En mémoire de «la Noble Dame» ou de «la dame émancipée», l’unique reine gouvernante d’un Etat musulman de toute l’Histoire, Sayyida Al-Hurra Bint Ali Ibn Rachid, née à Grenade en 1485, morte Tétouan (Maroc) en 1542, fût la reine de Tétouan et de sa région de 1515 à 1542.
Par Abdellaziz Guesmi *
La perte du paradis de l’enfance andalouse dont elle fut chassée en 1492 est le Fil d’Ariane de sa vie, une blessure, née de cet arrachement qui déterminera ses choix et ses actions.
Mais, face à sa haine sans limite envers les usurpateurs espagnols, elle est destituée en 1542 suite à un complot familial ourdi par des traîtres.
Une féroce envie de revanche
Descendante d’une famille andalouse expulsée d’Espagne, toute sa vie est marquée par la volonté de prendre sa revanche sur les chrétiens ibériques. Théoricienne de la contre-Reconquista, son combat pour expulser les Espagnols et les Portugais de Sebta et de Melilla, comme préalable à la libération d’Al-Andalus, est à méditer.
Considérée comme l’une des personnalités les plus importantes de l’Occident musulman de son époque, Sayyida est connue aussi pour son alliance avec le corsaire ottoman Kheireddine dit Barberousse, dans leur lutte commune pour dominer la Méditerranée et empêcher l’expansion des Européens.
Sayyida Al-Horra est la fille du prince Ali Ben Moussa Ben Rachid el-Idrissi El-Alami Ben Mchich, de l’aristocratie andalouse, qui a combattu à Grenade, aux côtés du dernier roi, Boabdil, pour arrêter l’avancée des chrétiens dans les ultimes bastions musulmans en Andalousie.
Ali était le prince de Chefchaouen, petite ville rifaine, et de sa région qui incluait aussi Tétouan et les tribus qui vivaient entre Sebta, Tanger, Asilah et Ksar Elkebir.
Sa mère était d’origine espagnole. Convertie à l’islam, elle avait pris le nom de Zahra Fernández. Deux enfants naissent du mariage d’Ali et de Zahra : Ibrahim et Al-Horra. Le lieu de naissance est important car toute sa vie a été déterminée par les événements de sa petite enfance. En filigrane, on sent une béance à combler. Une féroce envie de revanche.
Au décès de son père, et contrairement aux règles de succession dynastique, elle est désignée Sultane-gouvernante avant même son frère, tellement elle était apte au pouvoir.
Libre de la tutelle des hommes
Son nom est toujours précédé dans les sources arabes par «Sayyida» ou «Sitt». Le premier la range parmi les «maîtres» (Al-Asyâd), qualificatif accordé aux descendants d’une lignée prophétique. Pour certaines sources, les parents lui ont donné le nom d’Al-Horra en souvenir de la première Aicha Al-Horra qui était la mère du sultan Abou Abdallah (Boabdil) Ben Al Ahmar, dernier roi de Grenade. Ce nom avait, du reste, un très bon écho chez la communauté andalouse, installée à l’époque à Chefchaouen et à Tétouan. Il l’a prédestinée à être libre de la tutelle des hommes.
Mariée à Hassan Ben Ali Al-Mandri, un Grenadin installé à Tétouan, Sayyida retrouve un milieu andalou cultivé et raffiné comme celui où elle avait grandi en Espagne musulmane. Ce mariage permet à son mari, neveu du fondateur de Tétouan, de devenir gouverneur, représentant du père de Sayyida Al-Hurra. Au décès de son mari, Sayyida épouse le sultan de Fès, mais refuse de l’accompagner à sa capitale, ce qui représente une réelle manifestation d’indépendance de la part d’une femme de l’époque.
Maîtrisant parfaitement l’espagnol, ce qui lui a facilité la communication avec la population locale essentiellement d’origine andalouse et avec l’Espagne elle-même lors des discussions diplomatiques ou pour libérer les captifs chrétiens du royaume, Sayyida était profondément marquée par l’histoire d’Al-Andalus.
Une haine sans limite envers les spoliateurs espagnols
Sayyida Al-Hurra est décrite comme l’ennemie jurée des Espagnols et une instigatrice pour la revanche. Sa principale occupation était de lutter contre les chrétiens par tous les moyens dont elle disposait, dont la guerre qui consistait à attaquer la marine marchande. Elle disposait, à Martil, d’un port adapté à ce type de guerre et avait de nombreux navires prêts à se lancer jour et nuit dans des opérations contre les côtes espagnoles. La guerre ne l’empêchait pas de veiller à bien gérer sa ville. Elle réussit la gageure d’être le chef incontesté dans la région grâce à sa détermination et à des alliances précieuses, celles du sultan de Fès et du fameux Kheireddine dit Barberousse, qui opérait à partir d’Alger et dont le seul nom provoquait la terreur chez les plus grands amiraux européens.
Face à son refus de toute concession et à sa haine sans limite envers les spoliateurs espagnols, elle est destituée en 1542 suite à un complot familial ourdi par le père de son gendre Al-Mandri et par son demi-frère Mohammed Ben Rachid, allié à Don Alfonso de Noronha, gouverneur portugais de Sebta et aux Saadiens.
Sayyida meurt en 1542 dans l’ingratitude, mais elle est toujours dans notre mémoire.
* Proviseur à Grenoble.
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