Après cinq ans de sa promulgation la Startup Act a certes réalisé son objectif initial en créant plus de 1000 startups basées sur l’innovation et la scalabilité. Toutefois, le bilan reste mitigé car ce cadre juridique ne permet plus malheureusement la pérennité et le développement de l’écosystème des startups en Tunisie. D’autres exigences, réglementaires, financières et autres se font fortement ressentir. Mais l’administration ne suit toujours pas…
Selim Kouidhi *
Selon le Global Startup Ecosystem Report 2024 (GSER2024) publié en juin dernier par Startup Genome et Global Entrepreurship Network, la valeur de l’écosystème des startups tunisiennes a connu une croissance de 205% du 1er juillet 2021 au 31 décembre 2023, par rapport à la période précédente. Cette valeur se mesure par la qualité des sorties et par la valorisation des startups.
Cet indicateur reflète le dynamisme du paysage de l’innovation en Tunisie.
A titre de rappel, le concept de «startup» a été initié en Tunisie par la loi Startup Act promulguée le 2 avril 2018 et entrée en vigueur, en avril 2019.
Le Startup Act était un POC (proof of concept) dont l’objectif initial était de créer l’écosystème des startups en Tunisie en offrant une panoplie d’incitations attractives, notamment fiscales aux startups et aux investisseurs. Il a encouragé la création de nouvelles entreprises et a stimulé l’esprit d’entreprise à travers le pays.
En créant une nouvelle dynamique, la Startup Act ambitionnait à faire de la Tunisie un pays de start-up au carrefour de la Méditerranée, de la région Mena et de l’Afrique et a même inspiré des initiatives similaires en Algérie, au Sénégal, au Rwanda et récemment en Mauritanie.
Un bilan mitigé
Après cinq ans de sa promulgation la Startup Act a certes réalisé son objectif initial en créant plus de 1000 startups basées sur l’innovation et la scalabilité, toutefois, le bilan reste mitigé car ce cadre juridique ne permet plus malheureusement la pérennité et le développement de l’écosystème des startups en Tunisie.
En effet, des obstacles majeurs se dressent à l’encontre de la croissance de l’écosystème entrepreneurial en Tunisie.
Ainsi les formes juridiques des sociétés et les modes de gouvernance proposés par le code des sociétés commerciales en Tunisie ne sont pas adaptés aux spécificités des startups caractérisées plutôt par l’innovation et la nécessité de prise de décisions rapide.
Par ailleurs, il s’avère nécessaire de revoir les mécanismes de financement proposés actuellement par la loi tunisienne (l’equity et l’obligation convertible en actions) en permettant d’autres alternatives, car l’absence de mécanismes de financement internationaux pousse de plus en plus des startups tunisiennes à s’installer définitivement à l’étranger dans la perspective de mobilisation des financements auprès d’investisseurs étrangers et être au plus près de marchés de tailles moins étroites que celle du marché tunisien.
Le financement par les fonds d’investissement tunisiens habitués à financier des activités plutôt industrielles a soulevé l’inadéquation de ces fonds face aux spécificités des startups notamment quant à la nécessité d’accepter de «perdre» des sommes importantes pour financer les premiers cycles de vie d’une startup avant l’aboutissement au Minimum Viable Product (MVP).
La rétention des talents
En outre, les problématiques de rétention des talents et la possibilité de ramener des talents de l’étranger constituent un défi majeur pour les startups tunisiennes face à l’absence de mécanismes juridiques permettant d’offrir des incitations intéressantes (visas talent, paiement des salaires en devises, possibilités d’avoir des actions dans les filiales à l’étranger…)
La nécessité d’adapter un cadre juridique spécifique aux SSO (Startup Support Organization) et en leur accordant des avantages constitue aussi une priorité pour galvaniser l’écosystème d’entreprenariat Tunisien vu l’importance que joue ces organismes dans l’accompagnement des startups.
Face à ces défis de taille, plusieurs initiatives intéressantes sont en attente de promulgation par l’Etat tunisien à l’instar de la loi Innovation Act et le nouveau Code de change.
Baptisé Innovation Act, ce projet de loi, élaboré dans le cadre d’une approche participative, d’une task-force regroupant les secteurs public et privé ambitionne d’être un cadre plus adapté aux startups et aux entreprises innovantes, permettant d’apporter des solutions pratiques nécessaires au développement de l’écosystème des startups en Tunisie.
Par ailleurs, la promulgation tant attendue du nouveau Code de change permettra, s’il est adopté dans sa version actuelle, de faciliter certaines opérations pour les startups tunisiennes et de répondre à leurs exigences en termes d’opérations en devises.
Toutefois, l’approbation de ces initiatives audacieuses tarde malheureusement à venir. De plus est, elles risquent aussi de passer sous les fourches caudines d’une administration tatillonne. Une fois ces initiatives jetées aux oubliettes et devenant obsolètes, l’écosystème entrepreneuriale tunisien risque une déperdition qui fera du rêve d’une Tunisie «hub technologique» régional de référence un lointain mirage.
* Expert-comptable, directeur BPS Deloitte.