L’Arabie saoudite et la construction de l’Opep arabe de l’IA

A la suite de la visite d’Elon Musk à Riyadh, l’Arabie Saoudite, via le Public Investment Fund (Pif), mène une stratégie d’investissement dans l’intelligence artificielle (IA) ambitieuse et multidimensionnelle, visant à passer d’une économie pétrolière à un leadership technologique d’ici 2030. Pour piloter cette stratégie, le Pif, qui investit massivement dans l’IA, a lancé Humain, une filiale spécialisée dans ce secteur de pointe.

Naâmen Bouhamed *

Humain prévoit de lancer un fonds de capital-risque de 10 milliards de dollars pour soutenir la croissance technologique mondiale dans le domaine de l’IA et le Pif œuvre à faire de l’Arabie saoudite un pôle mondial de l’IA, en stimulant l’innovation et en attirant les meilleurs talents dans ce secteur. 
Investir des milliards de dollars dans l’infrastructure IA sans développer de talents humains revient à construire un porte-avions… sans pilotes ni ingénieurs. Les données (McKinsey) montrent que les projets IA échouent dans 70% des cas par manque de compétences et non par manque de calcul. Cela veut dire que la bataille du siècle sera remportée par l’intelligence collective donc par l’homme et non par la puissance brute des machines.
La création d’un «Opep de l’IA arabe» pourrait être l’une des solutions pour faire de l’Arabie Saoudite le 3e pôle mondial de l’IA dernière les Etats-Unis et la Chine.
La création d’un réseau de partenariat dans les universités arabes déjà en pointe que sont déjà celles de la Tunisie et de l’Égypte, créera un véritable écosystème vertueux, ouvert à tous et donnant accès aux investissements du Pif à tout l’écosystème des startups innovantes de la région.

Alors que les États ou les blocs économiques et industriels leaders mondiaux, Etats-Unis, Chine, Europe, Russie et l’Inde, tout comme l’Arabie Saoudite, rivalisent pour investir des milliards de dollars dans des supercalculateurs et des data centers, un angle mort stratégique menace la course de l’Arabie Saoudite à la suprématie technologique : l’oubli des cerveaux qui donneront vie aux machines.

Sans investissement massif dans la formation des ingénieurs, mathématiciens et chercheurs, les infrastructures ne seront que des coquilles vides – et la bataille géo-économique du siècle pourrait être perdue d’avance.

Pourtant, comme le souligne le Dr. Pr. Yann LeCun, directeur scientifique IA chez Meta : «Un GPU coûte 10 000 dollars. Un cerveau capable de l’exploiter : 10 millions de dollars sur une carrière.»

L’Arabie Saoudite a investi plus de 500 millions de dollars dans un supercalculateur (Shaheen III). Problème : seulement 2% des chercheurs saoudiens sont qualifiés en IA. Résultat : dépendance des experts étrangers et retards chroniques.

La pénurie stratégique qui change la donne géopolitique

La Chine  forme 1,2 million d’ingénieurs IA/an via ses «Universités IA» (dont 35 dédiées).

Les États-Unis attirent 60% des talents mondiaux, avec un salaire annuel moyen de 450 000 dollars chez OpenAI. Meta vient d’offrir entre 30 à 100 million de dollars de salaire sur 3 ans aux meilleurs ingénieurs et chercheurs IA!

L’Europe compte 70 000 postes non pourvus en IA en 2025 (étude McKinsey) malgré ses importantes  infrastructures. Conséquence : un data center européen est 40% moins productif qu’un équivalent américain par manque d’experts (rapport EU Tech).

La limite des infrastructures sans expertise humaine

Des «cathédrales vides» : des supercalculateurs ou data centers ultrapuissants restent inutiles sans 1- des cerveaux capables de concevoir des algorithmes innovants ; 2- des chercheurs pour repousser les limites théoriques ; 3- des ingénieurs pour optimiser l’exploitation ; 4- des développeurs pour créer des applications pertinentes

Exemple concret : un centre de calcul dédié au LLM (comme ceux d’OpenAI) consomme des mégawatts… mais sa valeur provient à 90% des chercheurs qui ont entraîné les modèles et résolu des problèmes complexes comme l’alignement ou l’inférence efficace.

