La déclaration du secrétaire d’État américain aux Affaires étrangères Marco Rubio marque un tournant stratégique inquiétant. Après les propos de Donald Trump, qui prônait une déportation définitive des Palestiniens hors de Gaza, voilà que Washington tente de lisser le discours en suggérant un déplacement «temporaire». Selon lui, les habitants de Gaza devraient être «obligés d’aller vivre ailleurs» le temps de la reconstruction.
Khémaïs Gharbi *
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Ce revirement apparent laisse entendre un prétendu adoucissement de la position américaine. Mais il ne faut pas être dupe : la déclaration initiale de Trump était sans ambiguïté, il parlait d’un exil définitif, et personne n’a mal compris ses mots. Cette nouvelle formulation n’est rien d’autre qu’une tentative maladroite de maquiller un projet qui, dans les faits, reste inchangé.
Si l’objectif était réellement de permettre la reconstruction, alors pourquoi faudrait-il expulser toute la population hors de son territoire? Depuis un an, les Palestiniens de Gaza ont été contraints de fuir les bombardements en se déplaçant de ville en ville, mais toujours à l’intérieur de leur propre terre. Lorsque l’armée israélienne a détruit le nord de Gaza, la population a été repoussée vers le sud. Aujourd’hui encore, malgré les destructions, les habitants de Gaza continuent de vivre sur place, dans des conditions effroyables, mais sans jamais quitter leur terre. Cela prouve qu’un déplacement interne, le temps de reconstruire certaines zones, est tout à fait possible et cohérent avec le droit des populations à rester sur leur sol.
La reconstruction sera nécessairement progressive
Si les États-Unis étaient sincères, ils proposeraient donc une reconstruction progressive, secteur par secteur. Une telle approche permettrait aux Palestiniens de rester dans la bande de Gaza, en occupant temporairement les zones encore habitables, le temps que les quartiers détruits soient reconstruits. D’ailleurs, qui peut croire que la reconstruction de Gaza pourrait se faire en une seule fois?
Ce territoire de 364 km² ne peut être traité comme un unique chantier. Il faudra nécessairement diviser les travaux en centaines, voire en milliers de chantiers : routes, bâtiments, hôpitaux, infrastructures… Tout cela prendra du temps et devra être réalisé par étapes. Il suffit donc de laisser les habitants chez eux et de reconstruire progressivement, en relogeant les familles dans les zones achevées.
Cette approche est la seule qui garantisse le droit inaliénable des Palestiniens à ne pas être chassés de leur territoire. Mais ce n’est pas ce que propose Washington. En parlant d’un «déplacement temporaire hors de Gaza», les États-Unis mettent en place une stratégie bien connue : une fois déplacés, ces réfugiés seraient empêchés de revenir, et leur exil «temporaire» se transformerait en un bannissement définitif. Ce schéma a déjà été appliqué à maintes reprises : en 1948, en 1967, lors des guerres suivantes, et même en dehors des conflits, où l’armée israélienne expulse progressivement les Palestiniens sans leur permettre de retourner sur leurs terres.
Un nettoyage ethnique en douceur
L’argument selon lequel Gaza serait «inhabitable» ne tient pas face aux faits. Certes, les destructions massives ont rendu la vie extrêmement difficile, mais la population refuse de partir. Plus de 2 millions de personnes survivent sur cette terre malgré tout. Pourquoi? Parce qu’elles savent que partir, même temporairement, c’est prendre le risque de ne jamais revenir. C’est précisément ce qui est en jeu : forcer un peuple à quitter son territoire, puis décréter qu’il est «impossible» de les y réinstaller, et enfin, légitimer leur exil comme une «nécessité humanitaire».
Peu importe la manière dont les États-Unis tentent de présenter les choses, la vérité est limpide : ce projet vise à faire disparaître la population palestinienne de Gaza sous prétexte de reconstruction. C’est une manœuvre cynique qui s’appuie sur un faux prétexte humanitaire pour accomplir un nettoyage ethnique en douceur. Mais l’histoire a prouvé qu’aucune manœuvre, aussi rusée soit-elle, ne pourra effacer la volonté d’un peuple de rester sur sa terre. Gaza appartient aux Palestiniens, et aucun discours diplomatique ne pourra légitimer leur exil forcé.
Cette idée folle, lancée peut-être comme un ballon d’essai, est massivement rejetée par la communauté internationale. Du Brésil à l’Union européenne, en passant par la Chine et les pays arabes, de nombreux États dénoncent une proposition inacceptable qui bafoue le droit des Palestiniens à rester sur leur terre.
Les déclarations antérieures de Donald Trump, suggérant que les Palestiniens devraient être envoyés en Égypte ou en Jordanie, avaient déjà été fermement rejetées par les dirigeants arabes et palestiniens. Elles ont également été condamnées par les défenseurs des droits humains, qui y voient une tentative d’épuration ethnique à peine voilée.
Ce rejet mondial souligne une évidence : la solution ne réside pas dans l’exil forcé d’un peuple, mais dans la reconnaissance de ses droits légitimes et dans l’engagement réel en faveur d’une paix juste et durable.
* Ecrivain et traducteur.
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