La Tunisie pourra-t-elle sortir du cercle vicieux de l’inflation ?  

Espérons que la récession qui s’installe dans notre pays aidera à calmer les ardeurs des Tunisiens, qui produisent peu et mal, et veulent consommer comme des Américains ou des Européens. Espérons aussi qu’elle permettra certaines remises en question et des réformes qui relanceront la compétitivité des entreprises exportatrices et, après une période de chômage des entreprises importatrices, impulseront à nouveau la machine de l’investissement, de l’emploi, de l’exportation et des salaires, et réduiront les flux de la migration.

Par Oilid Ben Yezza *

James Madison disait que «le véritable pouvoir, celui qui procure la richesse de la nation, doit demeurer entre les mains des êtres les plus capables et que la première et principales responsabilité du gouvernement est de maintenir la minorité fortunée à l’abri de la majorité».

Ainsi, la logique voudrait que tout gouvernement établit toujours les lois dans son propre intérêt, la démocratie, des lois démocratiques, la monarchie, des lois monarchiques, l’oligarchie des lois oligarchiques.

Ces oligarques qui nous appauvrissent !

Soyons simple afin qu’un maximum de Tunisiens puissent comprendre pourquoi le pays est dans cette situation. L’oligarchie est un gouvernement ou plutôt des gouvernements successifs où le pouvoir est détenu par un petit groupe de familles qui forment la classe dominante.

Ainsi, dans le passé, nous avions deux grandes familles dominantes, les Ben Ali et les Trabelsi qui mettaient au pas et volaient les autres familles bourgeoises, souvent à la tête de «grandes» entreprises tunisiennes.

Il existe deux types d’oligarchie : l’institutionnelle et celle de fait. Nous avons en Tunisie la première, à savoir un régime politique dont les lois ne réservent le pouvoir et le business qu’à une minorité de citoyens. Ainsi, nous avons eu des ministres et des députés dont les familles ont des business d’importation de voitures, d’équipements divers et de produits agroalimentaires … d’autres, proche d’Etats étrangers,  tels que le Maroc , la France ou la Turquie … qui se sont servis de leur poste de ministre ou de député pour permettre l’implantation de franchises commerciales en échange de commissions. La seule valeur ajoutée de ces entreprises étrangères est d’exporter nos devises vers les maisons mères à l’étranger.

Historiquement, soit les oligarques s’enrichissent soit c’est l’Etat. Pensez-vous vraiment que ces ex-hommes politiques ou actuels ont un intérêt à promouvoir le Made in Tunisie comme la France promeut le Made in France et les USA le made in US ?

Certains appelleront cela du lobbying, mais quand l’intérêt d’une minorité est contre l’intérêt général cela s’appelle de la trahison.

Ainsi, nous n’avons pas ou peu d’hommes politiques intègres éclairés, suffisamment payés et travaillant pour l’intérêt du peuple, mais des hommes politiques voraces qui ne travaillent que pour leurs propres intérêts ou ceux de leurs familles.

La richesse de millions de Tunisiens, qui se fatiguent tous les jours, se retrouvent donc concentrée dans les mains de ces familles et les lois qui remettraient en cause les monopoles de ces familles importatrices, destructrices de l’industrie tunisienne ne sont et ne seront pas votées. Les présidents ou ministres changent mais rien ne change pour ces familles, grandes gagnantes de la pseudo-révolution.

Nous avons actuellement les pires hommes politiques et homme d’affaires, certains manipulant des appels d’offres pour le compte d’entreprises étrangères se gavant sur le dos des travailleurs locaux.

Ces familles souhaitent le libéralisme quand il s’agit de piller l’Etat mais refusent la concurrence libre et parfaite des nouveaux entrants qui souhaitent créer des sociétés et prospérer comme eux.

En effet, cette oligarchie a trouvé le moyen de mettre des freins à la concurrence, par le biais de freins administratifs et bureaucratiques pour qu’elle reste la seule à exporter ou importer (avec des capitaux minimums, des certifications compliquées, des paperasses administratives extrêmement longues ou nécessitant le recours à la corruption …) Tout est compliqué pour empêcher de concurrencer les acteurs déjà en place.  Le capitalisme nécessite un laissez-faire laissez-passer total. 

