En matière d’inflation, il est un fait qu’il existe un décalage, voire une contradiction même, entre ce qu’affirment les responsables de la Banque centrale de Tunisie (BCT), à savoir que le rythme de l’inflation ne cesse de diminuer d’un mois à l’autre et qu’elle n’a pas dépassé pour le dernier mois 6,7% en glissement annuel, et le vécu d’un chef de famille qui, avec le même salaire nominal et le même nombre de personnes à charge, éprouve de plus en plus de difficultés à boucler ses fins de mois, ou la ménagère qui se rend tous les jours au marché ou à l’épicier du coin et rentre avec un couffin de plus en plus vide pour le même budget de dépenses. Qui a tort et qui a raison, les responsables de la BCT ou le chef de famille et la ménagère ? Explications…
Dr Sadok Zerelli *
L’objectif de cet article étant avant tout didactique visant à améliorer un tant soit peu la culture économique de l’opinion publique et vulgariser un certain nombre de concepts économiques, je commencerai par définir le concept même d’inflation : il s’agit de l’accroissement d’une période à l’autre du niveau des prix de TOUS les biens et services produits ou échangés dans une économie, qu’ils soient d’origine locale ou étrangère.
Mesure de l’inflation
Même si la définition de l’inflation est simple, toute la difficulté réside dans comment la mesurer. Pour cela, il existe essentiellement deux instruments de mesure, dont la signification et la méthodologie de calcul sont fort différentes : l’Indice des prix à la consommation (IPC) établi et publié par l’Institut national de la statistique (INS) et le déflateur du PIB, un agrégat macroéconomique établi par la Comptabilité nationale. Il existe un troisième instrument, qui est l’indice des prix industriels, basé sur les prix de gros, alors que les deux autres indices sont basés sur les prix de détail, marges des revendeurs incluses.
L’IPC est le plus connu du grand public parce qu’il est censé mesurer l’évolution du pouvoir d’achat des ménages et sert comme base de négociation entre le patronat et les syndicats pour les augmentations salariales. Il est calculé et publié régulièrement par l’INS sur la base du «panier de la ménagère», une liste de produits et de services qu’un ménage tunisien moyen est censé consommer durant une période de temps donnée. Cette liste qui comprend, de source INS, 243 produits et services de consommation courante, devrait être actualisée par des enquêtes de consommation que l’INS est censé réaliser tous les dix ans.
La première difficulté d’ordre méthodologique qui limite la signification de l’IPC en tant qu’instrument de mesure de l’inflation réelle est qu’il s’agit d’un ménage moyen au sens statistique du terme, qui ne correspond en fait à aucun ménage vivant en Tunisie.
La deuxième difficulté d’ordre méthodologique aussi est de pouvoir définir ce qui est un produit ou service de consommation courante et ce qui est de consommation exceptionnelle (à ce sujet, les lecteurs de ma génération qui ont vécu en France au milieu des années 1970 se rappellent le scandale qui a failli renverser le gouvernement de Giscard d’Estaing parce qu’un journaliste du Canard Enchaîné avait découvert que dans le «panier de la ménagère» établi par l’INSEE figure le caviar, un produit extrêmement cher que seule une infime minorité de Français ont les moyens de consommer!).
La troisième limite de l’IPC en tant qu’instrument de mesure de l’inflation réelle est que les habitudes de consommation des ménages évoluent avec le temps, sous l’effet de l’élévation du niveau de vie, de la mode et du matraquage publicitaire notamment. Ainsi, certains produits ou services disparaissent de la consommation d’un ménage moyen au profit de nouveaux qui n’existaient pas auparavant. Par exemple, on trouve encore dans le panier de la ménagère établi par l’INS, le prix d’entrée à un bain maure, un service que de moins en moins de ménages utilisent depuis que la plupart d’entre eux disposent de salles de bains chez eux. Par contre, on n’y trouve pas le prix d’une minute de communication téléphonique par GSM ou le prix d’un Giga de débit Internet, de nouveaux services qui sont apparus depuis que l’INS a établi son fameux panier de la ménagère.
