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L’Arabie saoudite, un tigre de papier ?

Arabie-saoudite

Le chômage touche désormais 12% de la population active et 30% chez les jeunes de moins de 25 ans.

Au Moyen-Orient, l’Arabie saoudite (comme la Turquie) s’est voulue être un tigre, mais aujourd’hui, elle ne se révèle être qu’un «tigre de papier».

Par Roland Lombardi *

Comme l’a récemment déclaré le Roi Salman, le chômage des jeunes en Arabie saoudite est le défi numéro 1 pour la sécurité du royaume.

Dans la plus grande monarchie du Golfe, les trois quarts de la population ont moins de 30 ans et 58% moins de 25 ans. Le taux de chômage y est de 12% et il atteint jusqu’à 30% chez les jeunes de moins de 25 ans. Dans les faits, les Saoudiens sont nombreux à ne pas travailler et ce, grâce aux subventions de l’Etat. Ainsi, sur les 5,5 millions d’actifs, environ 3 millions sont fonctionnaires. Dès 2014, le royaume a imposé aux entreprises privées et étrangères d’embaucher 20% de Saoudiens afin de les encourager à choisir le secteur privé plutôt qu’une bureaucratie pléthorique. Mais en général, les employés saoudiens sont très mal vus car peu qualifiés et peu performants. C’est la même chose pour les plus diplômés puisque le niveau réel de l’enseignement supérieur saoudien est très en dessous des apparences…

Des fins de mois de plus en plus difficiles

Par ailleurs, cette décision représenta un véritable virage à 180 degrés lorsqu’on sait qu’en 2011, Riyad avait évité le vent des «Printemps arabes» en entreprenant un vaste programme d’investissement public tout en augmentant les prestations sociales, les salaires des fonctionnaires et, enfin, en embauchant massivement dans le secteur public pour justement essayer de diminuer le nombre de jeunes chômeurs.

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Le roi Salman et la famille royale sont aux abois.

Aujourd’hui, confrontée à la chute des cours du pétrole (dont elle est en grande partie responsable puisqu’elle espérait ainsi étrangler financièrement ses adversaires, principalement l’Iran et la Russie), l’Arabie saoudite, qui connaît donc des difficultés financières (90% de ses revenus proviennent de l’or noir), ne peut plus jouer à l’Etat providence et redistribuer à volonté cette fameuse rente pétrolière.

Ainsi, les fins de mois sont de plus en plus difficiles pour la majorité de la population fonctionnarisée et le royaume a de moins en moins les moyens d’entretenir une population toujours croissante et toujours aussi exigeante. Certaines études affirment même qu’un quart de la population vivrait déjà sous le seuil de pauvreté.

Une paix sociale menacée ?

Le pétrole rapporte 45% de la richesse de l’Arabie saoudite. Comme évoqué plus haut, il représente 90% des recettes d’exportation et 80% des revenus du budget de l’Etat. Avec un baril à 50 dollars encore aujourd’hui, les temps sont durs pour le royaume. Pour l’année dernière, le manque à gagner était de 49 milliards de dollars ! En 2015, le déficit budgétaire a atteint un record puisqu’il était de 99 milliards de dollars, soit 13% du PIB. En 2016, les estimations annoncent qu’il devrait avoisiner les 15%. Riyad a déjà rapatrié de l’étranger plus de 70 milliards de capitaux ! Mais pour faire face à cette chute de 60% des prix du pétrole depuis l’été 2014 et pour financer aussi ses interventions au Yémen et aux côtés de la coalition en Irak, la monarchie puise, chaque mois, une trentaine de milliards de dollars dans les réserves (750 milliards de dollars, destinés, à l’origine, à préparer «l’après pétrole») de la Banque centrale saoudienne. Ainsi, selon un rapport du FMI, les réserves de la trésorerie saoudienne sont en chute libre et le royaume ne pourrait pas tenir plus de 5 ans à ce rythme.

D’importantes réformes structurelles seraient nécessaires pour diversifier et libéraliser l’économie mais aussi pour réduire les dépenses de l’Etat providence. C’est la raison pour laquelle, les autorités saoudiennes sont déterminées à diminuer leurs dépenses d’investissement et à ajourner plusieurs projets d’infrastructures.

Par ailleurs, le fils du roi Salman, le vice-prince héritier de 31 ans, Mohammed Ben Salman, ministre saoudien de la Défense et actuel président du Conseil des affaires économiques et du développement (CEDA), a ainsi officialisé, le 25 avril dernier, lors d’une intervention télévisée, la nouvelle vision du royaume à l’horizon 2030 au travers d’un plan de transformation de l’économie. Ce dernier prévoit en premier lieu d’introduire en Bourse 5% de Saudi Aramco, la compagnie pétrolière nationale, qui permettra notamment de financer la création du plus grand fond souverain de la planète. Ce fond pourrait alors générer jusqu’à 2.000 milliards de dollars d’actifs d’ici à vingt ans. Le royaume envisage également de nouvelles mesures pour revoir et restructurer les subventions. Le plan prévoit ainsi la création d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA), ainsi qu’une taxe sur l’énergie, les boissons sucrées et les produits de luxe…

Peut-être faudrait-il aussi revenir sur la gratuité de l’eau pour les nationaux et augmenter le prix des carburants ?

En attendant, les autorités saoudiennes semblent prendre conscience du danger. Déjà en 2014, Riyad a investi massivement dans l’éducation, la santé et les infrastructures mais actuellement, ce sont toujours les dépenses militaires qui absorbent la plus grosse part du budget soit 35%.