Comment bâtir l’écosystème humain ?

Il s’agit, concrètement, de lancer «Beit Al-Hikma» du 21e siècle (à l’instar de celle de Bagdad au 12e siècle) à Riyadh en ce 21e siècle.

1- Une révolution éducative : intégrer les mathématiques du Deep Learning dès le lycée et tripler les masters spécialisés (exemple : programme «AI for Humanity»).

2- Des partenariats industrie-universités sur le modèle allemand : Fraunhofer Society (R&D appliquée).

3- Une attractivité d’urgence en délivrant des visas IA accélérés (comme le French Tech Visa) et en créant des centres de recherche trans-disciplinaires (IA + santé/écologie/agriculture/ industries/éducation…).

Le grand enseignement

«Construire des data centers sans former de talents, c’est comme offrir un violon Stradivarius à un enfant sans professeur de musique : l’instrument restera muet», a déclaré le professeur Fei-Fei Li de l’Université de Stanford. Car la vraie bataille ne se gagne pas avec des puces, mais avec des cerveaux. Les pays qui l’auront compris feront de leur jeunesse le premier budget de souveraineté du siècle.

Un pays qui investit dans des GPU sans former de spécialistes va devoir 1- importer des compétences à prix d’or ; 2- sous-utiliser ses infrastructures ; et 3- dépendre technologiquement de l’étranger.

Les chiffres clés et les engagements financiers

Fonds publics : → 40 milliards de dollars alloués à l’IA via le fonds souverain Pif en 2024. → 1,2 milliard de dollars pour l’initiative «Saudi Data and AI Authority» (SDAIA).

Projets structurants : → Neom: 500 millions de dollars pour laCognitive City alimentée par IA. → Kaust(Université des Sciences) : 200 millions de dollars/an pour la recherche en IA.

Les axes stratégiques majeurs

a) Infrastructures physiques :

  • supercalculateurs : → Shaheen III (7e mondial en puissance) dédié à la R&D IA. → Cloud souverain : partenariat avec Alibaba Cloud (Dammam Data Hub);
  • centres d’excellence : → National Center for AI (Riyad) : 10 000 GPU NVIDIA. → AI Garage à Kaust: incubation de 120 startups.

b) Formation & attraction de talents

  • Saudi AI Scholarships : → Bourses pour 5 000 étudiants dans des universités Ivy League. Mais l’Arabie Saoudite devrait investir dans les universités arabes en priorité
  • Ville «Éducation» à Qiddiya : → Campus dédié à l’IA en partenariat avec l’Université de Stanford et le Massachusetts Institute of Technology (MIT).

La Tunisie et l’Egypte peuvent être aussi des partenaires de haute expertise de formation.

  • Salaire Premium : → +70% par rapport au marché pour les experts IA (ex : 450 000 dollars/an). Des visas ouvert Saudi-Tunisia ou Saudi-Egypt pourront offrir des milliers de talents aux 3 pays et valoriser la chaine des valeurs 100% arabe et multilingue.

c) Investissements internationaux

  • Partenariats clés : → 1 milliard de dollars dans SenseTime (Chine) pour l’IA visuelle. → 2 milliards de dollars dans le fonds Prosperity7 (VC de Aramco).
  • Acquisitions : → rachat de la société de robotique UISEE (Chine) en 2023.
  • Dépendance aux expatriés : + 85% (OCDE 2024).
  • Pénurie locale : seulement 2 500 ingénieurs IA saoudiens formés/an.
  • Contraintes culturelles : limites sur l’utilisation des données personnelles.
  • Concurrence régionale : les Émirats arabes unis (G42, Falcon AI) sont plus avancés en écosystème d’infrastructure.

Les perspectives critiques

«L’Arabie Saoudite achète des cartes IA, mais peut-elle en écrire le code ?» lit-on dans la MIT Technology Review, 2025.