La quatrième limite est que l’IPC ne prend en compte que les produits et services consommés par les ménages, à l’exclusion de ceux consommés par d’autres agents économiques et notamment les producteurs. Par exemple, on y trouve le prix d’un KWh de courant 220 volts mais pas celui du courant de 380 volts utilisé essentiellement par les industriels. De même, on n’y trouve pas, par exemple, le prix d’une tonne d’aliments pour bétail, ou de fertilisants ou de semences etc., dont l’accroissement est à l’origine de l’augmentation des prix des produits agricoles et d’élevage. Il en est de même des prix des matières premières et produits semi finis utilisés par les industriels qui expliquent l’accroissement de leurs coûts de production et donc de leur prix de vente et qui ne sont pas pris en compte par l’IPC.
Mais la limitation la plus importante de la signification de l’lPC en tant qu’instrument de mesure de l’inflation réelle qui se produit en Tunisie provient des poids arbitraires qui sont affectés par l’INS à chaque bien et service et qui sont censés refléter son importance relative dans le budget de consommation d’un ménage moyen. Ainsi, à titre d’exemple, le pain et les pâtes, dont les prix sont subventionnés et donc restent relativement stables, sont affectés d’un poids de 30%, ce qui tire vers le bas le résultat final de l’IPC, malgré l’augmentation considérable des prix d’autres produits alimentaires essentiels pour l’équilibre alimentaire tels les viandes rouges ou blanches, les poissons, les fruits, etc.
En résumé, on peut dire que l’IPC constitue un instrument de mesure de l’inflation partiel et biaisé dans sa méthodologie de calcul même. Se baser là-dessus pour affirmer que le rythme de l’inflation a baissé d’un mois à l’autre, comme le fait la BCT qui base même son taux directeur sur l’évolution de cet indice, relève d’un abus de sa part de la faible culture économique du public tunisien et de sa méconnaissance de ces méthodologies de calcul que seuls les spécialistes en la matière connaissent.
N’empêche qu’à priori, on ne peut que donner raison au chef de famille et à la ménagère qui n’ont pas besoin de méthodologies de calcul sophistiquées pour mesurer l’inflation, le poids de leurs couffins pour le même budget de dépenses étant le meilleur instrument de mesure de l’inflation réelle !
En effet, qui pourrait croire, à l’exception des membres du CA de la BCT qui décident de la politique monétaire du pays sur la base du suivi de cet indicateur, que le taux d’inflation n’a pas cessé de baisser d’un mois à l’autre et n’a pas dépassé durant le dernier mois 6,7% en glissement annuel, lorsqu’on sait que le prix d’un litre d’huile d’olive a atteint 25 dinars dans un pays qui en est le troisième producteur mondial, ou que le kilogramme de sardines (poisson du peuple) a atteint 14 dinars dans un pays qui dispose de 1200 kilomètres de côtes maritimes, ou que tous les fruits sont introuvables à moins de 7 dinars le kilogramme dans un pays où l’agriculture occupe la première place dans l’économie?
Le déflateur du PIB
Le deuxième instrument de mesure de l’inflation est le déflateur du PIB. Par définition, il est égal au PIB d’une année aux prix courants divisé par le PIB de la même année calculé aux prix d’une année de base. Il est établi par la Comptabilité nationale, ainsi que d’autres agrégats économiques, selon des règles comptables rigoureuses qui ont fait même l’objet d’une résolution des Nations unies afin de s’assurer que tous les pays appliquent les mêmes règles de calcul et que certains ne trichent pas pour bénéficier davantage d’aide au développement (on se rappelle tous du scandale de la Grèce qui a bénéficié d’une aide substantielle à l’occasion de son entrée dans l’UE sur la base d’agrégats économiques faussés …). C’est de loin le meilleur instrument de mesure de l’inflation générale qui se produit dans un pays pour au moins deux raisons :
- la première est qu’il prend en compte les prix de tous les biens et services produits ou consommés ou importés ou exportés par tous les agents économiques;
- la deuxième est que le prix d’un bien ou d’un service est pondéré par les quantités réelles produites ou échangées de ce produit et non pas par des poids fixés arbitrairement par l’INS.