Les lois actuelles facilitent l’importation et compliquent l’exportation, alors que tous les pays du monde font l’inverse sous couvert de normes écologiques, d’équité, de boycottage…

Ces lois et ces familles détruisent l’économie tunisienne augmentant ainsi le déficit de la balance commerciale, des paiements, les faillites d’industriels locaux, augmentant le chômage et autre baisse de compétitivité…

D’une famille de président corrompu qui mettait au pas les grandes familles possédantes, nous sommes passés à la corruption généralisée de l’ensemble de ces familles qui se servent de la politique pour leurs business. Comme tout le monde le sait certains de leurs membres ou obligés étaient ministres, députés et chefs de partis.

Ainsi donc, chaque oligarque regardant son voisin et voulant l’imiter, ils ont bientôt rendu le peuple à leur image : cynique et partisan du moindre effort. Ils ne doivent leur richesse qu’à la lâcheté de ce dernier.

Ainsi l’avarice de ces familles n’a d’égal que leur cupidité : elles n’ont pas compris qu’il fallait nourrir ce peuple tunisien pour pouvoir le tondre. Par stupidité, elles l’ont appauvri et il se retournera contre eux et exigera la restitution de leur argent caché à l’étranger.

Un pouvoir exécutif hors du coup

Passons maintenant à la médiocrité d’un président honnête, Kaïs Saïed pour ne pas le nommer, qui a horreur de la corruption et est animé de bons sentiments envers les peuples opprimés de Palestine et du Sahara occidental, mais qui est incapable d’identifier ceux-là même qui pourront l’aider dans sa croisade.

A ses côtés, une Première ministre, Najla Bouden, qui de l’Arabie saoudite à la France, va quémander de nouveaux prêts et de nouveaux investissements dans son pays qui a 50 ans de retard en matière législative.

Les lois douanières, fiscales, relatives au cadastre… sont obsolètes. Il y a tout un Etat à rebâtir et madame va parader en France au lieu de réexaminer les lois de son pays pour les actualiser et les doter de l’efficacité requise. Il y a plus à faire en croissance interne en réduisant le déficit de la balance commerciale et des paiements qu’en cherchant des revenus supplémentaires qui vont être gaspillés.

Il y a six ans le blog Mukawama.com avait déjà présenté des centaines d’exemples de lois à modifier ou à promulguer.

Et que dire de Noureddine Taboubi, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) qui est content d’avoir obtenu un accord pour l’augmentation du Smig. Il fait croire aux adhérents à la centrale syndicale qu’il défend leurs intérêts alors que, par son incompétence ou complaisance, il les sacrifie en échanges d’une augmentation de 3 à 5% des salaires de 2023 à 2025, alors que l’inflation officielle est de 8,6% (à fin août dernier). Il ne faut pas être un génie pour comprendre que cela contribuera à l’appauvrissement du peuple, sans oublier que l’UGTT donne sa caution aux conditions du FMI sur la privatisation de certaines entreprises publiques, la levée des politiques de subvention, le paiement des dettes rubis sur ongle et la hausse de la pression fiscale qui tuera l’économie …

Payer plus pour appauvrir plus !

Payez plus pour vous appauvrir plus et hypothéquer l’avenir de plusieurs générations ! Il est normal aujourd’hui que même ceux qui ont un travail préfèrent émigrer.

Une grande majorité des pays qui ont eu recours au FMI ont subi des difficultés plus grande que si elles n’avaient pas fait appel à cette instance, croyez-vous qu’avec tous ces génies à la tête du pays, cela sera diffèrent pour la Tunisie ?

De l’Amérique latine en Afrique, le FMI n’a pas brillé par ses succès, certains des qui ont eu recours à lui subissent le pillage de leurs ressources par des multinationales, abandonnent leur souveraineté politique et économique, reviennent à une situation pire que celle ayant prévalu avant la colonisation.

Pour un prêt d’à peine quelques milliards de dollars qu’on aurait facilement trouvé dans l’économie tunisienne, le gouvernement et l’UGTT sont prêts à brader la Tunisie. Quel honte ! C’est le signe de notre incompétence  et de notre impuissance collective à réformer notre pays.

Il y a pourtant des solutions pour trouver ces quelques milliards sans l’aide du FMI mais il est plus facile d’aller courir chez son banquier pour demander un crédit que de réduire son train de vie et travailler davantage.

