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L’Aleca doit bénéficier à l’économie tunisienne

Martin-Schulz

Discours du président Martin Schulz devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le 8 Février 2016, au Bardo.

Par Martin Schulz

Monsieur le Président Ennaceur,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Chers Collègues, Chers amis,

C’est avec humilité et émotion que je m’adresse à vous du haut de cette tribune symbole de la démocratie tunisienne.

Je vous remercie pour cet honneur que vous me faites et que je reçois comme une marque d’amitié et de confiance.

En ce lieu où résonnent la vitalité et la diversité de la société tunisienne, je voudrais commencer par rendre hommage à tous ceux qui ont payé de leur vie ce combat pour la liberté, la dignité et la démocratie.

Je voudrais dire mon admiration pour ce travail remarquable accompli par l’Assemblée Constituante, sous la présidence de Mustapha Ben Jaafar, pour doter la Tunisie d’une constitution où sont garanties les libertés fondamentales, la liberté de conscience et l’égalité entre tous.

Je voudrais saluer le courage, la vision et le sens des responsabilités de femmes et d’hommes, issus de la société civile, qui décidèrent, dans un moment d’incertitude, de reprendre en main le destin politique de la Tunisie, en imposant la voie du dialogue et du compromis.

Nous avons ainsi vu s’affirmer au cours de ces 5 dernières années une démocratie tunisienne forte d’institutions politiques légitimes, issues d’élections ouvertes et couvertes par une presse libre.

Que de chemin parcouru !

Ce chemin fut certes difficile et endeuillé par les assassinats abjects de nos collègues Chokri Belaid et Mohamed Brahmi. Mais le peuple tunisien a fait preuve d’un courage exemplaire. Il a dans un sursaut national, fort et digne, rejeté la division. Il a montré sa détermination à sauvegarder les idéaux de la révolution.

Votre pays émerge aujourd’hui comme un modèle de pluralisme et de tolérance dans la région.

Le Prix Nobel décerné au Quartet National vient couronner ce parcours exceptionnel du peuple tunisien qui force l’admiration et le respect de tous.

Mais cette exception n’a rien d’un accident. Elle s’enracine dans l’histoire millénaire de votre pays, terre de brassage des religions et des cultures.

Elle se nourrit d’un parcours politique pionnier qui a fait de la Tunisie le premier pays du monde musulman à adopter une constitution en 1861.

Elle se renouvelle dès l’indépendance avec la promulgation en 1956 d’un code du statut personnel, inégalé à ce jour dans la région, qui rend tous les tunisiens, femmes et hommes, égaux devant la loi.

Il vous appartient à présent de faire vivre cette exception tunisienne au quotidien dans ce prestigieux hémicycle.

Mesdames et messieurs les députés,

Chers Collègues,

Forts des acquis démocratiques inscrits dans la nouvelle constitution, il vous revient à présent la responsabilité historique de légiférer pour mettre en œuvre les nouvelles dispositions constitutionnelles en matière de respect des libertés individuelles, de réforme judiciaire, de réforme territoriale et de moralisation de la vie politique.

À cet égard, je voudrais saluer l’adoption récente par votre Assemblée de la loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature et sur la Cour constitutionnelle qui montrent, là encore, que la consolidation démocratique suit son cours.

Il vous incombe aussi de déployer pleinement vos prérogatives de contrôle démocratique de l’action de l’exécutif surtout à un moment de grandes réformes.

Ces réformes devront répondre aux attentes des citoyens, notamment des jeunes, en matière de justice sociale, d’amélioration des conditions de vie et d’emploi.

Permettez-moi d’ajouter cependant, que le choix de la démocratie et de l’État de droit ne sera irréversible qu’à partir du moment où ces réformes seront ressenties par les citoyens dans leur vie quotidienne et qu’ils verront la différence entre l’avant et l’après révolution.

Le rôle de votre Parlement est d’autant plus déterminant qu’il intervient à un moment de fortes inquiétudes économiques, sociales et sécuritaires.

La reprise économique, que nous pensions enfin relancée en 2015 dans un climat apaisé, a été interrompue par les attentats terroristes odieux qui ont touché le musée du Bardo, la ville de Sousse et la garde présidentielle.

Nous avons ressenti votre douleur au plus profond de nous-même car ces actes insupportables sont commis contre l’humanité toute entière, ils frappent aveuglément sur l’ensemble des continents.

Nous avons partagé votre colère face à ceux qui pervertissent le message de l’Islam éclairé de la Zitouna.

Le terrorisme djihadiste est un phénomène global.

Mais gardons-nous des fausses réponses car il serait dangereux de tomber dans le piège du «tout sécuritaire».

La réponse sécuritaire ne pourra être efficace qu’à condition d’être respectueuse des droits fondamentaux et s’inscrire dans une coopération étroite, régionale et à long terme.

