Trump braille. Le public, lui, est divisé : ceux qui applaudissent, ceux qui s’indignent, ceux qui rient. Lors d’une rencontre avec le président sud-africain Cyril Ramaphosa, Donald Trump a présenté des images prétendant illustrer un supposé «génocide des Blancs» en Afrique du Sud. Cependant, ces images provenaient en réalité de la République démocratique du Congo, illustrant des scènes sans lien avec l’Afrique du Sud.
Manel Albouchi *

Cette manipulation a été largement dénoncée par les autorités sud-africaines et les médias internationaux. Mais l’incident illustre une tendance persistante de certains acteurs occidentaux à instrumentaliser l’Afrique pour nourrir des narratifs politiques internes, souvent au mépris de la réalité du continent.
Pendant que certains projettent leurs peurs et fantasmes, Mama Africa, elle, pense. Elle se souvient, elle guérit en silence. Mais ce silence n’est pas soumission. C’est une respiration lente, ancestrale. Un cycle.
L’Afrique est souvent réduite dans les récits internationaux à un territoire de chaos, de misère, ou de besoin d’aide. Pourtant, elle n’est pas une victime. Elle est une matrice. Une mère blessée, mais jamais stérile. Une force souterraine, qu’aucun colonialisme, qu’aucun néolibéralisme n’a su éteindre.
Loin du tumulte des plateaux télévisés et des guerres d’ego, l’Afrique, elle, murmure. Elle se souvient, elle rêve, elle se relève.
De la traite négrière au néocolonialisme
Historiquement, l’Afrique n’a pas sombré d’elle-même. Elle a été déstabilisée. D’abord par des siècles de traite négrière – transsaharienne, orientale, occidentale – qui ont arraché des millions d’âmes à leur terre. Ensuite par la colonisation, ce processus brutal d’asservissement économique, culturel et politique.
L’Afrique n’a pas été découverte. Elle a été envahie, découpée, exploitée. Le congrès de Berlin (1884) fut le point d’ancrage d’un partage cynique du continent, sans consultation de ses peuples.
Une pouponnière de main-d’œuvre
Au XIXe siècle, à l’âge d’or de l’industrialisation, l’Europe a transformé l’Afrique en réservoir de main-d’œuvre et en pourvoyeuse de matières premières. Les chemins de fer, les ports, les routes n’étaient pas pensés pour relier les peuples entre eux, mais pour extraire le caoutchouc, les minerais, le coton.
Et l’éducation ? Elle n’était pas destinée à éveiller, mais à former des exécutants dociles. Assez lettrés pour faire tourner les machines, mais pas assez pour remettre en question l’ordre établi.
Ce modèle a perduré longtemps après les indépendances, avec des élites formées à l’occidentale, souvent coupées de leurs racines, reproduisant des schémas coloniaux dans des États théoriquement souverains.
Le colonialisme déguisé à la peau dure
Le FMI, la Banque mondiale, les accords économiques avec l’Union européenne sont devenus les outils d’un néocolonialisme travesti.
Des prêts toxiques, des plans d’ajustement structurel, des dépendances économiques imposées ont étranglé les États africains naissants. L’Afrique n’a jamais cessé de produire de la richesse, mais elle en a rarement profité. Ses matières premières sont extraites, transformées ailleurs, puis revendues à prix d’or. Elle vend de l’or, du cobalt, de l’uranium, du phosphate… mais importe du pain, des médicaments, et même des idées.
Aujourd’hui encore, les multinationales occidentales, chinoises ou russes exploitent le sous-sol africain avec des méthodes dignes d’un autre siècle. Et pendant ce temps, les mères africaines continuent à éduquer, soigner, nourrir, résister.
La corruption, un héritage colonial
Mais au-delà des ingérences extérieures, l’Afrique a aussi été piégée de l’intérieur.
La corruption systémique n’est pas une simple déviance morale : elle est l’héritage structuré du système colonial, où une élite locale servait les intérêts des puissances étrangères.
Après les indépendances, dictatures, présidences à vie, coups d’État sont devenus monnaie courante. Le pouvoir s’est souvent exercé comme une rente personnelle. Mais la corruption n’est pas qu’africaine : elle est globale. Les élites du Nord, les banques offshore, les multinationales extractivistes sont les bénéficiaires silencieux de cette économie parallèle.