Cet indicateur de l’inflation générale est suivi par les planificateurs, les décideurs de la politique économique et monétaire du pays, les bailleurs de fonds et les agences internationales de notation pour analyser les équilibres structurels de l’économie, ses points forts et ses points faibles et ses potentialités de développement.
Pourquoi faut-il lutter contre l’inflation ?
Cet article serait incomplet et n’aurait pas de valeur ajoutée réelle s’il n’aborde la question que tout un chacun est en droit de se poser : comment lutter contre l’inflation ? Cette question doit être précédée une autre tout aussi importante : faut-il lutter contre l’inflation et si oui pourquoi? Après tout, on pourrait très bien s’en accommoder, si les salaires augmentent en parallèle pour préserver le pouvoir d’achat des ménages.
Sans rentrer dans des développements théoriques difficiles à comprendre pour un lecteur non spécialiste, et sans utiliser un jargon trop technique, la réponse à la dernière question est affirmative pour au moins quatre raisons :
- la première est que l’inflation réduit le pouvoir d’achat et donc le niveau de vie de la population, à moins que le niveau des salaires ne soit indexé sur le niveau de l’inflation, mesure qu’il est difficile de prendre en pratique, en raison de son impact sur le budget de l’Etat et les charges d’exploitation des entreprises;
- la deuxième est que l’inflation réduit également la compétitivité des entreprises nationales et donc aggrave le déficit de la balance commerciale;
- la troisième est qu’elle engendre une dépréciation du dinar et affecte négativement sa parité par rapport aux devises étrangères qui dépend, entre autres, du différentiel d’inflation avec les pays partenaires du commerce extérieur;
- la quatrième raison et de loin la plus importante : les économistes démontrent qu’il existe une relation indirecte entre le taux d’inflation et le taux de chômage (Courbe de Phillips). En clair, si l’inflation persiste à niveau supérieur à celui des pays partenaires de notre commerce extérieur, de plus en plus d’emplois seront détruits et la Tunisie se transformera en un vaste marché de consommation pour les exportateurs étrangers.
Responsabilité de la BCT dans la lutte contre l’inflation
En matière de politique de lutte contre l’inflation, il est à relever que la loi de 2016 qui accorde son indépendance à la BCT, en lui attribuant comme première mission la lutte contre l’inflation, l’a détournée de sa vocation initiale et universelle.
En effet, la lutte contre l’inflation n’est pas du ressort exclusif de la BCT et relève de tous les départements ministériels, chacun dans son secteur d’activité, en vue de favoriser l’accroissement de la production et réduire les pénuries de produits (première source d’inflation), améliorer la productivité et la maîtrise des coûts de production (deuxième source d’inflation), assainir les circuits de distribution et lutter efficacement contre la spéculation (troisième source d’inflation). Une autre source d’inflation non négligeable, l’inflation importée par le biais de notre commerce extérieur, échappe au contrôle de tous, gouvernement et banque centrale inclus.
