Les potins du cardiologue : le drapeau et la piscine dans le bain de la politique; entre le cœur, et la déraison

Dans le contexte d’affrontements et de surenchère politique que connaît actuellement la Tunisie, il est nécessaire que les accusés dans l’affaire dite du drapeau national demeurent innocents jusqu’au jugement. D’autant que, dans cette affaire, ce n’est rien de moins que la protection du fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions qui est en jeu.

Dr Mounir Hanablia

La natation est ce sport qui, pratiqué en position horizontale, économise le travail cardiaque nécessaire à annuler les effets de la pression hydrostatique du sang exercée sur les vaisseaux des jambes, en rapport avec la posture verticale normale de l’être humain. Il épargne tout autant l’effort musculaire par le biais de la poussée d’Archimède de telle manière que le poids du corps se trouve lors de la nage diminué de celui de son volume en eau.

Néanmoins, si l’on en juge par les derniers incidents survenus à la piscine de Radès, le rapport à Archimède ne s’établirait que dans la mesure où des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions, désormais «dans le bain», se trouvent soumis, pour parler le langage de la physique, à des forces contraires tendant à annuler leur mouvement, c’est le moins que l’on puisse dire.

Il ne serait pas ici opportun de commenter sur le plan judiciaire une affaire qui se trouve encore à son début. Il convient d’autant mieux de ne pas le faire en rappelant certains principes généraux, à commencer par celle relative à l’atteinte à l’intégrité et à la dignité du drapeau national, assimilée à un acte de trahison dans le cadre d’un complot contre la sécurité interne du pays.

Hypothèque à la souveraineté nationale

Si une telle loi a été instaurée, c’est bien parce qu’il y eut un moment où la République tunisienne étant menacée de disparition par une institution appelée Califat, réclamée alors  par une partie (non négligeable) de l’électorat, les drapeaux rouges et blancs frappés du croissant et de l’étoile étaient souvent supplantés par ceux noirs et blancs de l’organisation terroriste Daech. L’exemple le plus tristement célèbre en demeure évidemment la «ghazoua» de la faculté des lettres de Manouba en 2012 sous le gouvernement de Hamadi Jebali, celui qui justement, dans un moment d’exaltation, avait lié la victoire électorale de son parti à l’avènement d’un sixième califat.

On ne voit en effet pas pourquoi une telle loi eût été votée du moment que, avant l’apparition du jihadisme, le drapeau national n’avait jamais été bafoué, même durant les manifestations d’opposition à la politique de l’Etat, et que au contraire, les opposants en défilant sous la bannière nationale avaient constamment eu le souci de contester le monopole sur le patriotisme dont il s’était toujours prévalu. 

En tous cas, le Code pénal édité en 2019 ne faisait nullement état d’une quelconque offense au drapeau national passible de poursuites judiciaires, et il convient d’autant mieux de le préciser que depuis 2022 notre pays par le biais d’une nouvelle Constitution fait partie d’un ensemble appelé «oumma», ce qui est une première hypothèque à la souveraineté nationale, la seconde étant qu’à l’ère de la mondialisation, les lois internationales dont notre pays est le signataire priment par rapport aux législations nationales lorsqu’elles sont en contradiction.

La traduction sur le plan sportif en est constituée par la pleine autonomie dont les fédérations nationales jouissent par rapport à leurs Etats respectifs au point de voir les interférences politiques être sanctionnées d’exclusions des compétitions internationales. Or ce qui s’est passé à la piscine de Radès entrait dans un cadre international où le seul rôle de l’autorité du pays hôte eût été en principe d’assurer l’ordre et la sécurité. Et personne ne s’est plaint que l’ordre public dans ou en dehors de la piscine eût été bafoué.

Il reste que des fonctionnaires étaient bien responsables de l’organisation ce jour-là à la piscine, mais jusqu’à preuve du contraire, si faute il y a eu, celles-ci ne pouvaient se situer en dehors du cadre normal de la fonction publique, dont tout litige en dehors de violences manifestes contre les personnes, de dégradations de biens, ou de malversations financières, ne saurait être arbitré que par la Justice administrative.

