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Islam politique et démocratie: Poker menteur en Tunisie

Ghannouchi-Etats-Unis

Les pays occidentaux ont misé, faute de mieux, sur Ennahdha, Ghannouchi et l’islam politique version tunisienne. Ce coup de poker n’est pas sans conséquences pour nous. Et pour eux.

Par Farhat Othman

La partie de poker est, au figuré, l’affrontement dans lequel les adversaires utilisent le bluff pour l’emporter. Si elle est dite menteuse, par redondance, c’est juste pour accentuer le caractère d’un tel mensonge. Car il est, pour le moins, triple en ce qui concerne le poker menteur en Tunisie.

Poker de l’islam politique

Déjà, celui joué par les élites avec le peuple auquel on veut faire croire à une révolution de ce qu’il n’était, au mieux, qu’un coup… du peuple, une sorte de coup d’État postmoderne, car exécuté sous la pression populaire et en apparence dans le sens de sa volonté qu’on cherche ainsi à canaliser. (1)

Ensuite, celui des États-Unis, grands ordonnateurs, qui l’ont utilisé pour changer d’allié, substituant l’ennemi n°1 de régime de Ben Ali, leur ancien chouchou, l’islamiste Rached Ghannouchi.

Enfin, celui que joue ce dernier avec les Américains en se présentant comme étant leur nouveau meilleur allié, quand il n’est au mieux que leur moins mauvaise carte, nullement un atout maître, même si elle a tout d’un atout. Tout n’étant que dans les atours, trompeurs, comme toutes les apparences fausses.

Les Américains sont-ils aussi dupes pour le croire? Au vrai, ils ne font que semblant de prêter foi à une crédibilité frelatée du jeu islamiste, car en pragmatiques invétérés, ils en relativisent les inconvénients eu égard à la situation géostratégique de la région et dans le monde.

Ghannouchi, malgré ses défauts, a quelques qualités et non des moindres que n’ont pas ses adversaires; ce qui en fait un véritable prince charmant pour le chef de file du monde mercantile d’aujourd’hui, qui est aussi celui du zéroïsme de sens et des valeurs. Ce qu’on oublie souvent. (2)

En bons matérialistes, les Américains n’ont cure des valeurs de démocratie et de libéralisme politique en Tunisie. Ce qui prime, c’est le triomphe dans ce qu’ils ne voient qu’en marché ouvert pour un capitalisme libéré, nullement libertaire toutefois, donc tout juste sauvage. Aussi font-ils de la Tunisie un laboratoire d’un nouvel islam, asservi à leurs intérêts. (3)

En cela, ils ne peuvent que compter sur Ennahdha au programme économique antédiluvien, et qui a le talent d’instrumentaliser à sa guise tout ce qu’elle veut de prétendus politiciens, y compris la centrale syndicale dont l’histoire est bien là pour attester de ses accointances avec le chef de file du capitalisme mondial.

Ghannouchi-en-France

Rached Ghannouchi en tournée cette semaine en France: il se prépare aux présidentielles de 2019.

L’exception Tunisie victime du poker

À qui profite de ce triple poker menteur: ou plutôt qui en est la principale victime? Assurément le peuple dont on profite du pacifisme, et qu’on est en train de transformer en peuple belliqueux. Ainsi, le Tunisien ne sait même plus sourire, alors qu’on pouvait encore qualifier la Tunisie de dictature souriante sous Ben Ali ! C’est dire à quel point la dictature actuelle est plus lourde à supporter par le peuple, car elle agit sur son inconscient dans le mauvais sens, au point qu’il n’est même plus souriant; et on connait parfaitement les rigueurs de la fausse morale et ses visées!
S’agissant maintenant de qui profite de cette nouvelle dictature, c’est évidemment tous ceux qui ne veulent pas d’une Tunisie qui soit réellement l’exception que son peuple est déjà depuis la nuit des temps, où sa foi sera un modèle de tolérance et de libertés.

Sur ce chapitre, c’est bien évidemment le parti islamiste qui est le gagnant du gros lot ainsi que ses sponsors et alliés intéressés, d’Occident certes, mais aussi d’Orient. Les États-Unis restent les premiers parmi eux, et leurs obligés forcément.

C’est un jeu dangereux, qui fera perdra toute la mise aux Américains. On voit bien les prémices de ce qui se passera en Tunisie en Irak, en Syrie et en Libye. Or, on peut avoir bien mieux pour moins risqué et plus éthique !

L’islam soufique comme alternative

Les Américains ne sont pas dupes et ils le savent bien, ayant même vérifié le jeu malsain des islamistes avec l’attaque de leur ambassade à Tunis, en septembre 2012. Pour l’instant, ils s’en accommodent tant que le ratio intérêts/inconvénients peut leur paraître laisser les choses en l’état.

C’est un tel esprit qui préside déjà à leur stratégie gagnante avec le Satan wahhabite. L’Américain, fort de sa confiance en sa force, croit pouvoir savoir frayer avec le diable pour en profiter, quitte à lui en laisser des miettes qui se transforment en richesses de Coré pour ses affidés, ayant des pays et des peuples à exploiter à fond pour compenser leurs pertes.