Nous entendons le débat public – qui existe aussi en Europe – sur le degré de restrictions aux libertés afin d’assurer la sécurité. C’est un défi permanent dans tous les pays.

Mais en tant qu’élus, nous devons veiller à ce que les standards internationaux en matière de droits de l’homme soient respectés. L’approche répressive doit être combinée à des mesures d’inclusion sociale, de développement, d’éducation et de prévention pour mener à bien cette lutte contre la radicalisation.

Cette bataille se gagne aussi et surtout en obtenant la confiance de la population, en particulier la plus exposée à la marginalisation.

Je suis convaincu que la société tunisienne dispose des de toutes les ressources nécessaires pour mener cette bataille. Elle l’a démontré tout au long de ces cinq années, malgré les difficultés et en dépit d’un environnement régional préoccupant. Votre approche consensuelle et votre volonté de synthèse constituent également votre identité.

Le chantier des réformes socio-économiques annoncé par le gouvernement nécessitera là aussi un débat public approfondi, une pédagogie et, bien entendu, la mobilisation des forces parlementaires et des organisations sociales et patronales.

Nous sommes bien conscients que ces réformes structurelles demandent du temps, qu’elles sont coûteuses socialement et qu’elles sont difficiles à mener dans un contexte économique et sécuritaire déjà tendu.

Mais vous pouvez compter sur la constante mobilisation de l’Union européenne qui se tient à vos côtés depuis le début de la transition en déployant des mesures financières et techniques de soutien en réponse aux besoins que le gouvernement tunisien a formulés.

Les avancées importantes de nos relations bilatérales en 2015 illustrent, si besoin en était, un engagement mutuel fort.

La participation de la Tunisie au programme de recherche scientifique et d’innovation Horizon 2020 est effective depuis le 1 janvier de cette année. Cet accord est historique.

Il montre que par la recherche et l’innovation, l’UE soutient la démocratie tunisienne en l’aidant à investir dans la connaissance et l’innovation qui sont des facteurs de développement et de croissance.

Je vous encourage à appeler votre gouvernement à participer pleinement aux programmes communautaires que nous ouvrons à la Tunisie : COSME pour les PME et Erasmus + pour la formation des jeunes offrent de formidables opportunités. Il vous revient de les saisir.

Enfin, l’ouverture des négociations sur l’Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) scelle là encore notre volonté commune d’un rapprochement plus intégré entre les économies tunisienne et européenne.

Certes ces négociations ne s’annoncent pas faciles. Il est légitime que des réticences sectorielles se fassent entendre et il faut y voir, là encore, le signe d’une vitalité citoyenne de la société tunisienne.

Le Parlement européen soutient cet accord et l’importance d’une approche axée sur trois principes :

– l’accord doit bénéficier à l’économie tunisienne;

– l’ouverture des secteurs économiques doit se faire progressivement avec des périodes de transition;

– des compensations financières devraient accompagner la mise en œuvre de l’accord.

L’entrée en application de cet accord nécessitera à terme l’approbation du Parlement européen. Il me paraît dès lors important que son contenu et l’évolution des négociations soient régulièrement discutés dans le cadre de la commission parlementaire mixte mise en place entre nos deux institutions.

Ces négociations sont bien trop importantes pour demeurer le seul fait de techniciens et de hauts fonctionnaires.

Je suis convaincu que la réussite de ces négociations reposera sur le dialogue, la transparence, la concertation permanente avec les acteurs de la société civile et l’implication constante des parlementaires.

Mesdames et messieurs les députés,

Chers Amis,

Le Parlement européen a toujours été aux côtés des démocrates tunisiens, et ce, bien avant la révolution.

Nombreuses sont les résolutions qui dénoncèrent les atteintes aux libertés individuelles du régime Ben Ali.

Nombreux sont les dissidents tunisiens qui trouvèrent au sein du Parlement européen une écoute attentive et des relais de solidarité.

Aussi il n’est pas surprenant de voir, dès la chute de l’ancien régime, le Parlement européen exiger des institutions européennes un soutien ambitieux, à la hauteur du rendez-vous historique que nous donnaient le peuple tunisien et les autorités de la transition.

Soyez assurés de la constance de notre engagement et de notre vigilance pour orienter l’action de l’UE au mieux des intérêts mutuels bilatéraux.

Je suis heureux de voir que nos liens tissés de longue date prennent à présent un nouvel élan.

Le 18 février prochain nos deux institutions ont rendez-vous.

Le Président Ennaceur nous fera l’honneur de sa présence et je serai à ses côtés pour, lancer officiellement les premiers travaux de la Commission parlementaire mixte.

La mise en place de la CPM est l’émanation politique de notre volonté de construire ensemble un partenariat parlementaire privilégié.

