Un film ça impressionne ou ça laisse de marbre. Mais lorsqu’un film nous interpelle profondément et nous installe dans un grand malaise, c’est que la force du récit et la vérité de l’image se sont saisies de notre âme et de notre esprit pour nous mettre face à «la» vérité humaine. ‘‘Les enfants rouges’’ de Lotfi Achour appartient à cette catégorie de films qui bousculent et marquent.
Abdelhamid Largueche *
Le film se présente comme une tragédie grecque déroulant des paysages, des voix et des cris, mais les images sanglantes finissent par nous prendre aux tripes et nous faire trembler, individuellement et collectivement.
Dans le contexte de l’instabilité sécuritaire qui a régné en Tunisie dans les années 2012-2017, deux enfants, Ashraf (14 ans), Nizar (16 ans) font paître paisiblement leur troupeau dans la montagne de Mghila. Ils s’amusent au sommet d’un djebel aux roches sèches et arides sous un soleil de plomb lorsqu’ils sont victimes d’une attaque terroriste. Nizar est sauvagement décapité tandis qu’Achraf est sommé de rapporter la tête de la victime à sa famille… dans un sac.
Le film est une plongée dans la psychologie de l’enfant traumatisé, qui ne peut surmonter le drame qu’il a vécu et s’en trouve fortement bouleversé.
A travers l’évocation des séquelles de ce traumatisme qui laisse des traces indélébiles chez le survivant du drame, le réalisateur interpelle la société tout entière en désignant ses limites morales et politiques. Son verdict sans appel interpelle profondément nos consciences meurtries. Et tout concours au procès où nous sommes tous des accusés : la sobriété du décor, les silences accusateurs, les regards pleins de souffrance, la misère réelle des gens contrastant avec l’inanité des discours politiques sur les plateaux de télévision, et, surtout, l’acharnement médiatique sur le corps de l’enfant décapité pris en photos et exposé à la curiosité du public.
Nizar, la «victime sacrificielle» d’un drame socio-historique qui le dépasse et auquel il est accidentellement et injustement associé, a finalement droit à une sépulture digne et à une cérémonie funèbre, simple et émouvante, qui permet à sa mère de faire enfin son deuil.
Quant à Ashraf, il fuit le lieu du drame et se réfugie dans une ville dans l’espoir d’oublier, de s’oublier et de survivre à son profond traumatisme.
Lotfi Achour, qui est parti d’un fait divers réel qui a traumatisé les Tunisiens aux prises avec l’extrémisme religieux, a réalisé là un travail de mémoire, nécessaire et urgent, mais aussi une œuvre cinématographique assez maîtrisée, qui de distingue par la spontanéité du jeu des acteurs, lesquels se fendent dans le paysage avec beaucoup de naturel et donnent au film cette force de la vérité qui fait mal.
* Historien et cinéphile.
Donnez votre avis