  • Succès si : → Transition réussie des «pétrodollars vers les data dollars». → Ancrage régional des talents (objectif : 40% de Saoudiens dans les projets IA d’ici 2030).
  • Risques majeurs : → «Effet mirage» : infrastructures sous-utilisées sans expertise locale. → Sanctions technologiques (tensions USA-Chine sur les puces).

Conclusion :

L’Arabie saoudite mise sur une stratégie financière agressive pour compenser son retard initial. Son atout clé reste sa capacité d’investissement massif en infrastructure, mais sa pérennité dépendra de sa capacité à : 1- sédentariser les talents internationaux; 2- accélérer la formation locale ou en partenariat avec les pays arabes (Tunisie, Egypte…) ; 3- diversifier les applications au-delà du pétrole (santé, logistique, agritech, éducation, tourisme…).

La réussite transformerait le royaume d’Arabie en puissance IA incontournable entre l’Asie et l’Occident. L’échec créerait un «musée technologique» à grande échelle.

Avec quel pays arabes et musulmans l’Arabie Saoudite pourrait-elle construire des partenariats de formation en IA et construire un écosystème à haute valeur ajouté? IA Arabe : Tunisie, Maroc, Egypte, Jordanie ou encore Algérie! Sinon IA «halal» : Malaisie, Indonésie…

1. Tunisie : 1er réservoir de talents en Afrique

  • Pourquoi ? → Meilleur ratio qualité/coût des ingénieurs IA arabes → Expertise en R&D.
  • InstaDeep (part of BioNTech): Tunis-born AI firm solving industrial challenges (e.g., logistics, biotech).
  • DeepArt: AI-powered creative tools.
  • Tilli: Child-focused AI educational platforms.
  • Datavora (Tunis/Paris) AI-powered e-commerce intelligence (pricing, competitor tracking.
  • Welov :AI video analytics for retail (customer behavior tracking).
  • DeepArt (now part of Eyesee): Visual AI for art generation & brand marketing.

Key Research Institutions in Tunisia :

  • CES Lab (University of Sfax): Specializes in AI, NLP, and computer vision.
  • Riadi Lab (Ensi, Manouba) focuses on machine learning and big data.
  • Soie Research Group (ISG Tunis): works on AI-driven decision systems.

2. Égypte : le marché et la main-d’œuvre

  • Pourquoi ? → Plus grand bassin de diplômés Stem du monde arabe (150 000/an) → Marché domestique de 110 millions de consommateurs.

Quelques leaders :

  1. Rology :AI-powered teleradiology platform connecting hospitals with global radiologists.
  2. DXwand : Arabic-language AI chatbots and voice assistants for enterprises.
  3. Synapse Analytics :end-to-end AI solutions for finance, retail, and healthcare.
  4. DeepVision AI : computer vision for retail security, shelf analytics, and industrial automation

Rising innovators & startups :

  1. Shaghalni (AgriTech) : AI for farm management (satellite imaging + IoT sensors for crop/pest monitoring).
  2. Kencorp AI : HR tech using AI for recruitment, employee sentiment analysis, and retention.
  3. Valify Solutions :AI-driven document processing (contracts, invoices, IDs) with Arabic/English OCR.
  4. DilenyTech (HealthTech) : AI platform for mental health screening (voice/text emotion analysis).

Modèle gagnant : l’Opep arabe de l’IA

«Comme le pétrole dans les années 1960, les données arabes sont une ressource stratégique. Leur valorisation nécessite une alliance des cerveaux et des capitaux», lit-on dans le rapport PwC Middle East 2025.

Impact Attendu : 1- réduction de la fuite des cerveaux de 40% dans les pays partenaires et positionnement du monde arabe comme 3e pôle IA (derrière les Etats-Unis et la Chine et devant l’Europe) ; et 3- création de 500 000 emplois de haute technologie d’ici 2035.

Cette coalition transformerait la dépendance actuelle en souveraineté numérique collective.

* Consultant International France-Middle East, auteur de l’ouvrage Réussir l’export en Arabie saoudite.

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