Doit-on limoger une partie des agents publics et mettre une autre partie en prison pour espérer s’assurer un service d’eau et d’électricité sans coupure? C’est à une telle question existentielle que nous sommes appelés à répondre, nous autres Tunisiens, en suivant le raisonnement du président Saïed.
Ridha Kefi
«Il est inacceptable de prétendre que le réseau de distribution d’eau est vétuste. Pourquoi ce même réseau ne tombe-t-il pas en panne dans certaines banlieues ?», s’est interrogé le Kaïs Saïed, qui continue d’attribuer les coupures d’eau dont se plaignent les citoyens à des comploteurs tapis au cœur de l’Etat.
Cette interrogation, le président de la république ne l’a pas faite en recevant le Pdg de la Société d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede) ni même le ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche dont dépend cette entreprise publique. Il l’a faite en rencontrant, jeudi 18 juillet 2024, au Palais de Carthage, le ministre de l’Intérieur Khaled Nouri, et le secrétaire d’État chargé de la sûreté nationale, Sofiene Bessadok. C’est une manière de signifier que la distribution de l’eau est une question de sécurité nationale et que la fin des pannes d’eau n’est pas du seul ressort des techniciens de la Sonede. Elle est aussi l’apanage de la police nationale, censée arrêter les supposés saboteurs afin que lesdites pannes cessent. Le chef de l’Etat a d’ailleurs été clair à ce sujet, en insistant sur la nécessité de poursuivre ceux qui sont derrière les coupures d’eau et d’électricité dans plusieurs régions du pays pour attiser les tensions sociales.
«La Tunisie a connu des années difficiles, mais ce qui se passe aujourd’hui dans certaines régions ne s’était jamais produit auparavant», a-t-il lancé.
Théorie du complot
Le chef de l’Etat a également souligné que ceux qui sont derrière les coupures d’eau et d’électricité sont aussi ceux qui empêchent certains individus de voyager à l’étranger, en attribuant faussement et calomnieusement cela au président de la république. La liberté de circulation, à l’intérieur du pays ou à l’étranger est garantie par la Constitution, sauf en cas de mesure restrictive ou d’interdiction de voyager émise par le ministère public, a-t-il dit.
Le système automatisé aux postes frontaliers fonctionne et s’arrête [intempestivement], tout comme les réseaux de distribution d’eau et d’électricité, a dit le président sur un ton ironique, laissant ainsi entendre que les problèmes de toutes sortes dont souffrent les citoyens n’ont pas lieu d’être. Ils seraient, selon lui, provoqués par des personnes ou des groupes qui ont infiltré les rouages de l’Etat et qui, par leurs manœuvres dilatoires, cherchent à l’atteindre lui, le premier responsable de l’exécutif, en cherchant à provoquer la colère populaire contre l’Etat et ceux et celles qui sont censés l’incarner.
On ne sait quel crédit donner à cette théorie du complot, très en vogue aujourd’hui, et pas seulement en Tunisie, d’autant qu’à ce jour, et malgré les nombreux limogeages de hauts fonctionnaires publics auxquelles le président a procédé, non seulement les coupures d’eau et d’électricité se poursuivent à un rythme effréné, ainsi que les autres désagréments dont se plaignent les citoyens au quotidien, mais on n’a pas encore apporté la preuve irréfutable que ces désagréments sont provoqués par tel ou tel malfaiteur dument identifié. Et d’ailleurs, doit-on limoger une partie des agents publics et mettre une autre partie en prison pour s’assurer un service d’eau et d’électricité sans coupure?
Des réseaux vétustes et mal entretenus
On ne sait vraiment pas quoi penser de tout cela. Ce que l’on sait, en revanche, pour l’avoir souvent écrit, sur ces mêmes colonnes, et ce depuis au moins une décennie, c’est que le réseau de la Sonede et, à un degré moindre, celui de la Steg sont vétustes et souffrent d’un manque d’entretien et de rénovation que la situation financière critique de ces deux entreprises publiques ne leur permet pas de rattraper avec la célérité requise pour espérer assurer un service irréprochable.
Donc, ni les responsables de ces entreprises, ni leurs supérieurs au sein du gouvernement, ni encore la police nationale, si tant est qu’elle est la partie requise pour une telle mission, ne pourront, dans un délai raisonnable, mettre fin aux coupures d’eau et d’électricité. Aussi, et sans un diagnostic juste de la situation, personne, à commencer par le chef de l’Etat lui-même, ne pourra garantir une fin prochaine de ces désagréments.
Il serait également plus raisonnable d’admettre que le problème est structurel, d’élaborer des solutions d’ensemble et de mettre en route des plans à court, moyen et long termes pour restaurer la totalité des équipements publics qui ont vieilli, et pas seulement les réseaux de distribution d’eau et d’électricité.
Des plans, on peut toujours en tirer sur la comète, et les membres du gouvernement le font très bien, il faut aussi mobiliser les moyens financiers pour les mettre en route. Et c’est là aussi où le bat blesse, car non seulement l’écrasante majorité des entreprises publiques sont en grande difficulté – certaines sont même en quasi-faillite –, mais les finances publiques sont elles aussi exsangues et ne permettent pas les dépenses faramineuses que nécessiterait la modernisation de tous les équipements publics.
Quelle est alors la solution, me diriez-vous? Il n’y en a pas trente-six mille. La seule, et qui demande plus d’actes que de paroles, plus d’humilité et de patience aussi (personne n’est parfait), réside dans la relance de la machine productive dans le pays par le travail, l’effort, le sacrifice, la discipline, la rigueur et le sens de l’intérêt commun… Car ce n’est pas avec un taux de croissance de 0,4% comme celui enregistré en 2023 que l’on va pouvoir… mettre fin aux coupures d’eau et d’électricité.
A bon entendeur…