Or, nos amis Américains se leurrent cruellement quant à la pérennité de pareil profit qui sera assurément de courte durée et aura des retombées négatives sur leurs intérêts dans la région. Ils le savent, d’ailleurs, et leurs think-tanks y travaillent. Mais trop lentement à mon avis, car la solution ne fait plus de doute; c’est l’islam soufique qui sauvera leurs intérêts en Tunisie et dans le monde!(4)

En Tunisie, l’ami indéfectible américain, pragmatique, s’accommode pour l’instant de la situation actuelle d’autant plus qu’il ne voit pas de solution de rechange, croyant volontiers que le parti de M. Ghannouchi est incontournable.
Il faut dire que ce dernier a profité de ses années de pouvoirs au lendemain de la révolution pour mettre sur pied une machinerie diabolique de nature à protéger ses intérêts, quitte à mettre à genoux le pays et son peuple. Or, ne l’oublions jamais, c’est parce que le peuple est à genoux que ses supposés maîtres peuvent se croire le dominer.

Sinon, ils ne sont que des tigres en papier, un colosse aux pieds d’argile. Et c’est assurément le cas du parti islamiste pour qui sait aller au creux des apparences.

Car l’islam populaire est soufi dans son essence; et il suffira de savoir en parler pour faire voler en éclats le faux magistère islamique du parti islamiste qui ne puise que dans la tradition cléricale judéo-chrétienne.

Certes, les Américains, s’agissant de leur ambassade, ont su bien monnayer ce qu’ils veulent considérer, par réalisme, comme un simple couac, ayant réussi à obtenir un dédommagement conséquent. Mais, après Orlando, ils se doivent d’une attitude moins cynique.

Comme ils ne doivent pas se leurrer sur la nature intrinsèque du parti islamiste qui ne fait rien de bon sauf contraint et obligé, ils ont l’obligation pour honorer leurs innocentes victimes d’user de contrainte, surtout éthique, pour amener le parti islamiste à matérialiser les quelques potentialités d’évolution en lui. De simples volitions pour tromper, en en se faisant violence pour venir à bout de ses réticences psychosociologiques et géopolitiques, elles doivent devenir une volonté politique affichée afin de jouer le franc jeu de la démocratie.

En l’état actuel, pour prendre un exemple parmi ceux qui ont une symbolique fatale pour le dogmatisme islamiste, cela commande qu’Ennahdha agisse pour l’abolition des lois scélérates de la dictature régissant la vie privée, à commencer par l’inégalité successorale, la pénalisation du cannabis et l’homophobie. Une Sainte Trinité religieuse pour relever d’une Sainte Trinité démocratique. (5)

On l’a dit, il s’agit même d’un impératif catégorique éthique pour les États-Unis, Orlando oblige.

Poker du gouvernement d’union nationale

Quadruple, le poker menteur en Tunisie l’est aussi, étant présent dans ce qui fait l’actualité du jour; cette fois-ci, il est joué par les élites au peuple au sujet du gouvernement d’union nationale.

Il s’agit du jeu consistant à faire croire que l’on peut sortir le pays de sa crise sans des mesures radicales, non seulement sur le plan national, mais d’abord et surtout sur le plan international.

En effet, aucun observateur sérieux et honnête ne doute que la situation du pays est tellement imbriquée dans les rapports internationaux, qui sont d’intérêt vital pour les puissances étrangères, que rien de bon ne se fera dans le pays si l’on ne s’attaque pas aux racines internationales.

Par exemple, il ne servira à rien de faire croire à la solution de la crise économique sans libérer d’abord le pays du joug du service de la dette. Il ne servira à rien de tenter de lutter efficacement contre la contrebande et le terrorisme — qui ont partie étroitement liée — sans articulation au préalable du pays à un système de droit démocratique, ayant fait ses preuves. Cela suppose l’adhésion à l’Union européenne de laquelle la Tunisie relève déjà, mais informellement. Aussi a-t-elle tous les inconvénients de la dépendance sans les avantages de l’adhésion.

Enfin, il ne sert à rien de vouloir protéger nos jeunes citoyens du terrorisme sans leur offrir la seule alternative crédible pour les en détourner, et qui est la libre circulation. Car notre jeunesse aujourd’hui, eu égard aux lois liberticides en vigueur dans le pays, n’ont que le choix de tenter l’aventure soit en Méditerranée pour rallier clandestinement l’Europe, soit sur les sentiers de la guerre. Et ils sont désormais tout proches. (6)

Demain, la guerre sera même importée en Tunisie avec des munitions inépuisables. (7) Assez donc de ce jeu de poker menteur !

Notes :

(1) Cf. ce que j’en disais déjà en décembre 2011 : ‘‘La vérité sur la révolution tunisienne en dix points : Pour une lucide mise en perspective’’.

(2) Cf., par exemple, mon billet d’humeur à ce sujet, toujours d’actualité : ‘‘Voilà pourquoi l’Occident tient à Ghannouchi’’.

(3) Cf. ce que j’en disais en novembre 2011, à la veille des premières élections post-révolution : ‘‘La Tunisie, laboratoire pour un renouveau de l’islam’’.

(4) Cf. sur le futur des rapports américano-saoudites : ‘‘Le divorce inéluctable du couple américano-saoudien’’.

(5) Cf., par exemple, la politique arc-en-ciel que je propose; et il n’y en a pas d’autre eu égard à la situation du pays, tant interne qu’internationale : ‘‘Feuille de route pour une union nationale minimale’’.

(6) Ibid.

(7) Cf. mon analyse sur le spleen de notre jeunesse : ‘‘Pourquoi les Tunisiens sont les plus nombreux des jihadistes ?’’.

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