D’autre part, selon tous les manuels universitaires d’économie monétaire et dans tous les pays du monde, une banque centrale remplit trois fonctions essentielles pour le financement d’une économie, qui sont par ordre d’importance et de responsabilité, celles :
– d’un Institut d’Émission : c’est même le nom originel d’une banque centrale. A ce titre elle fabrique et met en circulation la monnaie fiduciaire (billets et pièces de monnaie) et veille à la défense de sa valeur par rapport au stock d’or et de devises qu’elle détient dans ses coffres;
– d’une autorité de tutelle des banques commerciales : en tant que telle, elle doit veiller à ce que chaque banque commerciale respecte un certain volume de réserves obligatoires et de ratios prudentiels afin que le système bancaire dans son ensemble rester solvable. Autrement, si une seule banque s’avère défaillante et fait faillite, c’est l’ensemble du système bancaire qui repose uniquement sur la confiance des agents économiques qui s’écroulera;
– d’une Banque des banques : lorsqu’ une banque commerciale accorde un crédit à l’un de ses clients, elle se précipite au marché monétaire pour céder ce nouveau titre de créance à la banque centrale, qui, moyennant une commission, crédite le compte de cette banque détenu chez elle, lui permettant ainsi de reconstituer presque immédiatement ses liquidités (dans le jargon des banquiers, cela s’appelle le processus de refinancement).
C’est seulement en troisième position et en accomplissant cette dernière mission que la responsabilité de la BCT dans la lutte contre l’inflation se trouve engagée. En effet, elle doit veiller, à travers les opérations d’open market auxquelles elle se livre tous les jours sur le marché monétaire, à ce que le volume de la masse monétaire en circulation soit suffisant pour répondre aux besoins de financement de tous les agents économiques, sans dégager trop de liquidités pour ne pas créer de pressions inflationnistes. En faire la première mission de la BCT et ignorer ses autres fonctions régaliennes universelles, comme le fait la loi de 2016, dénote l’ignorance des députés qui ont voté cette loi.
Mesures politiques
La conclusion à cette analyse de l’inflation en Tunisie, que certains lecteurs trouveront peut-être trop technique, ne peut être que politique, sachant que jusqu’aux années 1950, l’économie en tant que discipline universitaire s’appelait «économie politique».
A ce sujet, il est permis de penser que maintenant que le président Kaïs Saïed a été réélu avec 90,6 % des voix exprimées, soit environ 2,5 millions de Tunisiens qui ont voté pour lui, il dispose d’une légitimité que personne ne peut lui contester. A ce titre, il a les coudées franches pour mettre en œuvre une politique économique et monétaire audacieuse pour remettre l’économie du pays sur les rails de la croissance et rétablir ses équilibres structurels, d’autant plus que la constitution de 2022 qu’il a élaborée lui-même à sa mesure lui accorde tous les pouvoirs en la matière.
Dans ce domaine politique, il est à remarquer que tous les présidents élus ou réélus dans les pays démocratiques entament leur nouveau mandat par des mesures phares destinées à marquer leur quinquennat. Cela peut être une mesure d’amnistie de tous les prisonniers politiques, ou un programme choc pour résorber le chômage et relancer la croissance économique ou une stratégie pour maîtriser l’inflation et rétablir les équilibres macroéconomiques de base.
Sans m’aventurer sur le terrain miné de l’amnistie des prisonniers politiques, qui est une question éminemment politique qui relevant de sa seule compétence, je resterai confiné dans mon domaine de la politique économique et monétaire, pour lui recommander deux mesures à prendre en urgence par simples décrets présidentiels.
D’abord abroger la loi d’indépendance de la BCT de 2016, votée par des députés ignorants des mécanismes de base de financement d’une économie.
Ne s’improvise pas économiste qui veut, comme ne s’improvise pas ingénieur ou médecin ou juriste qui veut. Chaque professeur a sa propre formation universitaire de base, ses propres problématiques et ses propres méthodes d’analyse.
En détournant la BCT de sa vocation universellement reconnue, en confondant entre autonomie administrative et financière et autonomie de décision et en créant pratiquement un Etat dans l’Etat où le gouverneur et les membres du CA de la BCT n’ont de compte à rendre à personne et peuvent préserver dans leur erreur d’appréciation des causes et remèdes de l’inflation, cette loi a fait beaucoup de torts à l’économie nationale et à tous les opérateurs économiques qui en payent le prix fort sous forme de taux d’intérêt de «l’enfer» (selon le jargon des banquiers eux-mêmes).
