La Tunisie peut-elle sauver ses finances publiques en dehors d’une stratégie globale de sauvetage de l’économie nationale ? A-t-elle négocié l’accord de prêt avec le Fonds monétaire international (FMI) sur la base d’une telle stratégie ? Et pourquoi les autorités continuent-elles à refuser de révéler à l’opinion le contenu complet de cet accord ?
Par Ezzeddine Saidane *
Il a fallu deux gouvernements et dix huit mois entre discussions techniques et négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) pour arriver à un accord de principe, appelé aussi «staff level agreement» pour accorder à la Tunisie un nouveau prêt de 1,9 milliard de dollars sur quatre années dans le cadre d’un nouveau programme de réformes visant à sortir la Tunisie de l’impasse économique et financière dans laquelle elle s’est engouffrée.
Est-ce que ceci veut dire que le FMI a accordé un prêt de 1,9 milliard de $ à la Tunisie. La réponse est «pas encore». En effet, il reste d’abord à obtenir l’accord définitif du comité exécutif du FMI dont la réunion est prévue pour le mois de décembre prochain.
Pour cela, il va falloir que le gouvernement tunisien élabore deux documents essentiels qui vont révéler non seulement le diagnostic réel de la situation économique et financière du pays, mais aussi les orientations et les choix du gouvernement pour réaliser le programme de réformes sur lequel les autorités tunisiennes se seraient engagées vis-à-vis du FMI.
Comment couvrir les dépenses courantes ?
Il s’agit des projets de loi des finances complémentaire pour 2022 et de loi des finances pour l’année 2023. Ces deux projets doivent être soumis au FMI avant la date de la réunion du comité exécutif du FMI prévue pour la deuxième moitié de décembre 2022.
Il faut préciser ensuite que si la Tunisie aboutit à un accord définitif, le prêt serait débloqué de la manière suivante:
– une première tranche représentant le 1/8e du montant total du prêt, soit environ 240 millions de dollars serait débloquée à la signature, donc probablement au mois de janvier 2023;
– le reste du montant du prêt serait reparti sur sept tranches semestrielles.
Cependant avant le déblocage de chaque tranche une équipe du FMI serait dépêchée sur place afin de vérifier sur le terrain l’état d’avancement des réformes sur lesquelles se serait engagé le gouvernement tunisien.
Voici les questions essentielles qui se posent aujourd’hui…
Question 1- Par quels moyens, l’Etat tunisien va-t-il couvrir ses dépenses courantes pour ce qui reste de l’année 2022, sachant que toutes les hypothèses sur la base desquelles a été construite la loi des finances 2022 sont aujourd’hui caduques. Il s’agit notamment de l’aboutissement à un accord définitif avec le FMI avant fin mars 2022, du prix du baril de pétrole, du cours du dollar, du taux de croissance économique attendu pour 2022, etc.
Jusque-là, le ministère des Finances a procédé au report (rééchelonnement) des tombées des crédits intérieurs (en dinars et en devises) sur plusieurs années allant jusqu’en 2033. Le ministère des Finances (avec le concours de la Banque Centrale) a aussi eu recours à la planche à billets pour couvrir certaines dépenses.
Par ailleurs, le ministère des Finances a choisi de ne pas effectuer plusieurs paiements relatifs à la caisse de compensation, ce qui veut dire que les chiffres relatifs à l’exécution du budget de l’État sont aujourd’hui biaisés.
Sur quelles hypothèses va-t-on donc construire le projet de loi des finances complémentaire ? Question importante qui nécessite une réponse immédiate.
Une année 2023 particulièrement difficile
Question 2- L’année 2023 risque d’être particulièrement difficile du fait du montant élevé du service de la dette extérieure (tombées en principal et en intérêts pour 2023). L’exercice même d’élaborer un projet de budget pour 2023 est extrêmement complexe. Comment la Tunisie va-t-elle financer ses dépenses courantes et son service de la dette, extérieure notamment?
En effet le maximum que la Tunisie peut obtenir en 2023 sur le crédit de 1,9 milliard de dollars est de l’ordre de 480 millions de dollars, soit deux déblocages semestriels. Un des principaux défis de l’année 2023 est le service de la dette extérieure (échéances en principal et intérêts) qui serait d’environ deux fois et demie le service de la dette extérieure de 2022.
Un autre défi important concerne la situation des entreprises publiques qui, ayant perdu la confiance de leurs fournisseurs et des banques – locales et étrangères, se sont montrées en 2022 incapables d’approvisionner le marché local en produits de base tels que les médicaments, les céréales, les carburants, l’huile végétale, le sucre, le café, etc. Comment s’assurer à travers le budget de l’État que ces entreprises publiques ne vont pas manquer de moyens en 2023 afin d’honorer leurs factures vis-à-vis de leurs fournisseurs étrangers, et même locaux d’ailleurs?
Question 3- Les autorités tunisiennes vont-elles être capables d’honorer tous les engagements pris vis-à-vis du FMI afin de garantir le déblocage de toutes les tranches du crédit. Ce que nous devons éviter à tout prix est de rééditer les deux fâcheuses expériences des programmes 2013 et 2016 avec le FMI. Ces deux programmes s’étaient en effet soldés par des échecs car la Tunisie n’avait pas respecté ses engagements en matière de réformes et s’est vu sanctionner par le non-déblocage de tranches importantes des deux programmes !
Question 4- Peut-on sauver les finances publiques tunisiennes et les entreprises publiques tunisiennes en dehors d’une stratégie globale de sauvetage de l’économie tunisienne ? Les autorités tunisiennes ont-elles négocié avec le FMI sur la base d’une telle stratégie ? Pourquoi les autorités tunisiennes continuent-elles à refuser de nous révéler le contenu complet de l’accord (provisoire) avec le FMI ?
Autant de questions qui appellent des réponses immédiates. Autant de questions représentant de sérieux défis. Où sont les réponses? Le mutisme observé par les autorités tunisiennes n’est pas de nature à servir la cause de notre pays.
* Expert financier et économique.
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