L’administration américaine, sous le président Donald Trump, a longtemps essayé de dissimuler l’intervention agressive turque en Libye, où les alliés de l’Otan sont devenus des rivaux régionaux. Mais cette position est en train de changer…
Par Alaeddin Saleh *
L’armée américaine se méfie de plus en plus de la guerre par procuration de la Turquie en Libye, a révélé l’Associated Press, vendredi 17 juillet 2020, citant le rapport trimestriel sur l’opération antiterroriste en Afrique du Nord et de l’Ouest rédigé par l’inspecteur général du ministère américain de la Défense. Le rapport produit par l’organisme de contrôle interne du Pentagone marque la première fois que l’aide militaire turque au gouvernement d’accord national libyen (GNA) est mentionnée par les responsables américains.
La Turquie pousse ses pions en Libye et en Afrique du Nord
Au cours des trois premiers mois de 2020, la Turquie a déployé un nombre inconnu de ses propres troupes et envoyé entre 3.500 et 3.800 combattants syriens dans l’État nord-africain, a évalué l’inspecteur général. Ankara a recruté des milliers de mercenaires pour combattre aux côtés de son allié libyen en les attirant avec des promesses d’argent et de citoyenneté turque.
La Turquie a également augmenté ses fournitures d’aide militaire en mai, juste avant que les troupes du GNA n’obtiennent un certain nombre de victoires importantes qui ont entraîné le retrait de l’armée nationale libyenne (LNA), selon le Pentagone.
Le rapport de l’inspecteur général envoie encore un autre signal de l’inquiétude croissante des États-Unis concernant les tensions accrues en Libye, où une confrontation armée entre le gouvernement soutenu par la Turquie et l’armée du maréchal Khalifa Haftar se poursuit depuis avril dernier. Le récent triomphe des milices de Tripoli dans l’ouest de la Libye a mis en évidence le rôle important d’Ankara dans la modification de l’équilibre des pouvoirs sur le terrain.
Les ambitions ottomanes du président Erdoğan
En Turquie, la victoire du GNA a été perçue comme une preuve de la viabilité des doctrines militaires et politiques turques et une justification d’actions brutales contre les États qui font obstacle aux ambitions ottomanes du président Erdoğan.
Il est difficile d’appeler ces développements autrement qu’une amère déception pour Washington, en particulier compte tenu de son rôle de consolidation dans l’alliance nord-atlantique. Alors que la Turquie se déchaîne en Libye, les États-Unis sont confrontés à ce que le président français Emmanuel Macron a qualifié à juste titre de «mort cérébrale» de l’Otan.
Début juillet, la France a suspendu sa participation à l’opération navale «Sea Guardian» de l’Otan après un incident avec la marine turque en Méditerranée. Paris a affirmé que des bâtiments turcs avait illuminé à trois reprises avec leurs radars de conduites de tirs la frégate française Courbet qui tentait d’inspecter un navire battant pavillon tanzanien soupçonné de contrebande d’armes en Libye.
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a ensuite appelé les membres de l’Union européenne (UE) à discuter d’éventuelles sanctions contre la Turquie. Les États-Unis ont également partagé ses préoccupations concernant le comportement inamical de la Turquie. «Des alliés de l’Otan ne devraient pas se retourner les uns contre les autres. Ce n’est pas bon», a déclaré Robert O’Brien, le conseiller américain à la sécurité nationale, soulignant que Washington était aux côtés de la France.
La relation entre Ankara et Paris n’est pas la seule à avoir souffert de l’expansionnisme turc. Pratiquement tous les États de la Méditerranée orientale, y compris Israël, l’allié stratégique des États-Unis au Moyen-Orient, et un autre partenaire de l’Otan, la Grèce, ont formé une alliance pour contrer les plans de la Turquie d’étendre son influence dans la région.
Washington mécontent des activités douteuses turques en Méditerranée
Les revendications territoriales d’Ankara en Méditerranée soutenues par un traité controversé sur la délimitation maritime avec le gouvernement fantoche de Fayez Sarraj sont entrées en désaccord avec un projet conjoint de transit de gaz naturel d’Israël à travers la Grèce vers l’Europe du Sud. De plus, la création d’une zone économique exclusive par Tripoli et Ankara a créé des conditions supplémentaires pour approfondir la fracture avec Athènes et Nicosie.
Les récentes déclarations des responsables américains sont un signe claire que le mécontentement de Washington s’accroît face aux activités douteuses turques qui menacent l’unité de l’Alliance elle-même. Bien que la Turquie soit un élément important de l’Otan, son avenir en tant qu’État membre dépend de la volonté d’Ankara de s’intégrer organiquement dans l’architecture de sécurité collective. S’il n’y en a pas, l’organisme de l’Alliance peut subir une intervention chirurgicale et continue à vivre.
* Journaliste libyen, rédacteur en chef de Special Monitoring Mission to Libya (SMML).
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