Il est de temps de faire le bilan de cette loi et de la politique des taux directeurs menée par la BCT, puisque l’inflation n’a jamais retrouvé son niveau d’avant 2017. Quelle autre preuve faudrait-il de plus pour démontrer que cette loi est inadaptée au contexte tunisien et que les gouverneurs de la BCT, l’ancien comme le nouveau qui poursuit dans la même politique que son prédécesseur, font fausse route ?
Ensuite, baisser le taux directeur de la BCT de plusieurs points.
L’argument le plus évoqué par l’ancien gouverneur dans ses interviews (le nouveau n’en donne pas, ainsi personne ne pourra le critiquer !) pour justifier l’augmentation continue du taux directeur depuis 2017 et son maintien à un taux aussi élevé que 8% dans une économie qui fait à peine 1% de croissance économique, est que le taux d’intérêt réel doit être positif. Ce faisant il donne une définition erronée du taux d’intérêt réel qui, selon lui, est la différence entre le taux de l’inflation et le taux directeur de la BCT. En vérité et selon tous les manuels universitaires d’économie monétaire, le taux d’intérêt réel qui doit être effectivement positif pour que l’équilibre monétaire corresponde à l’équilibre réel dans une économie de marché (modèle IS/LM), est la différence entre le taux d’inflation et le taux de rémunération de l’épargne.
En effet, tant que ce taux est négatif (le taux de rémunération de l’épargne est inférieur au taux d’inflation), aucun agent économique rationnel n’a intérêt à épargner et l’économie se retrouve dans ce que les économistes appellent la «trappe» monétaire. C’est la situation dans laquelle se trouve l’économie de la Tunisie où le volume de l’épargne nationale ne dépasse plus 6% du PIB (contre 27% en 2010), ce qui bloque les investissements et la création d’emplois, faute de ressources financières pour les financer.
Un autre argument avancé toujours par l’ancien gouverneur est que c’est le FMI qui impose à la BCT cette politique du taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation. A ce sujet, il faut noter que s’il est vrai que cette politique des taux directeurs a donné de bons résultats dans des pays développés tels que les Etats-Unis ou la France où l’inflation a été ramenée à 2% après avoir frôlé les 10%, elle s’avère totalement inefficace en Tunisie à cause de l’accélération de la vitesse de circulation de la monnaie dans l’économie souterraine où les transactions se font majoritairement en espèces, ce qui annule l’effet du taux directeur sur la masse monétaire (voir mon article publié dans Kapitalis : Le maintien du taux directeur de la BCT : une décision irresponsable). Dans ce sens, le président Kaïs Saïed a eu bien raison de rejeter les «diktats» du FMI qui préconise les mêmes recettes pour tous les pays sans tenir compte de leurs spécificités
Mais que le FMI a raison ou pas et que la BCT a eu raison de suivre ses recommandations ou pas, il est un fait que la plupart des pays de taille et à économie similaire à celle de la Tunisie appliquent des taux directeurs nettement inférieurs au nôtre, de l’ordre de 3% à 4% : Maroc, Jordanie, Sénégal, Rwanda, etc. Ces pays réalisent depuis des années des taux de croissance économique de l’ordre de 5% ou même 7%, à faire pâlir de jalousie les responsables de notre économie. Or, dans le domaine du développement économique, comme dans tous les domaines de la vie, «celui qui n’avance pas recule» et ces pays sont en train de rattraper et même dépasser notre économie grâce à une meilleure gouvernance économique.
Une économie à la merci des décisions opaques de la BCT
Enfin, un dernier argument pour faire baisser par une décision présidentielle le taux directeur de la BCT de 3 à 4 points et le ramener à un niveau comparable à celui des pays concurrents à économie similaire : il n’est pas normal que la fixation d’un paramètre aussi important pour l’équilibre macroéconomique et les performances de l’économie tunisienne, soit laissé à la discrétion d’une douzaine de membres du CA de la BCT, nommés d’une façon opaque et sans s’assurer qu’ils ont la formation économique approfondie et suffisante pour prendre une décision aussi complexe sur le plan technique et aussi déterminante pour les performances de l’économie.
