Comme si les Palestiniens étaient nés pour subir toute la méchanceté, toute la cruauté et tout le cynisme de ce monde, comme si le génocide perpétré par la machine de guerre israélienne ne suffisait pas et comme si les massacres, la famine et la soif, les pénuries et les épidémies, sciemment provoqués, ne suffisaient pas à faire souffrir ce peuple, voilà que les banques ajoutent une couche de souffrance en menant la vie dure aux organisations humanitaires qui soutiennent comme elles peuvent Gaza.
Imed Bahri
Le Wall Street Journal a publié une enquête menée par Mengqi Sun dans lequel il affirme que de nombreuses organisations humanitaires internationales qui tentent d’atténuer la crise humanitaire à Gaza sont confrontées à des obstacles majeurs tels que la fermeture de leurs comptes bancaires ainsi que le gel de leurs transferts financiers depuis l’opération Déluge d’Al-Aqsa en octobre 2023.
Le journal ajoute que certaines organisations humanitaires en Europe et aux États-Unis ont été confrontées à des obstructions dans leurs transactions bancaires sans avoir reçues la moindre raison.
Le WSJ estime que les décisions prises par les banques découlent des risques auxquels elles sont confrontées dans des zones où sont actifs des groupes sanctionnés et où la destination finale de l’argent transféré n’est pas connue. Cela est également dû au manque de moyens utilisés par les banques pour enquêter sur les questions de guerre.
«Il est difficile pour les banques de déterminer ce qui se passe sur le terrain», explique Alma Angotti, associée du cabinet de conseil Guidehouse, spécialisé dans les délits financiers. Elle ajoute: «Au lieu d’identifier une région ou une zone ne présentant pas de problèmes, les banques trouvent parfois plus facile de s’en aller.»
Comptes fermés et avoirs gelés sans explication
Les transactions et transferts financiers vers les territoires palestiniens de Cisjordanie et de Gaza font depuis longtemps l’objet d’interrogations de la part des banques, d’autant plus que Gaza est sous la domination du Hamas classé comme organisation terroriste aux États-Unis et dans d’autres pays.
Cependant, le contrôle strict de ces transactions s’est considérablement renforcé depuis les 7 octobre et de nombreuses organisations humanitaires ont vu leurs comptes fermés ou leurs avoirs gelés sans explication.
Selon Agnes Valiente, avocate au Centre européen de soutien juridique basé à Amsterdam et qui défend les droits des Palestiniens en Europe, entre octobre et mai, 30 cas ont été enregistrés dans lesquels des banques européennes et d’autres pays ont fermé les comptes d’individus et d’organisations liés à des activités dans les territoires palestiniens.
Dans un cas, la Truist Bank a fermé le compte de l’organisation américaine à but non lucratif American Near East Refugee Aid (Anera) en avril sans offrir aucune possibilité de faire appel de cette fermeture selon des documents consultés par le WSJ. La banque a aussi refusé de commenter.
Dans un autre cas, la société de technologie financière Stripe a demandé à l’organisation à but non lucratif Nonviolence International, fondée par un sponsor palestino-américain, de supprimer de son site une campagne de collecte de fonds pour une organisation palestinienne partenaire sans donner la moindre raison. C’est ce qu’affirme Michael Bear, directeur de l’ONG, qui a reçu un e-mail de Stripe.
Aucun des groupes non-violents n’a collecté de dons pour un groupe soumis aux sanctions américaines, selon Beer. Un porte-parole de Stripe a refusé de faire un commentaire à un usager des services de l’entreprise car cette dernière a déclaré, dans un communiqué clarifiant sa politique en matière de risque de criminalité financière publiée en novembre, qu’elle pourrait décider de ne pas fournir de services ou de faciliter des transactions commerciales lorsqu’elle estime que de telles activités présentent des risques élevés et ou sont pas dans le périmètre de prise de risques qu’elle souhaite même si les lois et réglementations applicables n’imposent pas de restrictions spécifiques.
Le WSJ rappelle que les agences humanitaires sont depuis longtemps confrontées à des problèmes et à des difficultés dans les transferts financiers en raison de la nécessité pour les institutions financières de se conformer à des régimes de sanctions complexes visant à lutter contre le financement potentiel du terrorisme en particulier après les attentats du 11 septembre 2001.
«Tous les défis existants se sont exacerbés depuis le 7 octobre», a commenté Ashley Saparmanian Montgomery, directrice principale de l’organisation politique et de défense Philanthropy and Security Network faisant référence aux efforts visant à maintenir les comptes existants ouverts et les transferts bancaires en cours sans délai.