Dans un pays où un dollar de dette crée quatre dollars d’inflation, est-ce que ces milliards changeront quelque chose à la structure de la consommation ou de la balance commerciale du pays ? NON ! Ces milliards vont continuer à nourrir les mêmes oligarques, qui continueront de piller le pays par les franchises … Il va sans dire que l’argent des préteurs institutionnels internationaux sera remboursé par les impôts et l’inflation, c’est-à-dire par la baisse du pouvoir d’achat, de la consommation et de l’investissement.

Est-ce que les salaires des douaniers, professeurs, fonctionnaires, ou les revenus des boulangers, bouchers et  paysans… sont suffisant pour nourrir une famille ? Même deux salaires ne suffisent plus à un foyer moyen.

Alors, c’est la porte ouverte au système D et à petite corruption : certains, en échange d’un billet, ferment les yeux sur tel ou tel acte illicite; d’autres réduisent les quantités et la qualité des produits vendus; d’autres vendent leurs produits au marché noir; et chacun essaie de s’en sortir même si c’est de manière illégale.

Les voies de l’anarchie

L’exemple de l’agriculteur tunisien est assez parlant : il subit les hausses des engrais, des carburants et autres intrants… et voit ses coûts de production monter au ciel, sans que l’Etat ne trouve la solution pour sauver des filières agricoles entières aujourd’hui menacées. Pis encore, il importe son blé et autres produits agricoles pourtant produits en Tunisie, poussant ainsi les agriculteurs vers le marché noir, détruisant ainsi l’agriculture nationale et mettant des milliers de personnes au chômage ou les poussant à l’émigration.  

L’inflation, quand elle n’est pas maîtrisée, mène irréversiblement à l’anarchie, au populisme et au nationalisme bébête, lesquels mènent à la destruction des Etats, la république de Weimar en est un bon exemple.

Comme disait Milton Friedman (prix Nobel d’économie), un budget en déficit, ce qui est le cas pour la Tunisie, crée de l’inflation, car l’argent ne va pas dans l’investissement, mais dans les salaires des fonctionnaires, lesquels, en Tunisie, sont aussi nombreux qu’improductifs. Mal payés, du fait de leur surnombre même, ils se tournent vers le travail au noir pour gagner un deuxième revenu. C’est le cercle vicieux et sans fin de la déchéance…

Friedman écrivait aussi : «Le seul remède à l’inflation consiste à maîtriser les dépenses. Il n’y a aucun moyen de ralentir l’inflation qui n’implique pas une augmentation transitoire du chômage et une réduction transitoire du taux de croissance de la production. Mais ces coûts seront bien inférieurs à ceux qui seront encourus en permettant à la maladie de l’inflation de faire rage sans contrôle.»

Il faut bien comprendre que même ce prix Nobel d’économie, fervent défenseur du libéralisme, avait remis en cause la politique macro du FMI. Cette organisation n’a pas la moindre idée des difficultés micro économiques du pays et se concentre sur la partie la plus facile de l’analyse à savoir la macro (inflation, croissance, chômage, privatisation…). Comment ses experts se permettent-ils de donner des conseils alors que les fondations économiques du pays sont totalement faussées par la corruption et une bureaucratie qui casse l’initiative et détruit la concurrence ?

Accepter l’aide du FMI ne servira qu’à enrichir les mêmes prêteurs institutionnels étrangers et les  mêmes importateurs locaux.

Espérons que la récession aidera à calmer les ardeurs des Tunisiens, qui produisent peu et mal et veulent consommer comme des Américains ou des Européens. Espérons qu’elle permettra certaines remises en question et des réformes qui relanceront la compétitivité des entreprises exportatrices et,  après une période de chômage des entreprises importatrices, impulseront à nouveau la machine de l’investissement, de l’emploi, de l’exportation et des salaires, et réduiront les flux de la migration.

L’histoire humaine, du Moyen Âge à nos jours, est remplie d’exemples de pays en quasi faillite qui se sont redressés. Si ce gouvernement tunisien ne sait pas faire, qu’il démissionne et laisse la place à ceux qui savent ! Qu’il laisse les financiers compétents gérer le pays, transformer les dettes en rentrées d’argent et en croissance ! Qu’il dégage avec ses économistes incompétents et englués dans des dogmes d’un autre temps.

* Financier diplômé de la New York University travaillant depuis 20 ans au Luxembourg.

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