Les autorités américaines suivent visiblement de très près l’évolution de la situation politique en Tunisie. Celle-ci constitue pour elles une préoccupation sérieuse en raison des difficultés en tous genres que connaît le pays depuis une décennie, pays dont la position géostratégique au cœur de la Méditerranée exige une stabilité à toute épreuve.
Par Raouf Chatty *
Cette préoccupation s’est accentuée notamment depuis l’entrée du pays dans une nouvelle étape politique majeure à la faveur des décisions historiques adoptées le 25 juillet dernier par le président de la république.
Ces décisions ont bouleversé de fond en comble la donne politique et promis le pays à des changements majeurs dans les prochains mois, dont les contours sont en train de se dessiner progressivement dans la confusion, l’incertitude, les tergiversations et l’instabilité…
Cet intérêt s’explique par les traditions historiques qui ont toujours lié cette superpuissance à la Tunisie, comme par les mutations profondes que vit la région du Maghreb en ce moment…
La Tunisie, pôle de stabilité dans une sous-région mouvementée
Les États-Unis insistent sur la stabilité politique et sociale en Tunisie, la promotion d’un État démocratique, le respect des droits de l’homme et le fonctionnement régulier des institutions.
Ils considèrent la Tunisie comme un pays stratégique, au centre de la Méditerranée, un pôle de stabilité dans une sous-région très mouvementée, et de plus en plus instable.
En effet, la situation politique et sécuritaire en Libye demeure toujours très fragile, de plus en plus tendue, sujette aux dissensions internes entre les parties politiques en présence. Des appréhensions sérieuses existent quant à un nouvel échec des négociations politiques entre les protagonistes et à un retour probable aux armes. Les parties étrangères présentes en Libye ne sont pas non plus prêtes à lâcher du lest et sont très soucieuses de la préservation de leurs intérêts respectifs.
Par ailleurs, la situation demeure très tendue entre l’Algérie et le Maroc après la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays et l’interdiction de l’espace aérien algérien à l’aviation marocaine, annoncée aujourd’hui, 23 septembre 2021.
Réputée stable, la situation au Maroc risque de se dégrader suite au ravivement des soubresauts diplomatiques liées à la question du Sahara Occidental et à la tension politique post électorale après l’assassinat, cette semaine, à Rabat, du secrétaire général du parti qui a remporté le meilleur score aux élections législatives.
Ce sont-là des motifs qui inquiètent à juste titre les États-Unis et les puissances européennes. En ce qui concerne la Tunisie, ces inquiétudes se sont traduites depuis deux mois par des contacts de hauts niveaux avec les hautes autorités tunisiennes: le président de la république et le ministre des Affaires étrangères.
Tunis, centre d’une intense activité diplomatique
Depuis le 25 juillet dernier à ce jour, le pays a vécu une intense activité diplomatique relative à cette question. Quelques jours après cette date, le ministre des Affaires étrangère américain Antony Blinken a conversé longuement au téléphone avec le président de la république de la situation politique, du processus démocratique et de la sauvegarde de l’État de droit en Tunisie.
Le président de la république a reçu, le 13 août dernier, une délégation de haut niveau au palais de Carthage, conduite par Jon Finer, le conseiller de la sécurité nationale près la Maison Blanche qui lui avait remis une lettre du président Joe Biden.
Plus récemment, le président de la république a reçu, le 4 septembre, une délégation de congressmen américains conduite par Chris Murphy.
Quant au ministre des Affaires étrangères, Othman Jerandi, il a reçu au siège de son département, le 3 septembre courant, l’ambassadeur américain à Tunis Donald Blome dans le cadre de la visite à Tunis de ces mêmes congressmen américains.
Le ministre des Affaires étrangères a également reçu, le 19 septembre, Derek Chollet, conseiller politique du Département d’État. Il s’est, par ailleurs, entretenu le 20 septembre à New York, avec Victoria Neuland, sous-secrétaire d’État au Département d’État américain, en marge de la 78e assemblée générale des Nations unies.
La situation politique, la démocratie, l’État de droit, les libertés individuelles et publiques en Tunisie étaient au centre de tous ces entretiens. Il en ressort essentiellement que Washington entend maintenir son soutien à la transition politique en Tunisie «afin de consolider l’option démocratique et de renforcer cette approche de manière à répondre aux aspirations du peuple tunisien au développement et au bien-être», comme le mentionne expressément le secrétaire d’État Neuland dans un tweet à l’issue de son entretien avec le ministre Jerandi.
Il convient de signaler que le ministre a martelé au cours de tous ces entretiens avec ces hauts responsables américains, comme lors de la récente session du Conseil des Nations Unies aux droits de l’homme à Genève, l’attachement de la Tunisie aux acquis de son expérience démocratique et que les mesures exceptionnelles adoptées par le président de la république, le 25 juillet, visent à corriger le cours de cette expérience et que le choix de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés est irréversible en Tunisie.
Eclairer davantage les partenaires de la Tunisie
Il reste que cette intense activité diplomatique conduite par le ministre Jerandi avec persévérance, calme et détermination, pour faire connaître au monde entier l’engagement de la Tunisie sous le président Kaies Saied en faveur de la démocratie réelle et de l’État de droit gagne à être renforcée par une campagne dans toutes les capitales par des représentants du président de la république et de la société civile pour éclairer davantage nos partenaires sur les réalités des choses en Tunisie et épargner au pays des campagnes tendancieuses que certaines parties continuent à mener à l’extérieur, dans l’espoir vain de garder leurs positions dans le pays.
Au final, il faut être certain du fait que les Américains et les puissances étrangères ne manqueront pas de revenir à la charge au courant des prochaines semaines ou mois pour veiller au grain… D’où la nécessité de saisir le message qui sous-tend ce marathon diplomatique et d’agir très vite pour entamer sans délai les réformes annoncées par le président de la république.
* Ancien ambassadeur.
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Tunisie : la feuille de route du G7 pour Kaïs Saïed
Les Américains ont «compris» Saïed, maintenant il doit passer à l’acte
La délégation américaine vient-elle écouter les Tunisiens ou leur imposer sa vision ?
Donnez votre avis