La question du Tibet, territoire annexé de facto par la Chine en 1950, est loin d’être close, et risque de rebondir au gré des aléas de la politique mondiale.
Par Dr Mounir Hanablia *
La Chine a envahi le Tibet en 1950. Cette région reculée des hauts plateaux de l’Asie grande comme 5 fois la France et peuplée alors de près de 6 millions d’habitants, s’adossant à l’Himalaya qui la sépare de l’Inde, et adepte du Bouddhisme, a en réalité été toujours indépendante sous la conduite de ses chefs religieux et coutumiers dont le plus prestigieux, considéré comme une réincarnation du Bouddha, était le Dalaï Lama.
Il y eut certes deux traités. Le premier au XVIIIe siècle faisait du Tibet un tributaire purement nominal de la Chine dominée par les Mandchous. Le second conclu à Lhassa avec les Anglais en 1904 fixait la frontière sud du pays avec l’Inde anglaise selon ce qu’on appellera la ligne Mc Mahon, en reconnaissant une suzeraineté chinoise, sera confirmé par le traité de Simla en 1913, mais le tracé frontalier ne sera jamais reconnu par les Chinois.
En 1934 lors de la Grande Marche, l’Armée Rouge lors de sa traversée de l’Est du territoire avait commis de nombreuses exactions et déprédations contre la population qui avaient laissé de mauvais souvenirs. Lors de l’avènement de la République populaire de Chine en 1949, la question de la reconnaissance du Tibet n’était toujours pas résolue.
Le territoire du Tibet annexé de facto
A partir de 1950, profitant de la guerre de Corée, la Chine envahissait le Tibet avec la construction de deux routes stratégiques au nord et au sud du pays, et finalement le pays se retrouvait sous tutelle chinoise.
Néanmoins des émissaires tibétains adressés à Pékin en 1953 pour obtenir la reconnaissance de l’indépendance de leur pays étaient obligés d’assister aux travaux de l’Assemblée populaire, en qualité de représentants provinciaux, et un traité en 19 points leur était arraché, annexant de facto le territoire au bénéfice de la Chine qui s’empressait d’administrer le pays au détriment des chefs coutumiers.
Une véritable politique de colonisation était alors pratiquée, s’efforçant d’en changer la composition ethnique, grâce à une politique d’émigration massive des Chinois. Cette sinisation s’accompagnait de la fermeture des lieux de culte tibétains et de l’interdiction de toute cérémonie évoquant une quelconque conscience nationale. Dans le même temps, l’autorité chinoise s’efforçait d’obtenir la collaboration de l’élite locale, en concédant au territoire le statut de zone autonome. Ces relations chaotiques devaient se poursuivre jusqu’en 1959 lorsque le Dalai Lama, la plus haute autorité politique et religieuse tibétaine, se réfugiait en Inde à Dharamsala dès lors qu’il devenait avéré que les autorités d’occupation cherchaient à l’éliminer.
L’annexion du Tibet a depuis le début été contestée par les instances internationales. Entre 1950 et 1990 pas moins de trois résolutions de l’Onu reconnaissaient ses droits à l’autodétermination et à l’indépendance et appelaient à respecter sa souveraineté. Mais pour le régime communiste chinois exclu de toute représentation au bénéfice de Taiwan jusqu’en 1972, elles n’avaient pas beaucoup de sens.
Avec la Révolution Culturelle à partir de 1965 les choses empiraient même, l’autonomie du territoire, purement nominale, étant supprimée. On ignore encore pourquoi la Chine a trouvé toute latitude pour occuper et annexer non seulement le Tibet mais aussi le Xinjiang, ce territoire turcophone dont la population musulmane Ouïghour fait actuellement l’objet d’une assimilation forcée, sinon d’un génocide, et qui est massivement colonisé par les Chinois de souche Han. Mais si le Xinjiang a été sciemment abandonné par la Russie alors que tout laissait à penser qu’elle l’annexerait tout comme elle l’avait fait pour le Turkestan, le Tibet est un cas différent.
Un vecteur latent d’instabilité régionale
C’est en tirant profit de la politique de solidarité asiatique du Pandit Nehru que le Tibet, un pays avec lequel l’Inde a toujours entretenu des relations étroites, a été occupé. Et si les Anglais se sont efforcés d’en garder le contrôle en en faisant un territoire tampon, Nehru a fait de l’entente avec la Chine la cheville ouvrière de sa politique, et il n’a pas réagi face aux velléités expansionnistes chinoises. Il en a même pays le prix: en 1962, quand à partir du territoire annexé l’armée Chinoise franchissait l’Himalaya, infligeait une cinglante défaite aux Indiens avant de débouler en Assam, menaçant de couper toutes les provinces de l’Est Indien, puis se retirait unilatéralement.
Aujourd’hui le Tibet n’est plus représenté que par le personnage folklorique du Dalai Lama appelant à la paix et parfois récompensé par un prix Nobel. Mais cela ne doit pas faire illusion. Le pays a certes été sinisé, et son territoire riche en minerais contribue à la prospérité de l’économie et à la puissance chinoise. Il confère à la Chine un poids géostratégique lui permettant de garder l’Inde sous pression et d’apporter à son détriment un soutien important au Pakistan.
Néanmoins en cas de conflit avec les Etats-Unis dont Taiwan serait l’enjeu, il pourrait constituer tout comme le Xinjiang une menace immobilisant d’importantes forces de l’armée populaire au détriment du théâtre d’opérations principal en mer de Chine. La question du Tibet n’est donc pas close, et risque de rebondir au gré des aléas de la politique mondiale.
* Médecin de libre pratique.
‘‘La Chine envahit le Tibet- 1949-1959’’, de de Claude Levenson, éditions Complexe, Paris, 15 janvier 1999, 116 pages.
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