La Cnuced estime à 88 milliards de dollars par an les flux illicites quittant le continent. Une saignée lente et organisée.
La corruption, c’est aussi une pédagogie. Celle du désespoir. Du cynisme. Du renoncement. Elle ne pourra être éradiquée que si l’Afrique cesse de mendier des modèles étrangers pour réinventer ses propres formes de gouvernance, ancrées dans l’éthique communautaire, la justice restaurative, et la transparence enracinée dans les cultures locales.
La nouvelle génération
Mais depuis peu, le vent tourne. Une révolution géopolitique silencieuse est à l’œuvre. Une nouvelle génération de leaders africains, à l’image d’Ibrahim Traoré au Burkina Faso, incarne un tournant historique.
À 34 ans, Traoré rompt avec la langue de bois diplomatique, dénonce les ingérences françaises, sort du G5 Sahel, se rapproche de la Russie et de la Chine, et tente de bâtir une souveraineté militaire, économique, et culturelle.
Il n’est pas seul. Le Mali, le Niger, la Guinée et d’autres cherchent eux aussi à reconquérir leur indépendance stratégique.
La rupture ne se fait pas sans douleurs ni contradictions. Mais elle traduit une prise de conscience collective. L’Afrique commence à parler d’une seule voix ou, du moins, à refuser de se taire.
L’Afrique mère
À l’échelle intime, Mama Africa, ce sont les femmes. Les mères, les sœurs, les guérisseuses, les marchandes. Celles qui nourrissent les villages, enseignent la sagesse sans manuels, résistent sans faire la guerre. Celles qui pleurent leurs enfants envoyés à la mer, mais tiennent le foyer debout. Celles qui n’écrivent pas toujours dans les journaux, mais qui écrivent l’Histoire.
À l’échelle historique, Mama Africa est une mémoire vivante. Celle des royaumes mandingues, du Kemet ancien, du Swahili cosmopolite, du Soudan intellectuel. Celle des résistants oubliés, des langues minorées, des traditions que la modernité n’a pas su effacer.
À l’échelle géopolitique, elle est une puissance en renaissance. Une puissance qui n’a plus envie de tendre la main, mais d’avancer debout. Pas selon les critères du monde blanc, mais selon ses propres rythmes, valeurs et visions.
Le ventre d’une femme qui résiste est plus puissant qu’un empire qui décline.
Une révolution intérieure
Il est temps d’écouter ce qui ne se dit pas, d’honorer ce qui ne se voit pas, de reconstruire ce qui a été brisé sans bruit.
Cette révolution africaine n’est pas d’abord militaire. Elle est ontologique. Elle part du corps, de la terre, de la parole, de l’art, de la transmission orale, du sacré. Elle exige de désapprendre pour mieux apprendre, de sortir de l’imitation pour inventer, de cesser de quémander pour se souvenir. Elle passe par les femmes, les poètes, les paysans, les artistes. Ceux que l’histoire officielle a toujours mis en marge, mais qui incarnent la pulsation de ce continent-mère.
Ce 25 mai, en cette fête des mères, souvenons-nous que Mama Africa n’est pas une victime passive de l’histoire. Et elle n’est pas seulement une image poétique. C’est une puissance matricielle, un ancrage philosophique. Elle n’est pas parfaite, mais elle porte en elle la mémoire du monde, le lien avec la terre, le temps long. Elle ne crie pas, elle incarne. Elle a été trahie, pillée, caricaturée. Mais elle continue d’enfanter. Elle donne naissance à une Afrique du futur, où l’on soigne les blessures du passé sans les refouler, où l’on conjugue la modernité avec les sagesses ancestrales.
Et si Trump est le symbole d’un monde qui s’agite en surface, l’Afrique est l’appel d’un monde qui renaît de l’intérieur.
Ce siècle post-industriel et numérique rebat les cartes. Les anciennes puissances vacillent. Les rapports Nord-Sud sont contestés. L’Afrique, avec sa jeunesse, sa créativité, ses ressources, une fenêtre historique. Et si nous voulons survivre, il est temps de revenir vers elle. Non pas pour la sauver, mais pour qu’elle nous sauve.
* Psychothérapeute, psychanalyste.
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