Les responsables israéliens estiment que le contexte actuel, qui est défavorable au régime iranien, est une opportunité à ne pas manquer et qui ne se répétera pas pour en finir avec la République islamique d’Iran. Mais en déclarant la guerre à Téhéran, ils risquent d’ouvrir une boîte de Pandore qu’il sera difficile de fermer.
Chedly Mamoghli *

Israël veut faire tomber le régime iranien alors qu’il est plus vulnérable que jamais étant donné qu’il est infiltré jusqu’à la moelle (opérations du Mossad au cœur de Téhéran, assassinat d’Ismaïl Haniyeh dans une résidence des Gardiens de la révolution où personne n’était censé savoir qu’il s’y trouvait et les déclarations de l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad déclarant que le chef du contre-espionnage iranien était lui-même un agent du Mossad) et que les mouvements qui lui sont inféodés ont été déstabilisés par les récents évènements survenus au mois de septembre au Liban (surtout l’opération des bipeurs piégés et la décapitation de la direction militaire et politique du Hezbollah).
À Washington, les Américains ne sont pas sur la même longueur d’onde. J’avais écrit dans mon texte de la semaine dernière: «Les États-Unis soutiendront l’attaque israélienne contre l’Iran qui se prépare non pas seulement par solidarité avec Israël mais aussi pour un objectif stratégique bien déterminé qui n’est pas de faire tomber le régime iranien mais de l’affaiblir pour qu’il soit le plus faible possible dans les négociations du prochain deal et pour que les États-Unis soient en position de force. Les Américains utilisent toujours les crises et les tensions non pas pour les résoudre mais pour les instrumentaliser à leur profit.»
Hier mercredi 9 octobre 2024, lors de l’entretien téléphonique Biden-Netanyahu, le président américain a demandé au Premier ministre israélien de bombarder des sites militaires et non pas nucléaires ou pétroliers. À moins d’un mois de l’élection présidentielle américaine, attaquer les sites pétroliers c’est faire flamber les prix du pétrole avec tout ce que cela peut avoir comme incidences pas uniquement sur le prix à la pompe mais aussi sur les produits dérivés et donnera lieu à une inflation mondiale qui aura des conséquences déstabilisatrices sur plusieurs régimes mais aussi sur des gouvernements occidentaux.
Faire tomber le régime théocratique iranien
Ne pas viser les sites nucléaires c’est contenir la guerre car une guerre totale empoisonnera l’élection américaine et ne manquera pas de cramer la candidature de Kamala Harris au profit de Donald Trump qui, la semaine dernière, a appelé les Israéliens à frapper en priorité les sites nucléaires iraniens et après, s’occuper du reste. Le ton est donné. S’il revient à la Maison Blanche, il sera sur la même longueur d’onde que son ami Netanyahu et le lobby sioniste américain très proche du Likoud (parti du Premier ministre pyromane) et soutiendra les tentatives de faire tomber le régime théocratique iranien par la force.
Les démocrates craignent aussi qu’une chute du régime n’enfonce l’Iran et la région dans le chaos (un Irak bis après 20 ans) mais étant plus fourbes que les républicains, ils ont une autre raison qui les amène à vouloir éviter la chute du régime iranien indépendamment du contexte électoral, économique et sécuritaire. Pour eux le régime iranien a un rôle fonctionnel dans le Moyen-Orient. Si demain il tombe et qu’il est remplacé par un pouvoir qui entretiendra des rapports amicaux et respectueux avec les pays arabes et surtout ceux du Golfe basées sur le bon voisinage, quid alors du rôle protecteur des Américains pour ces pays? Ce rôle disparaîtra et avec lui la dépendance aux États-Unis.
Le régime iranien doit se maintenir pour les démocrates afin que la menace iranienne sur le monde arabe se maintienne et pour que les États arabes et surtout ceux du Golfe aient toujours besoin des Américains.
Les démocrates veulent seulement conclure un deal avec les Iraniens qui garantisse la sécurité d’Israël, empêche ce régime d’être le maître du Moyen-Orient et en même temps le maintenir en vie pour son rôle fonctionnel vis-à-vis du monde arabe.
Chacun ses desseins, ses calculs et ses intérêts
Côté iranien, ils sont conscients qu’ils jouent gros. Le week-end dernier Abbas Araghtchi, ministre iranien des Affaires étrangères, était à Beyrouth et a dit aux responsables libanais que l’unité des fronts (wihdat al sahat) se poursuivra et n’était pas négociable. Autrement dit, tant qu’à Gaza la guerre se poursuit, elle se poursuivra au Liban et il n’y aura pas de cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah. Chose qui a irritée les responsables libanais, que ce soit le Premier ministre Najib Mikati ou Nabih Berri, président du Parlement et principal protagoniste avec son parti Amal du tandem chiite Amal-Hezbollah.
Les responsables libanais souhaitent le cessez-le-feu et l’application de la résolution 1701 (recul des forces du Hezbollah derrière la rivière Litani et son remplacement par l’armée libanaise). L’arrêt de la guerre est une urgence étant donné que le Liban accueille déjà plus de deux millions de Syriens et en plus la guerre actuelle a fait 1,5 million de déplacés libanais. Une situation explosive dans un très petit pays, qui plus est, confessionnel où les tensions entre communautés sont redoutées sans parler de la crise socio-économique qui secoue le pays depuis des années et le rend incapable de supporter les conséquences d’une guerre.
La république islamique pense à ses calculs et ne veut pas d’un cessez-le-feu au Liban car cela veut dire qu’Israël va se concentrer militairement uniquement sur… l’Iran. Lequel compte beaucoup sur ses «boucliers arabes» à Gaza, au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen pour prendre les coups à sa place.
Chacun ses desseins, chacun ses calculs, chacun ses intérêts. Sauf les Arabes, qui continuent de subir les desseins, les calculs et les intérêts des autres.
Ça sera un mois décisif où beaucoup de choses vont se passer jusqu’au mardi 5 novembre 2024, date de l’élection présidentielle américaine.
Juriste.
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