Le destin contrarié du Dr Mohamed Lotfi Mraïhi

Peu de pères auront la chance de recevoir un jour le message qu’a envoyé hier, jeudi 4 juillet 2024, via les réseaux sociaux, le musicien Amine Mraïhi, à son père, Dr Mohamed Lotfi Mraïhi, candidat à la candidature à la présidentielle de l’automne prochain en Tunisie, incarcéré la veille dans une bien vague affaire.

Ridha Kefi

«Fier de toi, hier, aujourd’hui et demain… fidèle à ton combat pour ce pays que tu aimes tant. Aujourd’hui, tu donnes une leçon de courage et d’intégrité, à tes fils et tes petits-enfants! Tu vis pour tes valeurs et nous te soutiendrons toujours! Le combat continue…»

Si nous republions ce message, ce n’est nullement pour exprimer un quelconque soutien à un homme qui a choisi son destin et refusé de transiger sur ce qu’il considère comme un droit et un devoir, celui de se porter candidat à la présidence de la république. C’est son choix et il en assume toutes les conséquences dans un pays qu’il connaît bien et qu’il estime être en mesure de conduire vers des rivages plus sereins.

Un parcours exemplaire

Si nous republions ce message c’est pour souligner la singularité de la relation quasi fusionnelle, plutôt rare sous nos cieux, qui relie Amine et Hamza, deux des meilleurs musiciens solistes de leur génération, à leur père : médecin de son état, poète et écrivain à ses heures, grand mélomane devant l’Eternel, qui a créé et dirigé plusieurs festivals de musique arabe, et qui, au moment où d’autres ayant beaucoup donné d’eux-mêmes préfèrent prendre une retraite bien méritée, a cru devoir se lancer dans une aventure – et c’est le mot qui convient – politique, sans doute par ambition personnelle pour couronner un parcours somme toute exemplaire, et c’est tout à fait légitime, mais aussi parce qu’il estime que son pays a besoin de lui et qu’il est capable de le sortir de la crise où il ne cesse de sombrer, chaque jour un peu plus, depuis un certain 14 janvier 2011.

Mohamed Lotfi Mraïhi que j’avais connu au milieu des années 1980, quand, encore étudiant en médecine, il venait à mon bureau du journal Le Temps pour me lire ses poèmes que je m’enorgueillis d’en avoir publiés quelques uns, ou me dédicacer ses premiers livres, m’a toujours impressionné par sa rigueur, sa force de caractère et sa détermination à aller jusqu’au bout de ses idées.

J’ai toujours aussi admiré l’affection dont il entourait ses deux enfants, musiciens prodiges, et la rigueur quasi-monacale qu’il leur imposait pour leur éviter la facilité des carrières fulgurantes et sans lendemain.

Nos routes se sont décroisées ensuite, au gré des travaux et des jours, mais lorsqu’il s’est lancé en politique en fondant l’Union populaire républicaine (UPR), j’ai pensé qu’il faisait fausse route et qu’il ne tarderait pas à revenir à ses fondamentaux : la médecine, la littérature et la musique. C’était sous-estimer sa force de conviction et sa détermination à aller jusqu’au bout de ses idées.

Concourir à la présidence de la république

Je dois avouer cependant que certaines idées de mon ami de quarante ans me choquaient : notamment son nationalisme ombrageux à la limite de la xénophobie et son étatisme excessif en matière économique. Aussi, lors des précédentes présidentielles, n’ai-je pas voté pour lui, et je ne pense pas que je le ferais la prochaine fois, si prochaine fois il y aurait, mais je souhaite vraiment, en tant que citoyen tunisien, qu’il aurait, lui et les autres candidats à la candidature, la possibilité de concourir pour la magistrature suprême, et que nous autres Tunisiens puissions vraiment choisir, en toute liberté et sans interférence aucune, à quel homme ou quelle femme livrer notre destin.

Mais en attendant d’y voir plus clair dans cette affaire, ma pensée va pour l’épouse de l’enfant de Haïdra (Kasserine), Noura, médecin esthéticienne, ses deux enfants Amine et Hamza, ses petits-enfants, et tous les membres de sa petite et de sa grande famille, qui doivent beaucoup souffrir aujourd’hui.

Je forme aussi l’espoir de voir le président de l’UPR innocenté par la justice des accusations portées à son encontre afin qu’il puisse réaliser son vœu le plus cher : concourir une seconde fois à la présidence de la république.