Peut-être que ces réformes, trop tardives et contraignantes, seront sacrifiées sur l’autel de la facilité et que les autorités saoudiennes, en négociation notamment avec la Russie, «laisseront» finalement remonter le prix du baril. Dans cette perspective, cela équivaudrait simplement à ne repousser le problème que de quelques années…

Si, au contraire, ces réformes sont maintenues et approfondies, elles vont inévitablement, dans un premier temps, chambouler le train de vie, les habitudes et les traditions culturelles des Saoudiens. Le risque est alors bien réel qu’elles puissent alimenter une nouvelle colère populaire ou pire, envenimer les tensions politiques déjà existantes au sein des sphères du pouvoir…

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La manne du pétrole est presque déjà un souvenir du passé.

Répercussions régionales de la crise en Arabie saoudite

Les plans régionaux de Riyad (comme d’Ankara d’ailleurs) et sa politique de soutien aux islamistes depuis les fameux printemps arabes sont un échec. Son intervention au Yémen est un fiasco. En Syrie, la monarchie est en mode swindle, comme on dit aux échecs. C’est-à-dire lorsqu’un joueur entreprend une série de manœuvres en vue de compliquer la position dans une partie où il a un désavantage certain et qu’il a, a priori, déjà perdue.

En effet, même si le royaume saoudien soutient encore, avec l’énergie du désespoir, certaines milices rebelles djihadistes, assister à l’échec final de sa stratégie n’est qu’une question de temps. L’Arabie saoudite (comme encore une fois la Turquie) s’est voulue être un tigre, mais aujourd’hui, elle ne se révèle être qu’un «tigre de papier».

Pour ma part, je pense même que la Turquie et l’Arabie saoudite sont actuellement les «deux hommes malades» du Moyen-Orient.

La puissance et l’influence relative mais aussi l’existence même de l’Arabie saoudite étaient fondées sur le pétrole et le statut de gardienne des Lieux saints de La Mecque et Médine. Avec une rente et des réserves pétrolières beaucoup plus modestes que par le passé, aucun investissement sérieux dans les domaines universitaires et technologiques, un stress hydrique sans précédent et le retour de l’Iran sur la scène internationale, l’avenir du royaume semble bien incertain.

Je rappelle aussi, et encore une fois, qu’à l’inverse des dynasties chérifienne du Maroc et hachémite de Jordanie, la dynastie wahhabite n’est pas descendante du Prophète. L’image des Saoud a été fortement ternie depuis ses choix stratégiques inconséquents dans la région à partir de 2011 (même chez ses alliés) mais aussi, et surtout, à cause de sa politique et de ses actions sur les prix du pétrole. Ainsi, les tensions au sein de la Ligue arabe et de l’OPEP sont prégnantes. Effectivement, de nombreux pays producteurs de pétrole, comme par exemple l’Algérie, en veulent beaucoup aux Saoudiens, considérés comme les responsables directs de cette baisse funeste du prix des hydrocarbures.

Sur le plan interne enfin, le royaume est traversé par de fortes tensions au sein du pouvoir. Il y a environ 20.000 princes et princesses, dont 4.000 princes de sang royal et un millier d’entre eux (certains financent d’ailleurs encore des groupes islamistes dans la région et à travers la planète) sont réellement puissants et dangereux pour le roi. En effet, le gâteau de la rente pétrolière n’étant plus aussi gros qu’avant, les parts que se redistribuaient les princes, se sont considérablement réduites. Tout cela a eu pour conséquence de réveiller ou d’aviver les jalousies, les rivalités ainsi que les vieilles luttes d’intérêts entre les clans.

Alors, quelles seraient les répercussions dans la région en cas de déstabilisation du royaume? D’abord, les plus cyniques (ou les plus réalistes?) affirmeront que ce serait le coup de grâce pour l’islam politique. En effet, si les wahhabites venaient à être ébranlés, les principaux mouvements fondamentalistes et salafistes de la planète perdraient à coup sûr leurs principaux parrains…

Il ne faut cependant pas oublier que les Saoudiens apportent aussi une aide économique conséquente à de nombreux pays de la zone comme le Pakistan, la Jordanie ou l’Egypte. Si Riyad réduisait drastiquement son aide extérieure, certains Etats seraient en grande difficulté. En cas de graves troubles, qu’adviendrait-il aussi aux étrangers et aux travailleurs immigrés, qui représentent le tiers des 30 millions d’habitants du royaume? S’ils devaient fuir, quels contrecoups cela provoquerait dans les pays voisins ou dans leurs pays d’origine déjà en crise (Bangladesh, Pakistan, Philippines, Indonésie)?

Dans le passé, l’Arabie saoudite a déjà connu de graves secousses comme lors de l’assassinat du roi Fayçal en 1975 ou à l’occasion de la prise d’otages de La Mecque en 1979.

Aujourd’hui, on peut faire confiance à la fermeté et à la férocité du roi, de son fils, Mohammed Ben Salman, ainsi qu’à celle de Mohammed Ben Nayef, «l’homme fort du royaume». Certes, comme Erdogan d’ailleurs, ils ne sont pas le genre d’hommes à vaciller à la première émeute ou face à une quelconque tentative de coup d’Etat. Mais l’Histoire nous apprend qu’aucun pays, aussi riche et dirigé d’une main de fer qu’il soit, n’est jamais totalement à l’abri du chaos…

* Consultant indépendant, associé au groupe d’analyse de JFC Conseil.

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