Et je ne peux que vous dire combien je me réjouis de voir que nos relations d’amitiés et de soutien se développent, tant sur le plan du dialogue politique entre élus, que sur le plan administratif entre fonctionnaires.

Nous continuerons à déployer, selon les besoins que vous fixerez, tous nos moyens pour accompagner les réformes que vous engagerez au sein de l’ARP en vue de renforcer les capacités de votre institution.

Je suis convaincu qu’un parlement fort qui incarne la démocratie et qui exerce pleinement ses prérogatives législatives, budgétaires et de contrôle doit être soutenu par une administration performante et modernisée.

Mesdames et Messieurs,

Chers Collègues,

La vitalité de la jeunesse est celle qui a fait tomber les dictatures. Nous avons tous été impressionnés par la soif de liberté et de dignité qui s’était emparée des capitales arabes.

Depuis, les trajectoires ont été diverses. La Tunisie a adopté une nouvelle constitution qui redonne espoir à tous les démocrates de la région. La Syrie sombre dans le pire des conflits de notre époque et la Libye peine à retrouver le chemin de la réconciliation.

Laissez-moi rendre hommage aux autorités et au peuple tunisiens pour l’accueil généreux fait aux nombreux Libyens dans votre pays.

Je voudrais aussi saluer le rôle constructif joué par votre pays, aux côtés des autres diplomaties du Maghreb, dans le soutien apporté au dialogue inter-libyen en vue d’une solution politique à la crise.

Les Européens doivent prendre toute la mesure des conséquences économiques, sociales et sécuritaires que l’instabilité en Libye fait peser sur la paix civile et la croissance économique chez vous et chez vos voisins.

Soyez assurés que nous partageons le même objectif de voir un gouvernement d’union nationale prendre ses fonctions avec tout le soutien du peuple libyen.

L’Union européenne doit se montrer à la hauteur du défi. Il nous faut être prêts à déployer des mesures de soutien sans précédent. Cette mobilisation de nos ressources financières, techniques et humaines permettra aux Libyens de disposer d’un horizon dégagé, nécessaire à la pacification et à la réconciliation.

Une Libye stabilisée est dans l’intérêt de tout le Maghreb et de toute l’Europe.

Mesdames et messieurs les députés,

Continuons à avancer ensemble pour trouver des réponses aux défis du XXIe siècle, qui prennent une dimension plus complexe dans notre environnement méditerranéen.

Avec de la volonté politique et un peu de vision, nous avons la possibilité de faire de la Méditerranée une zone de croissance partagée, aux effets d’entraînement certains sur l’Afrique subsaharienne.

Au-delà de nos rencontres bilatérales, nous nous retrouvons depuis 10 ans au sein de l’Assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée.

Cette assemblée est le lieu adéquat pour maintenir un dialogue politique constant pour débattre ensemble des grandes questions régionales.

Je pense au changement climatique et à ses conséquences écologiques, humanitaires et économiques.

Je pense à la question de la mobilité qui doit être repensée sereinement en termes moins sécuritaires et plus économiques et solidaires.

Je pense à la question des réfugiés qui exige de nous des réponses respectueuses de la dignité humaine.

Enfin, je pense au défi de la sécurité et de la paix.

Nous pouvons construire de la prospérité à partir de projets concrets qui répondent aux besoins des citoyens.

Le lancement prochain du premier projet de l’Union pour la Méditerranée dans votre pays est une bonne nouvelle.

La dépollution du lac de Bizerte concerne plus de 400.000 habitants et ouvre sur des perspectives considérables d’emploi et d’amélioration des conditions de vie.

Je reste persuadé que la Méditerranée peut devenir une des régions mondiales les plus dynamiques à l’horizon 2030, à condition de ne pas se limiter aux seules questions économiques, et de travailler ensemble sur un pied d’égalité, dans la confiance et la complémentarité.

Je conçois qu’il n’est pas facile de se projeter dans un voisinage apaisé et réconcilié quand l’insécurité règne à vos frontières, mais il nous faut, en responsables politiques, garder toujours un œil sur le présent et un autre sur l’avenir.

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Il y a bientôt un an les terroristes ont choisi de perpétrer une attaque sanglante dans ce haut lieu de la culture et de l’histoire tunisiennes.

Le musée du Bardo suscite chaque année l’émerveillement de milliers de touristes venus du monde entier.
Vous avez raison de regarder avec fierté votre patrimoine millénaire riche de tant de civilisations.

Peut-on imaginer meilleure réponse aux terroristes et aux extrémistes de tous bords?

Cet héritage universel que les Tunisiens ont offert au monde cimente nos liens et nous engage ensemble à poursuivre cet idéal de paix et de prospérité partagée.

Je vous remercie.

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