Kaïs Saïed ne semble pas accorder de l’importance aux problèmes structurels à l’origine du stress hydrique dont souffre la Tunisie depuis de nombreuses années. Il préfère attribuer la responsabilité des coupures d’eau potable dont se plaignent les citoyens à de mystérieux saboteurs, et s’engager à y mettre fin au plus vite. Et que veut le peuple ? Sauf qu’il y a loin de la coupe aux lèvres…
Imed Bahri
En effectuant, lundi 22 juillet 2024, une visite au gouvernorat de Jendouba, où il a pris connaissance de l’évolution de la situation des ressources hydrauliques dans la région, le président de la république a visité les barrages de Bouhertma et de Barbara, où il a rencontré des responsables et nombre de citoyens et écouté leurs préoccupations concernant les perturbations récurrentes dans la distribution de l’eau potable dans la région.
Il est aberrant que les habitants de la région souffrent de soif alors qu’ils sont entourés de barrages, a déclaré le président, accusant «des parties» qui se cachent derrière ces coupures d’eau, notamment «durant ces périodes particulières», rapporte l’agence Tap..
Non-sens
Pour Saïed, qui affectionne la théorie du complot et en fait un usage immodéré, les coupures d’eau sont «un non-sens» surtout «en présence de barrages qui stockent de grandes quantités d’eau douce.» Aussi s’est-il engagé à intervenir dans les plus brefs délais pour résoudre cette question et presser les parties intervenantes à œuvrer au plus vite pour rechercher des solutions efficaces aux dysfonctionnements enregistrés depuis des années au niveau du barrage de Barbara. Et d’autres barrages au nord, au centre et au sud.
Nous souhaitons beaucoup de chance aux responsables de la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede), qui font face à de graves problèmes structurels les empêchant de regarder plus loin que le guidon, pour mettre en œuvre rapidement les solutions susceptibles de mettre fin à la crise de l’eau en Tunisie.
Etat des lieux
Il y a certes, comme l’a souligné le président, une forme de criminalité larvée qui se traduit par des atteintes aux infrastructures existantes, et les auteurs de ces atteintes doivent être arrêtés et jugés, mais cela ne suffira pas pour régler le problème des perturbations dans le réseau de distribution de l’eau potable. Car les vrais problèmes sont d’ordre structurel. Parmi ces problèmes, nous citerons, ici, les plus importants et dont la solution exigera des années sinon des décennies de planification, de mobilisation de fonds et de mise en œuvre de grands projets structurels :
– un déficit financier chronique de la Sonede, qui était estimé à 86,7 millions de dinars en 2022;
– un réseau de distribution très vétuste, car mal entretenu depuis des décennies, et qui, sans jeu de mot, prend de l’eau de partout. Les fuites et les perditions sont estimées par les experts à plus de 30% de la ressource disponible;
– une sécheresse chronique due au changement climatique et qui se traduit par un stress hydrique faisant de la Tunisie l’un des pays les plus affectés par le manque d’eau. Avec une part moyenne d’eau par habitant, estimée à 430 m3/an, et qui devrait baisser à moins de 350 m3/an d’ici à 2030, selon les chiffres officiels, la Tunisie est un pays fortement exposé au stress hydrique, terme utilisé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour qualifier les pays, régions ou zones où la disponibilité en eau est inférieure à 1 700 m3 par an et par habitant;
– des barrages (encore heureux qu’ils existent, grâce aux planificateurs des années 1970-2000) mal entretenus et dont le taux de remplissage se réduit d’année en année. Il est estimé actuellement à 27,2%. Et on est encore au milieu de l’été. Certains barrages, au centre et au sud, sont carrément au sec;
– une agriculture qui accapare 80% de la ressource disponible et qui, faible pluviométrie oblige, recourt excessivement à l’irrigation pour produire des fruits et des légumes souvent destinés à l’exportation. Est-ce raisonnable dans un pays qui importe l’essentiel de ses besoins alimentaires, notamment les céréales et les huiles alimentaires ?;
– et, pour ne rien arranger, les stations de dessalement de l’eau de mer sont en nombre insuffisant et certaines, comme celle de Sfax, ne sont pas encore fonctionnelles et en production pour pouvoir apporter des solutions rapides à un problème urgent.
Pour toutes ces raisons, nous estimons qu’un langage de vérité serait plus approprié à la situation pour calmer la colère des citoyens qui sont soumis aux aléas d’une distribution poussive de l’eau potable, et surtout ne pas attiser cette colère par des promesses qui, forcément, eu égard ce qui vient d’être exposé ci-haut, ne seront pas respectées dans un avenir proche.