Un patriotisme national doublé d’un autre, étranger

Pour aborder la question de la force de la charge symbolique du drapeau dans la représentation de la souveraineté nationale, elle exclurait de jure et facto l’usage de tout autre drapeau sur tout le territoire du pays, en dehors des représentations diplomatiques des pays étrangers, ou du protocole d’accueil des invités internationaux.

Force est de constater que ce n’est nullement le cas. Le meilleur exemple en est la large diffusion du drapeau palestinien dans le pays; sans remettre en question le bienfondé de la lutte du peuple palestinien pour la reconnaissance de ses droits nationaux, il faut croire que le patriotisme tunisien se double d’un autre, étranger, sans que l’Etat tunisien n’en prenne ombrage, et cela soulève évidemment un certain nombre de questions fondamentales, que l’on ne saurait plus ignorer, au moment où des personnes respectables sont privées de liberté sans jugement pour avoir retiré ou recouvert le drapeau national de leur pays par excès de zèle, par manque de vigilance, ou par stupidité, durant une compétition internationale, soumise – il ne faut pas l’oublier – à des normes et des règlements internationaux auxquels notre pays a choisi néanmoins souscrire pour avoir le droit d’y participer.

Selon ce qu’on en dit, notre pays serait sanctionnable pour ne pas obéir aux normes internationales anti-dopage, au point de se voir retirer le droit d’arborer ses couleurs dans les compétitions internationales.

Afin de situer les responsabilités, pourquoi donc l’autorité politique à son plus haut niveau, autrement dit le ministère de tutelle, aurait-elle consenti à  la participation à une compétition bafouant ainsi la souveraineté nationale dont elle dénonce maintenant le caractère inacceptable?

Pour en revenir au drapeau, tout caractère sacro-saint éventuel devrait à priori interdire les morceaux de tissu délavés en lambeaux soumis depuis des années aux aléas de la météorologie que l’on voit souvent arborés sur les façades sans que quiconque ne se soucie de les remplacer, et sans que surtout, cela n’eût jamais suscité de quelconques procédures judiciaires. En effet, qui aurait l’audace d’aller demander des comptes sur le sujet à une institution régalienne?

De supposés graves manquements à la souveraineté

Cependant on a brusquement choisi de se départir de sa tolérance sur le sujet en propulsant sur le devant de la scène de supposés graves manquements à la souveraineté lors d’un évènement sportif international, dont rares sont ceux qui auraient jamais entendu parler, sans cela, et en mobilisant autour de la question du drapeau un nationalisme tout à fait inhabituel dans l’habitus tunisien.

Des témoignages douteux autant pour se disculper que pour régler des comptes, si courants dans toutes les collectivités humaines, ont étoffé un dossier d’accusation qui sans cela n’aurait pas été ouvert, ni donné lieu aux privations de liberté, en l’absence de jugement, si dommageables pour les inculpés dans leur dignité, leurs corps, leurs réputations, et leurs familles.

Dans le contexte d’affrontements et de surenchère politique que connaît actuellement le pays, il est nécessaire que l’accusé demeure innocent jusqu’au jugement. Tout compte fait, dans cette affaire, ce n’est rien de moins que la protection du fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions qui est en jeu.

Pour conclure et afin de relativiser, il ne faudrait pas oublier que dans un cadre sportif l’hymne national français avait été hué au stade de France en 2008 lors d’une rencontre entre la France et la Tunisie par les supporters tunisiens suscitant des commentaires outrés de Nicolas Sarkozy sur le respect des couleurs françaises au temps de sa jeunesse, ce à quoi Michel Platini, l’ex-footballeur devenu dirigeant de la fédération européenne avait répondu: «Les sifflets ont toujours existé dans les stades; de mon temps les politiciens ne s’occupaient pas de football».

* Médecin de libre pratique.

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