Sean Carroll, directeur exécutif de l’organisation Anera basée à Washington, a déclaré que l’organisation fournit des services humanitaires et soutient le travail de développement dans les territoires palestiniens depuis 1968. L’organisation a répondu à la récente crise à Gaza en transportant des repas, des médicaments, des vêtements et d’autres matériaux.
Carroll a déclaré que pour éviter d’être soumis à des violations des lois sur les sanctions, il a effectué des contrôles de sécurité sur la conduite de ses employés, fournisseurs et partenaires avec lesquels il traite et a utilisé pour cela les bases de données du gouvernement américain tandis que ses travailleurs dans les territoires palestiniens vérifiaient les destinataires de l’aide.
Truist a justifié la fermeture des comptes d’Anera sur fond d’avertissements émis par le département du Trésor américain concernant la nécessité de vérifier les fonds envoyés à Gaza. C’est ce que l’entreprise a finalement avoué verbalement à Carol. Elle a découvert une relation de l’Anera avec l’association Al-Salah qui fait l’objet de sanctions.
Pourtant Anera a déclaré d’abord ne plus travailler avec l’association Al-Salah mais également que celle-ci n’était pas soumise à des sanctions lorsqu’elle a reçu une aide médicale de l’organisation en 2000. Ce n’est qu’en 2007 que le département du Trésor américain a imposé des sanctions à Al-Salah pour son soutien matériel au Hamas.
Des organisations complètement ruinés et abandonnés
Dans le cas de Nonviolence International, Beer a déclaré que Stripe qui permet aux utilisateurs d’accepter les paiements par carte de crédit a remarqué que ses services étaient utilisés pour collecter des fonds pour l’ONG partenaire liée aux Palestiniens sur son site Web.
Beer a déclaré que Nonviolence International avait dû déplacer la collecte de fonds pour ce groupe vers la plateforme PayPal avec peur. «Nous avons résisté autant que nous avons pu. Nous craignons que Stripe nous ferme la porte aux paiements par carte de crédit pour ce projet que nous soutenons, nous serons complètement ruinés et abandonnés», a-t-il dit.
Le WSJ affirme que les banques américaines et étrangères sont tenues de se conformer aux sanctions américaines sous peine de devoir payer d’énormes amendes pouvant parfois atteindre des milliards de dollars et de plaider coupables. Le Trésor américain a déclaré que l’aide humanitaire et les fournitures médicales sont généralement exemptées de ces interdictions.
Malgré les exceptions en matière d’aide, l’extension des sanctions depuis plus d’une décennie a incité les banques peu enclines au risque à simplement «réduire les risques» abandonnant les clients qu’elles considèrent comme potentiellement problématiques.
Cependant, Carroll d’Anera estime que les banques devraient donner aux institutions et aux organisations en difficulté la possibilité de faire appel des décisions. Il a ajouté que le Trésor pourrait faire davantage d’efforts pour informer les banques de ses objectifs politiques généraux et des exemptions du code pénal afin d’empêcher des fermetures de comptes généralisées. Une porte-parole du département du Trésor n’a pas répondu la sollicitation du WSJ.
«Certaines personnes pensent qu’il existe un environnement qui nous permet de traverser beaucoup de choses sans être contrôlés mais c’est le contraire qui est vrai. La quantité de contrôles que nous devons effectuer entrave le travail», a déclaré Carroll.
L’année dernière, le Département du Trésor a déclaré dans un rapport concernant la stratégie de réduction des risques que les mesures prises par les banques pour réduire les risques bien que non illégales sapaient les objectifs politiques du gouvernement. En novembre, le Trésor a publié des directives de conformité pour l’envoi d’aide à Gaza. Il a averti que des groupes tels que le Hamas collectaient des fonds en utilisant des organisations caritatives comme façade pour collecter des dons mais a précisé qu’il n’y avait aucune interdiction de fournir une aide humanitaire à Gaza ou en Cisjordanie et que fournir une aide telle que de la nourriture et des médicaments n’était pas interdit en général.
Il a indiqué que les activités humanitaires qui impliquent des transactions nécessaires avec des groupes sanctionnés comme la fourniture d’une assistance médicale vitale aux civils de Gaza dans un hôpital géré ou occupé par le Hamas ne sont pas non plus interdites. «Les organisations veulent prouver leur conformité mais les banques ont refusé de traiter avec elles», a déclaré Valenti du Centre européen d’assistance juridique ajoutant que «les banques ne sont pas du tout intéressées car ce sont de petites ONG».