Donald Trump ou la recette du chaos

Combien de présidents américains se sont succédé depuis la Nakba sans qu’aucun d’eux n’ait réussi à faire régner la paix entre Israéliens et Palestiniens faute de justice. Trump prétend aujourd’hui «réorganiser» le Moyen-Orient par des coups de téléphone. Une arrogance qui coûtera cher à l’humanité tout entière.

Khemaïs Gharbi *

Lors d’une interview à bord d’Air Force One, Donald Trump a affirmé avoir félicité le roi Abdallah II de Jordanie pour son accueil de réfugiés palestiniens, tout en exprimant son souhait que la Jordanie et l’Égypte en acceptent davantage. Il a déclaré : «Je lui ai dit que j’aimerais que vous receviez plus de Palestiniens, parce que tout Gaza est dans le chaos maintenant. C’est un vrai chaos. J’aimerais qu’il reçoive des gens.» Il a ajouté vouloir s’entretenir avec le président égyptien Abdelfattah Sissi pour lui demander également d’accueillir des réfugiés.

La déclaration de Donald Trump reflète une méconnaissance des dynamiques historiques et des équilibres géopolitiques qui façonnent le monde depuis des siècles. L’idée qu’un dirigeant puisse redessiner les cartes géographiques ou déplacer des populations par de simples injonctions témoigne d’une arrogance qui a souvent conduit à des échecs retentissants dans l’histoire.

Les Palestiniens ne cèderont pas

Comment peut-on oser proposer une telle idée à un peuple qui a déjà enduré plus de sept décennies de souffrance? Depuis 1948, les Palestiniens subissent des déplacements forcés, des guerres, et des destructions massives, mais ils continuent de s’accrocher à leur terre. Ils préfèrent vivre dans des camps de réfugiés, dans des conditions souvent inhumaines, plutôt que de l’abandonner. Cet attachement viscéral à leur pays, malgré les drames accumulés, est la preuve éclatante d’une identité profondément enracinée que nul ne peut effacer.

Et aujourd’hui encore, à Gaza, un peuple voit sa terre détruite à 90%, pleure plus de 50 000 morts, compte plus de 110 000 blessés, mais refuse de céder. Ce sang versé sur leur sol est un témoignage puissant de leur enracinement, un cri au monde pour dire que cette terre est la leur depuis des siècles, malgré les tentatives incessantes de l’occupant de les en expulser. Être aveugle face à une telle démonstration de résilience est une insulte à la nature humaine, au droit international et à la justice.

Les conquérants et décideurs, s’ils ont ignoré les réalités locales, ont souvent provoqué leur propre déclin. Alexandre le Grand, malgré ses succès militaires, a vu son empire éclater après sa mort, car il n’avait pas pris en compte les identités des peuples conquis. Napoléon, en voulant imposer un nouvel ordre en Europe, s’est heurté à la résistance des nations et à l’échec de la campagne de Russie, qui a conduit à sa perte.

Plus tard, les puissances coloniales européennes ont redessiné des frontières arbitraires en Afrique et au Moyen-Orient, ignorant les divisions ethniques et tribales – un héritage qui continue d’alimenter des conflits aujourd’hui. Ces puissances ont finalement dû plier bagage, incapables de maintenir leur domination sur des populations qui refusaient de céder.

Le Troisième Reich, à son tour, a plongé toute l’Europe et le monde dans le chaos, provoquant des dizaines de millions de morts sans réaliser le moindre de ses objectifs. Au contraire, il a précipité sa propre destruction et celle de l’Allemagne.

Le déplacement forcé de populations, que ce soit pour des motifs stratégiques ou idéologiques, a également mené à des catastrophes humanitaires. Pensons au partage de l’Inde en 1947, qui a provoqué des migrations massives et des violences entre Hindous et Musulmans, ou à l’expulsion des Palestiniens en 1948, un traumatisme qui n’a jamais été réparé et qui est à l’origine du conflit actuel. Combien de présidents américains se sont succédé depuis la Nakba sans qu’aucun d’eux n’ait réussi à faire régner la paix entre Israéliens et Palestiniens faute de justice?

Une incompréhension totale des réalités du monde

La prétention qu’une seule personne, fût-elle le président d’une grande puissance, peut «réorganiser» le Moyen-Orient par des coups de téléphone est non seulement irréaliste, mais dangereuse. Les peuples enracinés sur leur territoire depuis des siècles ne peuvent être déplacés ou effacés comme des pièces sur un échiquier sans engendrer des drames humains et des déséquilibres catastrophiques.

Croire qu’une telle entreprise pourrait être menée à bien, et ce en seulement quatre ans, révèle une incompréhension totale de la nature humaine et de la profondeur des liens qui unissent les peuples à leurs terres. Les sociétés ne se transforment pas par décret, et chaque tentative de forcer le destin dans un tel délai déterminé par la force ne peut que provoquer des guerres plus graves encore.

L’histoire nous enseigne une leçon universelle : quiconque se hasarde à remodeler le monde sans en comprendre les complexités sème le chaos et finit toujours par en payer le prix. À toucher à cet équilibre fragile, c’est un effondrement généralisé qui menace, et les étincelles d’aujourd’hui pourraient allumer un incendie que personne ne saura éteindre.

* Ecrivain et traducteur.

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