Pour le Gouverneur de la BCT, se cacher derrière la décision anonyme de son CA, annoncée par un bref communiqué laconique de quelques lignes, est une façon de se dérober à ses responsabilités. A ce sujet, on ne peut être que déçu, et je le suis personnellement, que le changement à la tête de la BCT n’a pas entraîné un changement de sa politique monétaire puisqu’elle vient de décider de maintenir le taux directeur à 8%.
Il faut dire à la décharge du nouveau gouverneur que n’étant pas un spécialiste d’économie monétaire (selon sa bibliographie officielle publiée par les médias, sa thèse de doctorat a porté sur l’économie énergétique, un domaine de spécialité très éloigné de l’économie monétaire qui est vraiment une discipline à part dans les sciences économiques), il ne peut maîtriser les différentes théories économiques de lutte contre l’inflation et ne peut que reconduire la politique passée, même si le simple suivi de l’évolution de l’inflation depuis 2017 prouve qu’elle a complètement échoué à maîtriser l’inflation qui demeure élevée. C’est dommage pour les opérateurs économiques qui s’attendaient à mieux et pour cette Tunisie que nous aimons tous et qui mérite mieux.
Post Scriptum :
Suspendre par décret présidentiel l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les chèques prévue en Janvier 2025.
Puisque je suis dans le chapitre des recommandations au président de la république, je saisis l’occasion de la conclusion à cet article pour lui faire cette troisième recommandation, qui ne relève pas directement de la lutte contre l’inflation, mais des instruments de financement de l’économie.
Sans rentrer dans les détails de cette loi votée et promulguée à la hâte (voir mon article à ce sujet publié dans Kapitalis : De l’incohérence de la nouvelle loi sur les chèques), il est certain qu’elle va bouleverser le monde des affaires, rendre la vie encore plus difficile aux ménages et mettre en péril l’ensemble du système bancaire même.
En effet, compter sur les virements bancaires, qui ne sont point possibles en dehors des horaires d’ouverture des banques, ou sur les paiements par carte bancaire ou monnaie digitale pour remplacer les paiements par chèque est irréaliste, compte tenu du faible nombre de Tunisiens qui disposent et savent même utiliser ces nouveaux moyens de paiement électroniques.
En particulier, l’obligation qui y est faite aux banques d’honorer sous 7 jours ouvrables le paiement des chèques d’un montant inférieur ou égal à 5000 dinars, même si le client ne dispose pas d’une provision suffisante et refuse d’approvisionner son compte, va entraîner des pertes énormes à celles-ci qu’elles vont devoir recouvrer d’une façon ou d’une autre.
L’aversion au risque des banques étant bien connue, elles seraient capables d’exiger de leurs clients des garanties réelles sous forme d’hypothèques sur des maisons ou des voitures ou tout autre actif réel avant de leur délivrer un chéquier, alors qu’il s’agit pour ces clients de dépenser leur propre argent qu’ils ont eux-mêmes déposé dans leur compte! Cette situation aberrante risque d’entraîner des retraits massifs en espèces qui mettront en péril l’existence même des banques.
A cause de quelques milliers de clients malhonnêtes qui émettent des chèques en bois, priver des millions de clients honnêtes, et en particulier les commerçants et les PME, d’un moyen de paiement aussi pratique et vital pour leurs activités de tous les jours est ni juste vis- à-vis des clients qui n’émettent des chèques que dans les limites de leurs provisions ni conforme à la recherche de l’efficacité économique.
Dépénaliser l’émission de chèques sans provision est une chose et tuer le chèque en tant que moyen de paiement universellement utilisé en est une autre.
Il y va de la survie du système bancaire et de la vie de milliers d’entreprises et des millions de travailleurs qu’elles emploient.
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