Célébrer le collège Sadiki, c’est célébrer la Tunisie

Le collège Sadiki, institution emblématique de la Tunisie moderne, fête cette année ses 150 ans d’existence. Un siècle et demi d’histoire, de savoir, de formation et de contribution à l’édification de la Tunisie contemporaine. Pourtant, cet anniversaire, qui aurait dû être un événement national, est presque passé inaperçu. Une occasion manquée de rendre hommage à un établissement qui a façonné des générations de Tunisiens et de Tunisiennes qui incarne, à lui seul, une partie de l’âme et de l’histoire de notre pays.

Leith Lakhoua *

Je me souviens encore du centenaire du Collège Sadiki en 1975. J’étais alors un jeune élève à la Sadikiya Esghira, l’école primaire rattachée au collège. Cette journée restera gravée dans ma mémoire. Le président Habib Bourguiba était présent, entouré de figures emblématiques de l’éducation et de la culture tunisiennes. La cour des sports vibrait au rythme des compétitions où instituteurs et professeurs rivalisaient d’ardeur. Des chants et des activités artistiques résonnaient dans chaque coin du collège, transformant l’établissement en un lieu de fête et de fierté. Cet événement avait même été retransmis au journal télévisé de 20 heures, soulignant son importance nationale.

Cinquante ans plus tard, le constat est amer. Le 150e anniversaire de ce monument de l’éducation tunisienne est célébré dans la discrétion, presque en marge de l’actualité. Une simple conférence organisée à la Cité de la culture de Tunis, en dehors des murs du collège, semble être la seule initiative marquant cet événement.

Une cérémonie protocolaire sans grande envergure

Pourtant, quelques autres activités ont été prévues, mais elles risquent de passer tout aussi inaperçues. Une exposition modeste de photographies anciennes, une table-ronde réunissant quelques anciens élèves, et une cérémonie protocolaire sans grande envergure sont au programme.

Ces initiatives, bien que louables, ne reflètent pas l’importance historique et culturelle du collège Sadiki. Elles ne parviennent pas à capturer l’essence de ce lieu mythique, ni à mobiliser l’attention du grand public.

Comment en sommes-nous arrivés là? Comment une institution aussi prestigieuse, qui a formé des générations de dirigeants, d’intellectuels et de figures marquantes de la Tunisie, peut-elle être ainsi reléguée au second plan?

Le collège Sadiki n’est pas un simple lycée. C’est une école de vie, un symbole de l’excellence éducative et culturelle tunisienne. Ses murs racontent l’histoire de notre pays, depuis les réformes de Khaireddine Pacha jusqu’à l’indépendance et au-delà. Chaque pierre, chaque salle de classe, chaque couloir respire l’histoire et les émotions de ceux qui y ont étudié, enseigné et rêvé d’un avenir meilleur pour la Tunisie. C’est un lieu qui mérite d’être célébré avec éclat, avec la dignité qui sied à son héritage.

La responsabilité de cette célébration incombe au ministère de l’Éducation nationale, en partenariat avec le ministère des Affaires culturelles.

Ignorer une partie de nous-mêmes

Le collège Sadiki est bien plus qu’un établissement scolaire : c’est un patrimoine culturel et historique. Il est inconcevable que son 150e anniversaire ne soit pas l’occasion d’une grande manifestation nationale, mettant en lumière son rôle dans la formation des élites tunisiennes et son impact sur l’évolution de notre société.

Un pays qui ne valorise pas ses institutions éducatives, qui ne célèbre pas son passé culturel, se prive d’une partie essentielle de son identité. Le collège Sadiki est un pilier de cette identité. Il a contribué à forger l’esprit critique, l’ouverture sur le monde et l’engagement civique de milliers de Tunisiens. Ignorer son anniversaire, c’est ignorer une partie de nous-mêmes.

Il est encore temps de rectifier le tir. Pourquoi ne pas organiser une série d’événements culturels, éducatifs et historiques au sein du collège pour lui redonner la place qu’il mérite? Pourquoi ne pas impliquer les anciens élèves, les enseignants, les historiens et les artistes pour célébrer cet héritage? Pourquoi ne pas faire du collège Sadiki un lieu de mémoire et d’inspiration pour les générations futures?

Le collège Sadiki est bien plus qu’un établissement scolaire. C’est un symbole de résilience, d’excellence et d’espoir. À l’heure où la Tunisie traverse des défis multiples, il est essentiel de se rappeler les institutions qui ont contribué à bâtir notre nation.

Le 150e anniversaire du collège Sadiki pourrait être une occasion de réaffirmer notre attachement à l’éducation, à la culture et à l’histoire. Espérons que cette occasion manquée servira de leçon pour l’avenir, et que nous saurons, collectivement, rendre à cette institution la reconnaissance qu’elle mérite.

En hommage à ces 150 années, rendons au collège Sadiki sa place dans notre mémoire collective. Car célébrer Sadiki, c’est célébrer la Tunisie.

* Ancien du collège Sadiki (1972-1986).

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