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Ennahdha, la force tourmentée avance à visage masqué

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Les islamistes tunisiens du mouvement Ennahdha ont peut-être changé d’«habits» mais ils resteront toujours des «moines», des cheikhs prédicateurs.

Par Moncef Dhambri

Les dirigeants d’Ennahdha ont mis tous les moyens pour faire de leur 10e congrès un événement, exorciser leurs obsessions et évacuer leurs angoisses.

Tambours et trompettes, projecteurs et jeux de lumière, drapeaux et banderoles, démonstrations de force et étalage de moyens dignes d’une production hollywoodienne, discours éloquents et déclamations incantatoires pour célébrer la naissance d’un nouvel Ennahdha et sa décision officielle de se délester, une fois pour toutes, de la prédication –pour mieux se consacrer à l’activité politique.

Des serviettes et torchons

Et si toute cette mise en scène médiatico-politique n’était qu’un aveu de faiblesse et l’expression d’une inquiétude réellement profonde? Et si tout ce tapage n’était qu’une supercherie qui prétend tunisifier l’islamisme d’Ennahdha, alors que le dessein nahdhaoui d’islamiser la Tunisie reste entier? Et si cette séparation de la prédication de l’activité politique n’était qu’un leurre, qu’une nouvelle distribution des tâches au sein du mouvement islamiste et une réponse à cette aversion épidermique que porte la société tunisienne pour le mélange des serviettes du spirituel avec les torchons du politique?

A longueur de ce 10e congrès du parti islamiste, durant plusieurs semaines avant la tenue de ces assises et très certainement pendant les prochains jours et semaines à venir, l’on nous a dit et l’on nous le répétera encore qu’Ennahdha s’est définitivement séparé de ce boulet de l’activité de prédication pour s’engager entièrement dans le travail politique et donner un sens plein à ce qu’on appelle «l’islamo-démocratie.»

Il y a beaucoup de médias et de responsables occidentaux qui ont avalé volontiers cette grosse couleuvre, prenant leurs désirs pour des réalités. Pas nous…

Vendredi 20 mai 2016, jour de l’ouverture de la conférence, cette catharsis a eu droit à la théâtralité qu’elle mérite. La «purification» d’Ennahdha a puisé dans tous les manuels de la communication et tous les registres du packaging pour vendre cette expulsion de la prédication, qui sort par la porte pour rentrer insidieusement par la fenêtre.

Le spectacle sons-et-lumières éblouissant, les couleurs criardes, l’extravagance assourdissante, la présence très nombreuse des congressistes et des invités et le discours fleuve du maître de cette cérémonie tape-à-l’œil, le nahdhaoui-en-chef Rached Ghannouchi, n’étaient, au bout du compte, qu’un rituel exorciste vain, une tentative de rédemption manquée et une rectification de trajectoire calculatrice qui ne trompe que l’ignorance.

Caid-Essebsi-Ghannouchi-10e-congres-Ennahdha

Même adoubés par  Caïd Essebsi, Ghannouchi et Ennahdha n’inspirent pas encore confiance aux Tunisiens.

Nous laisserons à l’avenir le jugement à porter sur la dizaine de motions adoptées par le congrès islamiste. Une fois de plus, l’Histoire finira par donner raison à ceux qui n’ont jamais cru, un seul instant, que l’islam islamiste d’Ennahdha pourrait un jour faire bon ménage avec la démocratie, la modernité, l’égalité femme-homme, la tolérance, l’ouverture, etc.

Bref, toutes les professions de foi revendiquées à cor et à cri par les Nahdhaouis sur leur réconciliation avec notre tunisianité n’est qu’une autre fumisterie, une autre supercherie qui cache mal leur projet fondamental d’islamisation rampante de la société tunisienne.

Trouble et incertitude

Que les Nahdhouis mettent dans la commercialisation de leur nouveau produit toutes les méthodes, qu’ils conçoivent tous les emballages possibles et imaginables, qu’ils se mettent à genoux et jurent leurs grands dieux que «plus rien ne sera comme avant», ils ont peut-être changé d’habits mais ils resteront toujours «des moines», des prédicateurs, avant toute autre chose. Leur mission première ne sera jamais économique ou politique: nous avons eu l’expérience douloureuse de leur passage au pouvoir, sous les gouvernements de Hamadi Jebali et Ali Larayedh, et nous avons acquis la certitude absolue sur leurs véritables intentions.

Sur le fond, donc, nous pouvons affirmer, sans aucun risque de nous tromper, qu’Ennahdha est un parti inquiet. Que l’on ne s’y méprenne pas: les Nahdhaouis peuvent bomber le torse, ils peuvent se vanter de faire salles pleines, ils peuvent se targuer d’appartenir à une formation «politique» qui a tenu ses congrès régulièrement et «démocratiquement», ils peuvent pointer l’index vers le ciel pour en appeler à l’aide divine, toute leur assurance affichée et leurs supplications ne sont en réalité que camouflage de leurs trouble et incertitude.

Malgré sa majorité parlementaire, l’influence indéniable qu’il exerce au sein de la coalition gouvernementale, sa parfaite entente avec le locataire du palais de Carthage, sa redoutable machine organisationnelle, ses rouages bien huilés et la discipline stalinienne qui règne dans ses rangs, Ennahdha sait que ce qui fait actuellement sa force est, en définitive, la résultante d’un concours de circonstances qui pourrait changer à tout instant.

Le poids d’Ennahdha n’est que le produit des faiblesses de ceux qui s’opposent à son projet. Le parti de Rached Ghannouchi tire les plus gros avantages de la déliquescence de Nidaa Tounes, de l’arrivisme et de l’opportunisme des autres membres de la coalition gouvernementale et du passéisme usant de la gauche traditionnelle qui cherche encore et encore de nouveaux repères…

En somme, il n’y a rien de rassurant pour le parti islamiste: la majorité silencieuse peut retrouver, à tout moment, sa voix, les femmes et les féministes tunisiens n’ont pas leur dernier mot, la société civile veille au grain et la jeunesse ne s’est toujours consolée de l’usurpation de leur 14 janvier 2011.

C’est avec toutes ces forces de résistance qu’Ennahdha devra compter.

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