect et par esprit de justice bien plus que par modernisme, bien plus que par militantisme. Respect de l’autre dans ce qu’il désire pour lui-même», ajoute l’auteure, qui ne se contente pas de narrer les faits et gestes de ses personnages, mais se donne aussi pour tâche de les analyser et d’en comprendre les ressorts les plus profonds.

Des conservateurs éclairés

«Homme de Dieu, de piété et de livres», Si M’hamed était aussi «intègre, droit et nourri d’humanisme». A sa nièce qui lui demandait son avis sur un homme qui l’avait demandée en mariage, en lui disant que sa mère était d’accord pour qu’elle l’épouse, il répondit : «Ce n’est pas l’union de ta mère, ma fille, mais la tienne». Et il ajouta : «L’époque du mariage aveugle doit cesser».

Réfléchissant, de son côté, à ce qu’était son grand-père, entre passé et couleurs nouvelles, sa petite fille constatera : «Il y a comme une contradiction chez certains conservateurs éclairés. Ils n’osent pas casser les codes, mais ils sont admiratifs des libres qui le font. Cette dynamique qui leur échappe, ils se l’approprient à travers les plus rebelles d’entre nous : ceux qui osent. C’est comme s’ils assignent à l’autre la tâche de rompre avec l’archaïque, n’osant pas, eux, le faire, par manque d’insolence, peut-être».   

A l’instar de Si M’Hamed, les autres personnages du roman évoluent vers davantage de dialogue et de tolérance, les uns envers les autres, mais aussi entre les différentes communautés qui composent la Tunisie du siècle dernier, juifs, chrétiens et musulmans, d’un côté, arabes, italiens, français et maltais, de l’autre, malgré les bruits et les fureurs de l’histoire qui se fait, parfois dans le feu et dans le sang, à savoir la première et la seconde guerres mondiales, les luttes pour la libération nationale, la fondation de l’Etat d’Israël en 1948 et les guerres qui ont suivi ce séisme politique, presque une par décennie, et qui ont vu les relations entre juifs et musulmans se raidir ou se distendre, mais sans se rompre, dans une Tunisie plus que jamais enracinée dans son identité arabe, mais sans se départir de cette ouverture d’esprit et cette volonté de paix qui animent tous ses enfants.

D’ailleurs, cette question du vivre ensemble sera tout au long du roman une sorte de fil rouge : elle est au centre des discussions entre Si M’hamed, Youssef, Sobel, Dr Berrebi, Youssef, Lilia, Lily-Sarah, Alain, Sofia, Alexandre et autres Mehdi.

Le bel édifice du vivre ensemble

Lilia, née de mère juive convertie et de père musulman, dira dans un moment de grande perplexité : «J’aime ma mère et mon père, j’aime les deux bords, mais je ne sais plus si je dois être du côté de ceux qui ont le droit de vivre; ou du côté d’un Etat qui a le droit à la sécurité», par allusion aux Palestiniens et à l’Etat d’Israël. Pour elle, ce n’est pas une question de terre ou de droit, mais de justice et de justesse. «C’est inégal. Oui, je trouve que c’est inégal. Le partage équitable est la seule solution, le vivre ensemble», tranchera-t-elle, mais le malaise que la non résolution de la cause palestinienne suscite chez les personnages du roman, de génération en génération, alimente sans cesse les discussions, mais sans provoquer de fracture dans ce microcosme où des hommes et des femmes, liés par des liens de sang ou de l’amitié, maintiennent le même attachement à ce que l’auteure appelle «le bel édifice du vivre ensemble» dans une Tunisie ensoleillée, ouverte et apaisée, malgré «cette haine si vieille entre les hommes».

‘‘Sobel’’ nous promène, au fil des pages, entre la médina de Tunis, La Goulette, Khereddine-Plage, Sidi Bou Saïd et Paris, dans le sillage de personnages attachants, qui évoluent dans leur environnement coloré, tout en étant animés par la même curiosité du monde.

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