Le chien, ami de l’homme et agent économique

Le chien a toujours été, dans les différentes régions de la Tunisie, un animal domestique, docile et solidaire de la vie sociale et économique, un animal adopté pour ses qualités et son intelligence. Mais, rien ne va plus entre les Tunisiens et leurs chiens…

Moktar Lamari *

Les chiens sont abandonnés, maltraités, et la rage revient en force. Une dizaine de personnes sont mortes de cette maladie depuis le début de l’année, véhiculée par les chiens errants et non vaccinés. Certains appellent à un abattage urgent et massif, des chiens errants.

Vie de chien…

On veut les exterminer ainsi plutôt que de les vacciner et les stériliser, pour limite la reproduction non contrôlée. Le gouvernement ne semble pas disposé à mobiliser les budgets nécessaires. Il accumule les déficits et s’endette à fond la caisse. Alors les chiens peuvent attendre. Ils ne font pas partie de ses priorités.

L’action collective ne fait pas mieux. Et on est même récalcitrant à tolérer des refuges pour chiens. À Djerba, plusieurs résidents étrangers ont essayé de créer ces refuges vainement, les voisins les ont saccagés et l’expérience est tombée dans les oubliettes.

Historiquement, le chien garde les troupeaux, les maisons, il aide à la chasse, il est l’ami de la famille. A une certaine époque, sa chair était même consommée au terme d’un élevage végétarien spécifique en oasis (Gabès).

Rupture d’une cohabitation

Quelque chose ne fonctionne plus pour voir les chiens se faire abandonner, se reproduire dans la nature, sans trouver les soins et la nourriture requis. Des meutes de chiens sillonnent les villes et villages en errance, subissant la maltraitance et le déni total.

Sortons de notre cadre de société musulmane, et regardons l’Espagne qui a valorisé le chien et domestiqué ses comportements au point d’en faire un vrai producteur de truffes, ces champions dont le kg est vendu à plus de 700 euros.

Enfant, Manolo Doñate voyait souvent des hommes étranges avec des chiens dans les montagnes près de sa maison à Sarrión, une ville de la province de Teruel en Aragon.

Les chiens chassaient les truffes sauvages abondantes. Dans les années 1980, lors de la visite d’une plantation en France, il a décidé d’être le premier à Teruel à élever des chiens producteurs de truffes.

«Les gens pensaient qu’il était fou», dit Simona, sa fille. On savait peu de choses sur la façon de cultiver le champignon ; il faut environ dix ans pour que les champignons produisent. Mais ça a marché. Aujourd’hui, Teruel est le plus grand producteur mondial de Tuber melanosporum, le prince des truffes noires. L’année dernière, sa région en a exporté plus de 26 000 kg.

Productivité du chien

La production de la région française du Périgord, autrefois le plus grand producteur, a chuté au cours du siècle dernier, alors que les agriculteurs sont passés à des cultures plus faciles. Ceux d’entre eux qui cultivent les truffes doivent introduire le champignon dans les arbres et les replanter dans un champ; lorsqu’elles produisent, les trouver nécessite des animaux entraînés.

Mais le maigre sol de Teruel est inadapté à la plupart des cultures, de sorte que les habitants ont tout parié sur les diamants noirs.

La production a enrichi les agriculteurs : les truffes noires coûtent jusqu’à 700 € (770 $) par kilogramme. Et il a arrêté le dépeuplement : la population de Sarrión est restée stable même si celle d’Aragon a diminué.

La prochaine étape est la reconnaissance internationale, déclare Daniel Brito, chef de l’association de l’élevage de la truffe de Teruel. Les truffes du Périgord sont toujours l’étalon-or. M. Brito espère gagner une «indication géographique», comme celles du champagne ou du jambon de Parme, avant le début de la prochaine saison. Un autre défi est que les Espagnols mangent rarement des truffes. Elles ont été interdites pendant l’Inquisition espagnole en tant que poison de l’enfer. À Teruel, cependant, elles sont un cadeau du ciel. Et dans le processus de leur production, les chiens constituent le maillon incontournable. Ils détiennent ainsi les clefs de cette filière prospère.

La Tunisie ne doit pas favoriser les solutions faciles, et peu éthiques. Honteuses même au regard de la communauté internationale. Il faut agir de façon intelligente en démontrant que notre pays reste une terre de tolérance et de civilisation.

* Economiste universitaire.

Blog de l’auteur.